Projet d’attentat à Marseille en 2017 : pour le parquet le passage à l’acte était “imminent”

Reportage
le 30 Nov 2023
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Les avocates générales ont requis, ce 29 novembre, des peines de 30 ans de prison à l’encontre de Clément Baur et Mahiedine Merabet. Les deux hommes sont accusés d’avoir projeté un attentat à Marseille, en avril 2017. Ils assurent n’avoir jamais eu cette intention.

Le procès se tient devant la cour d
Le procès se tient devant la cour d'assises spécialement composée de Paris. (Photo : Lola Breton)

Le procès se tient devant la cour d'assises spécialement composée de Paris. (Photo : Lola Breton)

“C’est particulièrement difficile pour moi de parler de moi. Si je réponds, c’est plus pour ne pas avoir de regrets quand je serai vieux dans ma cellule”. Face aux juges, dès les premiers jours de son procès devant la cour d’assises spéciale à Paris, Clément Baur s’est résigné. Le trentenaire comparait pour avoir, selon l’accusation, planifié un attentat, avec son comparse Mahiedine Merabet, à Marseille, au printemps 2017. Depuis le 30 octobre, au côté de 10 autres accusés, les deux hommes tentent d’expliquer leurs intentions de l’époque et l’utilisation qu’ils comptaient faire de leur arsenal de guerre entreposé dans un studio de la rue de Crimée, dans le 3ᵉ arrondissement marseillais.  Ce 29 novembre, après quatre semaines d’audience, les avocates générales ont requis à l’encontre de Clément Baur et Mahiedine Merabet, notant “leur niveau d’implication équivalent”, 30 ans de réclusion criminelle assortie d’une période de sûreté des deux tiers.

Ces demandes des lourdes condamnations ne sont pas une surprise pour les deux principaux accusés. “On n’a rien fait à personne. Il n’y aucune victime. Mais ce n’est pas pour ça que je ne dois pas de comptes. Avoir des armes, c’est interdit. Avoir de l’explosif, c’est interdit. Et le faire avec les idées qu’on avait l’époque, encore plus”, reconnaît Clément Baur la veille du réquisitoire. Leur rapport à l’idéologie de l’État islamique (EI), justement, est essentiel dans ce dossier.

Pour le ministère public, l’adhésion des deux hommes aux thèses de cette organisation terroriste ne fait, en 2017, aucun doute. “C’est vrai que j’ai eu une sorte d’admiration pour l’EI après l’instauration du califat”, admet Clément Baur à l’audience. “J’avais envie de leur accorder une confiance aveugle. J’avais envie que ce soit ma famille ces gens-là”, ajoute-t-il, bien qu’il jure aujourd’hui avoir réussi à quitter cette “matrice”. Mahiedine Merabet, lui, l’assure : “Je n’ai jamais été fan de l’EI”. Les avocates générales n’y croient pas. Lors de leurs réquisitions, elles ont rappelé que les proches du Nordiste ont eux-mêmes donné des informations aux enquêteurs quant à sa radicalisation.

L’achat d’armes, élément accablant

Lors de la perquisition du 58 rue de Crimée, le 18 avril 2017, les policiers découvrent un pistolet mitrailleur Uzi et trois armes de poing dans l’appartement. Tous sont chargés et des centaines de munitions supplémentaires sont aussi rangées là. Pour les représentantes du parquet, ces armes, létales, semblaient “destinées à verser sur la population marseillaise un déluge de feu et de sang”. Un argument appuyé par la présence sans équivoque de la mitraillette dans une vidéo filmée par les deux hommes et envoyée sans le savoir à un agent infiltré de la DGSI sur la messagerie cryptée Telegram. Mahiedine Merabet avait alors disposé des balles de façon à former les mots : “La loi du Talion”.

Cette mise en scène détonne avec les arguments alambiqués qu’il met en avant pour expliquer l’achat des quatre armes. “Je me disais : c’est une valeur sûre parce que je peux en revendre une et potentiellement faire une plus-value. Ou potentiellement faire un braquage de dealer. Il y a aussi une raison psychologique. J’avais profondément envie de me rendre, mais je le voyais comme une humiliation parce que je me voyais comme une victime. Acheter des armes, c’était un point de non-retour. Là dans ces conditions, tu peux plus te rendre. La marche arrière, elle est cassée”. Clément Baur et Mahiedine Merabet se sont procuré ces armes à partir de février 2017, à Roubaix, dont le second est originaire, et à Nancy où les deux hommes se cachent de la police dès janvier 2017. Les dix autres personnes mises en cause dans ce dossier sont toutes accusées d’être liées à l’achat de ces armes, en tant que vendeur, intermédiaire ou simplement d’en avoir été mis au courant. Les avocates générales ont requis de 5 à 15 ans de prison à leur encontre. Pour deux accusés roubaisiens, c’est l’acquittement qui est demandé, faute de certitude sur leur rôle.

Le parquet estime que les explosifs stockés rue de Crimée représentaient “une quantité inédite qui aurait pu provoquer un véritable carnage”.

Le 18 avril 2017, les démineurs qui sont entrés dans le studio marseillais de la rue de Crimée, n’en ont pas cru leurs yeux. Entre trois et quatre kilos de TATP, un explosif sous forme de poudre blanche fabriqué de manière artisanale, sèchent alors sur les étagères. Une “quantité inédite qui aurait pu provoquer un véritable carnage”, selon le parquet. Les accusés assurent qu’ils n’ont jamais pensé s’en prendre à des personnes avec l’explosif. Pour Clément Baur : “Vu qu’on faisait rien, on a commencé à faire du TATP mais y avait pas de but derrière”. Son co-accusé renchérit : “C’était un attrait purement intellectuel. Je suis passionné de chimie. Ça m’intriguait de transformer des produits du quotidien en quelque chose de dangereux”. Celui-ci a même tourné des vidéos tutorielles afin de partager ses techniques pour fabriquer la substance.

À Marseille, une “accélération des préparatifs”

Tous ces éléments sont, pour l’accusation, la preuve que les deux hommes se préparaient à “un passage à l’acte imminent”, comme le croyait également la DGSI en avril 2017. “Leur arrivée à Marseille est moins le moment du désengagement que celui de l’accélération des préparatifs”, estiment les avocates générales. Preuve en serait : les deux hommes avaient commencé à conditionner l’explosif dans des salières, surmontées d’une mèche, comme des grenades “prêtes à l’emploi”.

Dans son argumentaire, le ministère public s’appuie aussi sur les recherches de ce qui ressemble à la “typologie des cibles prônées par l’organisation terroriste État islamique” – bars, meetings politiques, notamment de Marine Le Pen, clubs libertins – et sur l’achat de plusieurs objets pouvant aider à une attaque à cibles multiples diffusée sur Internet – boulons, vélos, caméra go-pro, perruques et autres cagoules. La vidéo dite de “La Loi du Talion” paraît également destinée à revendiquer l’adhésion des deux hommes aux thèses de l’État islamique et à leur volonté d’agir en son nom. “La vidéo de la loi du Talion, elle n’est pas destinée au public. Aujourd’hui, quand je la regarde, j’ai honte. Je me dis que c’est ridicule. Je me dis : « Mais Mahiedine tu vas faire quoi avec ces vidéos pourries ? »”.

Dans ce qu’il appelle sa “fuite en avant”, survenue à partir de la perquisition administrative de son domicile en décembre 2016, Mahiedine Merabet s’est mis en tête de conduire, selon ses dires, une “opération médiatique”. Son idée : produire des “vidéos crédibles”, pour montrer aux Français les effets des bombardements de la coalition internationale sur les populations civiles en Irak et en Syrie. “La clé pour trouver une forme de paix, c’est montrer la réalité de l’autre camp, forcer les médias à diffuser ces images, j’en étais sûr, ça allait tout changer. Il fallait que je puisse faire des montages crédibles, que ce soit professionnel. Mais c’est un métier, ça s’apprend pas en deux jours”. Pour l’une des avocates générales, cette rhétorique de “jihad médiatique” n’est “qu’une tentative vaine de minimiser sa part de responsabilité.” Elle inisiste : “Mais de qui se moque-t-il ?”

Clément Baur, qui déclare n’avoir jamais compris ce que Mahiedine Merabet voulait dire par “coup médiatique”, concède : il a pensé faire des victimes ou, du moins, des dégâts matériels. “Même à Nancy, je me suis dit : « Si t’es vraiment sincère dans ta foi, tu prends le Uzi et le premier qui passe, tu le tires ». Mais je suis resté assis dans mon canapé. C’est comme si j’essayais de me chauffer en fait”. Les deux principaux accusés assurent qu’ils avaient renoncé à toute action. Pas de quoi convaincre l’accusation. “Il n’y a pas de cible arrêtée et établie mais une série de cibles envisagées, estiment les représentantes du parquet. Est-ce pour autant qu’il n’y a pas de projet d’attentat ? Non”. La cour rendra son verdict samedi 2 décembre.

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