Procès du travail détaché : la justice signe la fin du système Terra Fecundis

Actualité
le 9 Juil 2021
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La condamnation est sévère pour Terra Fecundis, l'entreprise de travail intérimaire espagnole accusée de travail dissimulé en bande organisée. Pour beaucoup, elle pourrait sonner la fin de l'impunité autour de la fraude au travail détaché dans le secteur agricole.

Des travailleurs détachés agricoles dans une exploitation des Bouches-du-Rhône en 2020. (Photo DR).
Des travailleurs détachés agricoles dans une exploitation des Bouches-du-Rhône en 2020. (Photo DR).

Des travailleurs détachés agricoles dans une exploitation des Bouches-du-Rhône en 2020. (Photo DR).

Amende maximale prévue par la loi et peines de prison d’un à quatre ans avec sursis. Voilà des condamnations qui pourraient porter un sérieux coup d’arrêt aux détachements de travailleurs étrangers dans les exploitations agricoles du sud de la France. Ce jeudi 8 juillet, la chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Marseille a condamné lourdement l’entreprise de travail intérimaire espagnole Terra Fecundis et ses dirigeants pour des “infractions de travail dissimulé, dissimulation de salariés et marchandage de main d’œuvre” le tout “en bande organisée”

Dans son délibéré, le président de la sixième chambre correctionnelle, Pierre Jeanjean a condamné lourdement les trois anciens dirigeants de l’entreprise de travail intérimaire à une peine de quatre ans de prison avec sursis, assortie de 100 000 euros d’amende et d’interdiction définitive de gestion. 

Leur société, rebaptisée Work for all, devra payer quant à elle 500 000 euros d’amende, le maximum prévu par la loi, avec “interdiction définitive d’exercer l’activité de travail temporaire et confiscation des biens saisis“. Quatre autres personnes notamment chargées de la gestion et de l’hébergement ont été condamnées à des amendes et des peines de prison avec sursis pour des faits de complicité des mêmes infractions. Assurant une fonction logistique, les entreprises qui transportaient les saisonniers comme Terra Bus ont également été condamnées à des peines de prison avec sursis assorties d’amende.

Fraude XXL

Les peines sont lourdes, à l’image des fraudes XXL organisée par l’entreprise de travail intérimaire de 2012 à 2015. Sur cette période, 26000 salariés majoritairement sud-américains ont été contraints pour la plupart de travailler 70 heures par semaine, privés d’heures supplémentaires, sans congés ni suivi médical et logés dans des baraquements dignes de Germinal d’Émile Zola. Le tout pour un manque à gagner estimé à 112 millions d’euros par la sécurité sociale. Le second volet dédié à la fraude aux cotisations sociales sera, lui, jugé le 19 novembre prochain au tribunal correctionnel de Marseille.

Nous ferons appel de cette décision, la question du marchandage sera notamment réexaminée“, déclare Beryl Brown l’avocate des prévenus dans ce dossier. Une opération qui s’annonce délicate tant les critères du marchandage, à savoir le préjudice subi par les salariés et le contournement du code du travail et des conventions collectives semblent évidents dans ce dossier. “Ce jugement est décevant, les trois dirigeants ont pris la même peine, alors que Juan José Lopez Pacheco a tenu à se déplacer de Murcia en Espagne pour assister au procès contrairement aux autres”, déplore aussi l’avocate.

Dans son délibéré, le juge A estimé que la fraude représentait un véritable “business plan”.

Car dans son délibéré, le président a comparé cette fraude au travail détaché à un véritable “business plan” conscient et collectif “pour assurer [leur] profit, tout en recourant à une main d’œuvre docile peu susceptible de revendiquer ses droits“. Cette qualification formulée par le président satisfait en premier lieu la fédération générale agroalimentaire CFDT. “Aujourd’hui un système a été mis au jour, un système qui permet aux employeurs de tirer vers le bas les salaires dans l’agriculture,” s’est réjoui Jean-Yves Constantin, représentant CFDT, présent au délibéré. 

La décision d’aujourd’hui condamne le système Terra Fecundis, c’est-à-dire un système contournant les directives européennes en vigueur, abonde l’avocat du syndicat, Vincent Schneegans. La circonstance aggravante de bande organisée a été retenue, c’est une étape clé. La prochaine étape sera la mise en cause des exploitants agricoles.”

Les absents du procès

La question des agriculteurs qui ont profité de cette main d’œuvre proposée par Terra Fecundis est une zone grise du dossier, comme le rappelle Béatrice Mésini chercheuse au CNRS et membre du Codetras, le comité de défense des travailleurs étrangers dans l’agriculture, également présente lors du délibéré : “la question a été posée au procès au procureur Xavier Leonetti, mais pour des raisons d’économie, le parquet a choisi de ne pas poursuivre les exploitants.” Lors du délibéré cependant, les donneurs d’ordre français n’ont pas été oubliés par le président, ce dernier avançant qu’[ils] “ont pu profiter sans vergogne des services de Terra Fecundis en laissant d’autres se salir les mains“. L’impasse ne devrait pas se répéter lors d’un deuxième procès visant Terra Fecundis, annoncé pour le 18 mars 2022, devant le tribunal correctionnel de Nîmes. Les faits jugés porteront cette fois sur la période 2016-2019, et une “petite dizaine” d’exploitants font partie des prévenus, selon l’AFP. Dans une région où, selon les calculs de la CFDT, le travail détaché pourrait représenter 18% du volume de travail global dans le secteur agricole, le dossier devrait être suivi de très près. 

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