Procès en appel des dentistes Guedj : le long chemin des victimes vers l’indemnisation
Lionel et Carnot Guedj, dentistes accusés de violences volontaires ayant entraîné des mutilations sur des centaines de patients, sont rejugés en appel à partir d'aujourd'hui. Quelque 330 parties civiles attendent toujours réparation.
Lionel Guedj et son père Carnot arrivent au Tribunal, lors du procès en première instance. (Photo C.By.)
“Rien, rien, rien.” Dans le ton de Sabrina, le fatalisme le dispute au désespoir. Cette quadragénaire active fait partie des quelque 330 personnes qui se sont constituées parties civiles face aux dentistes Lionel et Carnot, dit Jean-Claude, Guedj. Cette aide à domicile marseillaise n’a toujours pas perçu d’indemnisation, malgré le fait que le procès en première instance l’a reconnue comme victime.
Le 8 septembre dernier, Lionel, le fils, et Carnot, son père, sont reconnus coupables de violences volontaires ayant entraîné une mutilation et d’escroquerie à l’encontre de la Sécurité sociale et des mutuelles. Ils ont été respectivement condamnés à huit ans et cinq ans de prison, peines assorties d’une interdiction définitive d’exercer et de l’obligation d’indemniser leurs victimes. Sabrina, dont toutes les dents – mêmes saines – ont été dévitalisées et taillées dans l’objectif de les remplacer par des prothèses, se sent “toujours au même point”. “Me concernant, il n’y a eu aucune avance, aucun déblocage de fonds pour couvrir les frais”, se désole-t-elle.
Film d’horreur
À partir de ce jeudi, père et fils comparaissent de nouveau pour “blessures volontaires ayant entraîné mutilations”. En raison du grand nombre de parties civiles, la cour d’appel d’Aix-en-Provence siègera à Marseille, dans la salle des procès hors norme (PHN) créée spécialement pour ce type d’audiences, à la caserne du Muy, dans le 3e arrondissement. Comme Sabrina, ils sont nombreux à aborder ce procès en appel avec une appréhension profonde mêlée d’interrogations. “Pour beaucoup de parties civiles, le sentiment général était que le procès de première instance constituait un aboutissement. Mais ce n’est qu’un verrou qui a sauté sur un chemin encore long”, cadre Marc-André Ceccaldi, avocat d’une cinquantaine d’anciens patients des Guedj, dont il reconnaît l’impatience légitime.
Mes dents se détérioraient de plus en plus à mesure que le temps passait, certaines tombaient toutes seules. Au final, on me les a toutes arrachées.
Sabrina
Sabrina raconte un calvaire sans fin : “Il y a eu les mutilations d’abord, le procès ensuite, puis l’après-Guedj… Ça ne s’arrête jamais, on dirait un film d’horreur”. Surtout, dit-elle, d’expertise en devis, de contre-expertise en nouveau devis, elle a perdu du temps. “J’en veux beaucoup à la Sécurité sociale qui ne m’a pas accompagnée. Quand je présentais un devis pour réparer mes dents à 30 ou 40 000 euros, on me répondait sans cesse que ces actes étaient hors nomenclature. Du coup, mes dents se détérioraient de plus en plus à mesure que le temps passait, certaines tombaient toutes seules. Au final, on me les a toutes arrachées et on m’a posé un appareil amovible.” Elle dit son “incompréhension face à l’absence de suivi et d’information” dans laquelle elle a été laissée.
Le mécanisme d’indemnisation s’apparente à un long parcours, forcément douloureux pour celles et ceux qui ont subi les mutilations. Une fois la décision pénale connue le 8 septembre dernier, les victimes devaient saisir la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (Civi) du ressort de leur domicile. Les demandes sont ensuite examinées par le Fonds de garantie des victimes. Cet organisme privé, chargé d’une mission de service public, est financé en grande partie par des cotisations prélevées sur les contrats d’assurances. C’est lui qui distribue les indemnisations dans ce type de dossier, sous le contrôle du ministère des Finances, au titre de la solidarité nationale.
290 demandes d’indemnisations
“Depuis cette décision, et bien que la condamnation ne soit pas définitive, la demande de chaque victime est examinée au cas par cas par les équipes du Fonds de garantie. À ce jour, 290 personnes ont déposé une demande d’indemnisation auprès des CIVI de Marseille ou Aix-en-Provence”, précise-t-on au sein de la direction du Fonds de garantie.
L’indemnisation suit, alors, deux scénarios. Le premier, c’est celui emprunté par une trentaine de parties civiles depuis le jugement qui ont décidé de renoncer à une énième expertise. Dans le jargon, on parle de “liquidation”. Cette poignée de victimes a donc saisi la CIVI, en demandant à la commission de se baser sur la dernière expertise réalisée, même si elle date de plusieurs années, même si les dentitions se sont encore dégradées depuis. Ces requêtes sont les plus aisées : “on paye et le dossier se termine”, explique notre source au Fonds de garantie.
Expertise, rapport, provision
Le second scénario est le plus répandu au sein des patients mutilés. “Il y a une demande d’expertise médicale et de provision [d’acompte] avant que l’expertise médicale permette de chiffrer totalement le préjudice.” Là, entre la nomination de l’expert, la prise de rendez-vous, le rendu du rapport, le processus peut s’étirer sur six mois, un an. Chaque patient a déjà fait l’objet d’une, voire de deux expertises durant l’enquête. Mais celles-ci datent déjà de plusieurs années et entre-temps, l’état des dents – vivantes ou dépulpées – et des mâchoires s’est souvent détérioré. Alors, il faut le réévaluer. Encore.
Lésions plus profondes, surinfection des abcès, propagation vers les sinus ou la mâchoire… Ces atroces souffrances ont poussé plusieurs victimes à se faire opérer à moindre coût à l’étranger, notamment en Roumanie et en Turquie. D’autres prennent leur mal en patience et restent suspendues à l’issue de la procédure. D’ici là, où trouver les fonds pour se faire soigner ? Et quand bien même, comment dénicher un dentiste qui prendra le risque de “passer après le docteur Guedj”, alors même que les expertises sont toujours en cours ?
“Je ne pouvais pas attendre et rester sans dents“
Voix douce et yeux noirs en amande, Sonia* est l’une des parties civiles, tout comme sa fille Sapho* – 16 ans au moment des faits. La mère doit percevoir une provision de 5000 euros à valoir sur son indemnisation future : “Mais pour l’instant, on attend. On ne sait pas trop quoi, mais on attend.” Sonia assure avoir déjà déboursé près de 25 000 euros de sa poche (dont les deux tiers ont été remboursés par deux mutuelles) sur les trois dernières années : “Je ne pouvais pas attendre et rester sans dents !”, soupire-t-elle. Elle ne sait pas, toutefois, quand les sommes lui seront finalement versées. Et à l’image de Sabrina, elle regrette le “manque de transparence” qui entoure les mécanismes d’indemnisation. “Le premier procès a déverrouillé le processus indemnitaire. Les experts s’organisent, tout le monde joue le jeu, mais on peut comprendre qu’au bout de 12 ou 13 ans, les victimes soient à bout”, souligne Marc-André Ceccaldi.
Plus l’enquête avançait, plus le dossier paraissait irréel. On ne comprenait pas comment un dentiste avait pu mutiler autant de gens.
Une magistrate
Dans un dossier d’une telle ampleur, où l’instruction s’étale souvent sur des années, un fonds public d’avance, piloté par l’État, peut être débloqué. C’est par exemple ce qu’avait décidé le gouvernement dans le dossier du Médiator, qui compte plus de 3000 parties civiles. Mais les victimes de Lionel Guedj n’ont pas bénéficié du même protocole. Pourquoi ? Une magistrate évoque d’abord un “effet de stupeur générale. Plus l’enquête avançait, plus le dossier paraissait irréel. On ne comprenait pas comment un dentiste avait pu mutiler autant de gens.” En clair : les années passent, les victimes s’accumulent et le dossier devient de plus en plus complexe. Devant ce caractère “inédit”, juridictions et autorités ont préféré attendre l’issue du procès.
Manque d’accompagnement des victimes
Mais notre source judiciaire s’interroge encore sur cette décision. “Est-ce qu’on aurait fait pareil si les victimes n’étaient pas des gens précaires des quartiers Nord ? Ce n’est pas absurde de parler de discrimination sociale. Et d’imaginer que le vécu des victimes ait été minimisé, même inconsciemment”, reprend cette magistrate. Surtout que la patientèle mutilée n’a pas toujours été bien accompagnée tout au long de cette procédure. Impossible, souvent, de se débattre face à la masse de documents à renvoyer aux experts, aux juridictions, à la Caisse primaire d’assurance maladie… Lors du procès en première instance, de février à avril 2022, certaines d’entre elles se désolaient de ne jamais voir leurs avocats. Ce que Sabrina confirme : “Il me faut du soutien pour remplir tous ces papiers. Et mon avocat ne me répond pas souvent…”
Après avoir indemnisé les victimes, le Fonds de garantie se retournera contre les auteurs afin de tenter de récupérer les sommes versées”
La direction du Fonds
Pour la majorité des ex-patients de Lionel et Carnot Guedj, l’issue du procès qui s’ouvre ce jeudi est donc cruciale. Avec une expertise récente et un jugement définitif en main, ils pourront peut-être, enfin, espérer une indemnisation définitive, à défaut d’être rapide. “Après avoir indemnisé les victimes, le Fonds de garantie – qui s’est aussi constitué partie civile – se retournera contre les auteurs des faits afin de tenter de récupérer les sommes versées”, indique-t-on au sein de l’organisme. Entre le nombre de victimes à indemniser et les sommes dues à chacune, l’enveloppe globale pourrait avoisiner, voire dépasser, les 50 millions d’euros, selon l’estimation d’un avocat.
Lionel Guedj a, un temps, été le dentiste le mieux rémunéré de France. Après sept ans et demi d’exercice, fin 2012, au moment de sa mise en examen, son patrimoine colossal est estimé à 12,9 millions d’euros et ses revenus mensuels oscillent, selon un enquêteur, “entre 68 000 er 80 000 euros”. Des revenus quinze fois supérieurs à la moyenne nationale chez les dentistes, mais bien en deçà de la somme nécessaire pour réparer les mutilations commises.
Potentiel renvoiSelon plusieurs avocats, le procès en appel des dentistes pourrait être renvoyé lors de son ouverture ce jeudi 25 mai. Il s’agit d’une demande du principal prévenu, Lionel Guedj (42 ans), pour raisons de santé. Le 8 mars dernier, son père Carnot dit Jean-Claude Guedj (71 ans) avait été remis en liberté par la cour d’appel et placé sous contrôle judiciaire dans l’attente de la tenue de ce nouveau procès.
Il m’est difficile de comprendre que la “Sécu” n’ait pas installé des signaux d’alerte sur les comptes des professionnels qui “explosent” ainsi (QUINZE fois la moyenne, quand même!). Là, il y aurait certainement des économies à faire pour équilibrer les comptes. Il me sera certainement rétorqué qu’il ne s’agit que de quelques brebis galeuses et ce n’est plus possible aujourd’hui. Peut-être, ou pas….
Se connecter pour écrire un commentaire.
Dans de tels cas, le conseil de l’ordre dorerait son blason à accompagner le victimes.
Se connecter pour écrire un commentaire.
Oui, le conseil de l’ordre des dentistes a été étrangement silencieux dans cette affaire.
Se connecter pour écrire un commentaire.