Procès de la Yemenia : les familles marseillaises revivent le crash avec le récit de Bahia
L'audition de Bahia Bakari, l'unique survivante du crash de la Yemenia Airlines en 2009, était l'évènement attendu de ce procès ouvert il y a deux semaines au tribunal correctionnel de Paris. Plusieurs familles de victimes marseillaises sont venues écouter sa retransmission à la caserne du Muy.
Le tribunal judiciaire de Marseille à la caserne du Muy (3e arrondissement).
Une robe rouge, un polo vert et un voile blanc colorent la salle des procès hors normes du tribunal judiciaire de Marseille. Une vingtaine de personnes occupent les bancs au fond de l’immense pièce pour assister à la retransmission du procès de la Yemenia Airlines, qui se déroule depuis le 9 mai au tribunal correctionnel de Paris. Sur les 560 parties civiles, beaucoup sont marseillaises et ont fait le déplacement à Paris. Mais celles qui n’ont pas pu viennent à la caserne du Muy (3e), accompagnées par des proches et des soutiens.
La compagnie aérienne yéménite est jugée pour “homicides et blessures involontaires” après le crash d’un de ses avions survenu en mer près des côtes comoriennes le 30 juin 2009. L’accident avait fait 152 victimes, dont 61 Marseillais. Treize ans plus tard, il reviendra donc aux juges de se prononcer sur la décision de la Yemenia Airlines d’avoir “maintenu les vols de nuit à destination de Moroni en dépit du dysfonctionnement des feux de l’aéroport dont elle avait connaissance ” et de ne pas avoir dispensé “à ses pilotes une formation suffisante“. Après la semaine consacrée aux experts techniques sur les causes de l’accident, l’une des auditions les plus attendues s’est déroulée ce lundi 23 mai dans la matinée : celle de Bahia Bakari, l’unique survivante de la tragédie.
“Il faut du courage pour faire ce qu’elle a fait”
Vêtue d’une chemise et d’un pantalon blancs, les cheveux tirés en une queue de cheval basse, la jeune femme de 25 ans s’approche la barre pour témoigner. À Marseille, la caméra met un moment avant de donner à voir le visage de Bahia Bakari. Elle raconte son état d’excitation avant le vol vers les Comores avec sa mère, pour le mariage de son grand-père : elle a alors douze ans et c’est son premier voyage en avion. Son récit, elle le ponctue de sourires malgré le drame qu’elle dépeint.
Dans l’avion, elle se rappelle des plaintes des passagers au sujet d’une “odeur de toilettes” et de la présence de mouches. Mais entre le moment où elle ressent comme “une décharge électrique” et son réveil dans l’eau, elle a “un trou noir“. Elle s’agrippe à un débris d’avion puis entend des voix de femmes appeler à l’aide en comorien et en français, sans pouvoir distinguer aucune silhouette. “Je vois l’île que j’essaie de rejoindre mais la mer est agitée“, poursuit-elle. Elle est secourue et transportée à l’hôpital onze heures après le crash. Ce témoignage, elle l’a déjà partagé dans un livre paru en 2010. “Je l’ai écrit pour les familles des victimes, précise-t-elle à l’audience. Si ça n’avait été que moi, je l’aurais fait plus tard.”
On n’a pas tous cette capacité à témoigner, certaines familles ne peuvent même pas évoquer le crash.
Mohamed Itrisso, association Ushababi
Dans la salle des procès, pas un bruit, pas une sonnerie de téléphone. Les yeux sont rivés aux écrans. Certaines personnes arrivent au fil de la matinée et rejoignent des proches. La façon qu’a Bahia de prendre la parole impressionne. “On peut lui dire bravo. Il faut avoir du courage pour faire ce qu’elle a fait et maintenant elle avance. C’est ce qu’on appelle la résilience“, félicite Zilé Soilihi, venu l’écouter par solidarité “en tant que Comorien“. Mohamed Itrisso, le président de l’association Ushababi qui aide des familles de victimes depuis le drame, abonde : “On n’a pas tous cette capacité à témoigner, certaines familles ne peuvent même pas évoquer le crash“. À Paris, les juges, les avocats et la procureure ont tous un mot de remerciement et d’admiration pour la rescapée avant de poser quelques questions sur l’état de l’avion avant et après l’accident.
La réorganisation familiale
La pause déjeuner finie, le tribunal revient pour auditionner à distance Jean Nodin, un psychiatre marseillais qui répond depuis la caserne du Muy. Le médecin choisit ses mots pour expliquer ce que représentent ces pertes. “Avec l’avion, ce sont les rêves et les projets qui sont engloutis“, en citant l’exemple d’une jeune femme décédée, future mariée. Il décrit aussi toute la réorganisation familiale qu’impose cette tragédie. “Mon père était éboueur, il commençait à 4 heures du matin, alors le temps qu’il change de métier, c’est notre tante qui s’est occupée de nous”, expliquait auparavant Bahia Bakari tout en soulignant le sentiment de culpabilité qui l’a envahie. “Je voyais bien que mes frères et sœurs avaient besoin de ma mère, je me suis dit que ç’aurait été mieux qu’elle ait survécu plutôt que moi“, poursuit-elle douloureusement.
En écoutant Bahia Bakari, Malika* voit quelqu’un de “costaud” qui “donne un peu d’espoir“. Cette mère marseillaise a perdu son mari dans cet accident, alors le récit de la jeune survivante ravive la blessure. Les parties civiles seront auditionnées dans les jours qui viennent, mais elle n’y participera pas. “C’est trop difficile“, sourit-elle en essuyant les larmes qui perlent sur ses joues. D’autres proches de victimes présents à Marseille ne souhaitent pas s’exprimer.
Au cours des auditions, l’absence de représentants de la compagnie aérienne revient plusieurs fois. “Qu’est-ce que vous auriez aimé dire à la Yemenia ?“, demande un avocat des parties civiles à la jeune rescapée. “De l’écoute et des excuses, répond-elle. J’ai de la chance d’être dans une communauté comorienne très solidaire. Ça a été très long d’être indemnisé et certains se battent encore 13 ans après“.
Une attente trop longue pour Mohamed Itrisso. “On est devenus une grande famille, on prend des nouvelles et on essaye de maintenir les liens parce que personne ne va le faire pour nous“. Venu écouter Bahia, il reste confiant : “C’est la lumière d’espoir qu’il nous reste. Son visage fera qu’on ne peut pas oublier“.
* Le prénom a été modifié.
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si ce vol tragique avait été diurne ou si les gilets de sauvetage avaient été distribués à temps, il y aurait eu plusieurs autres personnes rescapées :
les pêcheurs locaux qui se sont portés spontanément (et courageusement) sur le lieu du krach dès qu’il a fait jour, ils seraient, non seulement, les héros sauveteurs de l’adolescente rescapée, mais carrèment des super-héros multi-sauveteurs
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