Pourquoi la relance du fret ferroviaire ne fera pas baisser le nombre de camions à Marseille

Décryptage
le 20 Fév 2024
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L’amélioration des accès ferroviaires du port ne diminuera pas la quantité de poids lourds par rapport à aujourd’hui et ne réduira presque pas la pollution pour les quartiers situés à proximité. Elle devrait simplement permettre de ralentir l’augmentation du trafic routier, tout en maintenant l’activité portuaire.

Le tunnel de Soulat, sous l
Le tunnel de Soulat, sous l'école du quartier de Consolat et le lycée Saint-Exupéry, raccorde le port au terminal de Mourepiane. (Photo : RB)

Le tunnel de Soulat, sous l'école du quartier de Consolat et le lycée Saint-Exupéry, raccorde le port au terminal de Mourepiane. (Photo : RB)

En préparation depuis longtemps, l’enquête publique sur la “reconstitution des fonctionnalités ferroviaires du Canet” a finalement bien lieu. Depuis la mi-janvier, et jusqu’à ce mercredi 21 février, il s’agit de présenter et débattre sur ni plus ni moins que les accès en train de la partie marseillaise du grand port maritime (GPMM). Pour les uns, requalifier les rails est un atout essentiel pour l’attractivité du port. Pour les autres, c’est un générateur de nouveaux trafics de marchandises synonymes de nuisances. Une confrontation des points de vue qui avait débouché sur l’annulation du projet en 2015, alors connu sous le nom de raccordement de Mourepiane. Ce cheminement ferré permet une connexion directe entre le terminal éponyme, situé à Saint-André (16e), et la ligne Marseille-Paris.

L’argumentation est simple : faciliter l’accès des trains de marchandises vers les quais permet d’éviter que ces mêmes marchandises arrivent en camion. Sur le papier, cette solution rend le port plus performant sur sa gestion des flux de conteneurs et de remorques, le tout avec moins de poids lourds. Ce qui signifie en toute logique moins de pollution. De quoi ravir le plus grand monde et calmer les esprits dans un contexte où les riverains du port se plaignent vigoureusement de la pollution qu’engendrent les navires, la croisière en tête. La présentation des bienfaits du fret ferroviaire est pourtant largement biaisée. Les études présentées au cours de l’enquête publique indiquent que le nombre de camions autour du port va bien augmenter par rapport à aujourd’hui, raccordement de Mourepiane ou non.

Zone étudiée pour l'étude sur la qualité de l'air dans le cadre de l'enquête publique du projet de reconstitution des fonctionnalités ferroviaires du Canet (2024).

La zone d’étude concerne les quartiers à proximité immédiate du port, c’est-à-dire à gros traits de Saint-Henri à Arenc (voir photo ci-contre). Une partie de la ville traversée par l’A55, accès idéal pour rejoindre les différents terminaux. Dans cette aire, et dans un monde où le port mène son projet à bien, le nombre de kilomètres parcourus par les poids lourds augmente de 8,7 % à l’horizon 2046. Une croissance tendancielle, en lien avec celle du trafic mondial, à laquelle peut s’ajouter la meilleure compétitivité du port qui attire plus de transporteurs grâce à… sa connexion en train. Il est en effet difficile d’imaginer que la totalité des transporteurs choisissent de mettre leurs conteneurs arrivés à Marseille en bateau directement sur un train, bien que ce soit l’objectif du port.

Une hausse du trafic moins forte grâce au train

Si le port évoque un projet qui “évite 130 poids lourds par jour en 2026 et jusqu’à 270 poids lourds par jour en 2046” sur l’A55, c’est parce que les études estiment que sans le raccordement de Mourepiane la hausse des kilomètres parcourus par les poids lourds serait de 14,6 %, soit tout de même six points de plus qu’avec un meilleur branchement ferroviaire. La projection du nombre de camions au niveau de Saint-André issue de l’enquête publique montre clairement cette hausse, atténuée avec l’arrivée du train.

Evolution du nombre de poids lourds par jour au niveau de Saint-André d'après l'étude de trafics dans le cadre de l'enquête publique du projet de reconstitution des fonctionnalités ferroviaires du Canet (2024).

Évolution du nombre de poids lourds par jour au niveau de Saint-André d’après l’étude de trafics dans le cadre de l’enquête publique du projet de reconstitution des fonctionnalités ferroviaires du Canet. Le scénario “Référence” représente la hausse sans le projet.

Néanmoins, les projections de trafic sans le raccordement paraissent exagérées. Pour la situation dite “de référence“, c’est-à-dire sans le projet, le port se base sur un scénario dans lequel “le trafic des frets [du Canet] est reporté sur les poids lourds“. La gare du Canet accueille aujourd’hui environ quatre trains par jour. Dans la version 2015 de la reconfiguration du terminal de Mourepiane, tous devaient venir sur le port. Désormais, Marseille ne doit accueillir que ceux destinés à prendre la mer ou à rester dans un rayon proche, soit la moitié. Le reste des conteneurs ira sur la plateforme Clésud au nord de Miramas.

Les voies ferrées du GPMM, avec en pointillé le projet de raccordement, qui forme une boucle au nord de Saint-André. Image : GPMM

Que se passerait-il sans le raccordement de Mourepiane ? Le recours au camion ne deviendrait pas obligatoire puisque les trains peuvent tout de même accéder au port en passant par le seul autre accès ferroviaire actuel, le faisceau d’Arenc plus au Sud, bien que ce passage soit plus complexe. Au-delà du cas des marchandises du Canet, le GPMM et les acteurs économiques de la place portuaire ne cachent pas que la non-réalisation du raccordement de Mourepiane conduirait les activités des terminaux, le conteneur et les remorques, à péricliter. Ce qui reviendrait à donner un scénario de référence certes sans pollution, mais aussi sans activité portuaire.

Les émissions de CO2 augmentent

En revanche, avec les scénarios étudiés, et que les infrastructures soient revitalisées ou non, l’impact sur la pollution est minime. Le gain du train par rapport au camion pour les longues distances ne fait guère de doute. Le GPMM avance dans son bilan carbone “près de 54 000 tonnes de CO2 évitées par an“. De quoi être pleinement dans la décarbonation que prône le port dans chacune de ses actions, mais qui ici ne s’applique pas à proximité immédiate.

Pour le monoxyde de carbone (CO) et l’oxyde d’azote (NOx), la baisse des émissions est “liée à l’amélioration technologique du parc roulant au fil du temps“. À l’inverse, l’accroissement du trafic de camions au fil des années entraîne une augmentation de la présence du dioxyde de carbone (CO2), de 14,3 tonnes quotidiennes en 2021 à 15,8 tonnes dans le meilleur des scénarios. Pour ces trois gaz, le projet ferroviaire permet une légère baisse, autour de 2,5 % en 2026 et de 5 % en 2046, par rapport à la situation de “référence”.

Mais le train n’est pas une solution magique, le développement du fret sur rails va créer de nouvelles émissions dans des quantités importantes. En les cumulant avec le trafic routier, le projet fait même légèrement augmenter la quantité de NOx (2%) à la mise en service en 2026. Ce n’est qu’en 2046 qu’il est censé avoir un impact bénéfique, moins 11%, sur la qualité de l’air du secteur.

Une pente trop raide pour les trains électriques

Cette brusque diminution “s’explique par la mise en place de motrices non polluantes dès 2035 “, qui est un des objectifs de la SNCF et du port. Ce qui ferait tomber les émissions des trains de fret à zéro dans les études. Alors qu’aujourd’hui, l’usage de locomotives diesel prime. Cette ambition reste toutefois à concrétiser. Lors de la concertation de novembre, le responsable maîtrise d’ouvrage du raccordement chez SNCF Réseau Stéphane Piton évoquait “la solution électrique (qui) présente le moins de nuisance, mais elle est plus chère, donc un transporteur a peu de chance de la choisir“.

Un frein financier auquel s’ajoute une contrainte technique comme l’indique le résumé de l’enquête publique : “Le raccordement ferroviaire de Mourepiane présente une pente moyenne de 1,2 %. La puissance des motrices électriques ne permet pas de tracter des trains fret massifs (1600 tonnes) sur des pentes présentant ce profil“. Autrement dit, la motrice sans émission envisagée n’existe pas aujourd’hui. Cette observation n’a pas échappé à Stéphane Coppey, délégué aux transports de la fédération France nature environnement des Bouches-du-Rhône. Sa demande : “que les trains n’empruntent pas le raccordement pour sortir du port [en montée, ndlr] mais seulement pour arriver“. Histoire que la décarbonation profite à tous.

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Commentaires

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  1. Pascal L Pascal L

    P. 32 du “résumé non technique” on peut lire : “la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer, les bassins Ouest s’étendent sur 10 000 hectares. Ils sont accessibles aux plus grands navires et dédiés aux grands flux intercontinentaux, à l’industrie et à la logistique. De l’autre, les bassins Est à Marseille couvrent 400 hectares et sont spécialisés dans la réparation navale et dans les flux méditerranéens de marchandises, de passagers de lignes régulières et de croisières.”
    On pourrait donc envisager de transférer “les flux méditerranéens de marchandises” sur le bassin ouest et donc réduire le flux de camions dans Marseille.
    “Le trafic traité est aujourd’hui très majoritairement constitué de trafic multimodal, de conteneurs ou caisses mobiles, à destination ou en provenance de Lyon, Lille ou Paris”

    “Synoptique du fonctionnement actuel
    • Le fret continental (40 000 UTI/an) 1 et le fret maritime (15 000 UTI/an), chargés sur les mêmes trains, arrivent sur le faisceau de voies longues du chantier de transport combiné du Canet, depuis la ligne de l’Estaque.”

    Mais ensuite, le dossier donne à croire qu’un trafic important ne sert qu’aux besoins de la ville de Marseille (et de l’est du département) alors qu’une bonne partie de ce fret passe par Marseille car les infrastructures sont sur Marseille Nord et pas forcément en raison de l’existence du port. Si les sociétés de transport déplacent leur zone de stockage hors du centre-ville, une bonne part de ce trafic disparait et, réciproquement, la constitution d’une zone de fret à proximité des bassins ouest inciterait les sociétés de transport à déplacer leur zone de traitement.
    Donc, pour appuyer sa thèse, le dossier “fait comme si” toutes les infrastructures de transport restaient à l’identique, quelque soit le projet opéré.

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    • Pascal L Pascal L

      De plus, je note une certaine obsolescence des études présentées : on reste, par exemple, sur l’idée d’une montée en puissance du trafic sur le GPMM (ce qui n’est pas arrivé : https://marsactu.fr/bref/magre-un-trafic-en-forte-baisse-le-port-poursuit-son-developpement/) et du trafic vers le bassin Est.

      Enfin, en termes d’emploi, le document indique : “l’activité conteneurs liée au terminal Med Europe génère actuellement 150 emplois pour 100 000 conteneurs traités par an. Les emplois qui y sont liés sont de différente nature :
      • 45 postes de dockers,
      • 5 postes pour la porte d’accès,
      • 40 postes pour la maintenance,
      • 60 postes voués à l’administration, aux études et à la direction.

      Donc pour éviter de déplacer 90 emplois à EuroFos (car la direction et une bonne part de l’administration et de la “direction” peut se faire à distance), on envisage de faire circuler une quantité énorme de camions dans la moitié de la ville et de remettre en service (à grand frais) une gare de marchandise à Mourepianne.

      Bref, un dossier totalement construit pour justifier un choix pas forcément pertinent mais qui semble déjà acté.

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  2. Regard Neutre Regard Neutre

    Rémy Baldy
    La motrice sans émission envisagée n’existe pas aujourd’hui.
    “La puissance des motrices électriques ne permet pas de tracter des trains fret massifs (1600 tonnes) sur des pentes présentant ce profil“.
    Observations à cette problématique du délégué aux transports de la fédération France nature environnement des Bouches-du-Rhône: “que les trains n’empruntent pas le raccordement pour sortir du port [en montée, ndlr] mais seulement pour arriver.

    Cette affirmation semble aujourd’hui ridicule aux observateurs, alors que des solutions existent ailleurs dans le monde,notamment en Suisse, pour permettre aux trains électriques d’emprunter le raccordement en montée pour sortir du port avec des conteneurs…
    Alors à Marseille on continue au diesel !Le Mistral balaye la pollution atmosphérique générée par les bateaux les camions et les trains…
    Pour le premier port de France qui se veut acteur de la décarbonisation,il est crucial de rechercher des solutions techniques et opérationnelles pour surmonter les défis liés aux rampes et aux pentes raides, plutôt que de limiter arbitrairement l’utilisation des infrastructures existantes.
    En fait le raccordement ferroviaire de Mourepiane traverse les quartiers Nord…

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    • Pascal L Pascal L

      D’ailleurs la phrase du rapport aurait du être celle-ci : “La puissance des motrices électriques ne permet pas de tracter des trains fret massifs (1600 tonnes) sur des pentes présentant ce profil AVEC UNE SEULE MOTRICE“.

      Il est d’ailleurs écrit un peu plus loin : “les trains de plus de 1700 tonnes ont besoin de 2 locomotives électriques pour franchir le raccordement de l’Estaque.”.

      De plus, il faudrait savoir avec quelles motrices les calculs ont été envisagés ; les plus récentes comme les TRAXX MS3 de Bombardier ont une puissance maximale équivalente à un demi TGV. Or le TGV peut tracter 400 tonnes (donc certes, 4 fois moins) mais sur une pente 3 fois plus forte (3,5 % ) et, surtout, à une vitesse de 250 km/h dans ces montées.

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    • Regard Neutre Regard Neutre

      En somme, l’analyse du dossier d’enquête faite par Marsavtu souligne les défis et les limites de la relance du fret ferroviaire à Marseille, ainsi que les questions en suspens concernant son impact réel sur la réduction du trafic routier, la décarbonation des transports et de la pollution.

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  3. Marc13016 Marc13016

    L’hypothèse de base du projet est très certainement caduque : Il n’y a probablement aucun intérêt à maintenir une activité conteneur à Marseille. Il y a par contre un gros intérêt à la concentrer, l’optimiser et la renforcer à Fos. C’est du bon sens géographique.
    L’activité portuaire sur Marseille peut évoluer, pour préserver et même dynamiser l’emploi sur cette zone.
    A trop rester figé sur les schémas du passé, on rate des évolutions industrielles majeures. Et, après, bonjour la casse sociale dans 10 ans. Sans parler de la casse environnementale et sanitaire, immédiate celle là.
    Ces choix stratégiques ne seraient il pas fait sous influence des quelques rares dockers qui s’accrochent à leur job sur Marseille, croyant les préserver ? Plus pour longtemps hélas. J’aimerais me tromper.

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  4. barbapapa barbapapa

    La logique économique, et l’intérêt de Marseille, du port, et des poumons de milliers de petits marseillais poussent à la concentration du fret sur les grandes étendues de Fos et Port Saint Louis. Ouste !

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