Pour sauver l’étang de Berre, l’Europe suggère d’irriguer le privé

Décryptage
le 18 Juil 2024
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Ce mardi, un comité stratégique de sauvegarde de l'étang de Berre a réuni en préfecture les acteurs locaux concernés par le sujet. Une réunion qui a tourné autour de la question de la dérivation de l'eau douce déversée par EDF. Et du financement de cette solution au coût astronomique.

Plage de Saint-Chamas, au bord de l
Plage de Saint-Chamas, au bord de l'étang de Berre. (Photo : CV)

Plage de Saint-Chamas, au bord de l'étang de Berre. (Photo : CV)

Il faut sauver l’étang de Berre. Le constat est unanime depuis plusieurs décennies. L’origine principale des dégâts subis par cet écosystème est également connue de tous. Pour que le vivant reprenne ses droits dans la plus grande lagune d’Europe, la centrale EDF hydroélectrique de Saint-Chamas doit arrêter d’y rejeter de l’eau douce de la Durance. Ou au moins, réduire ces rejets. Outre la réouverture du tunnel du Rove, qui permettrait de relier l’étang à la mer et lui offrirait ainsi une légère respiration (lire encadré au bas de l’article), la solution de la dérivation du canal EDF hors de l’étang revient une nouvelle fois sur la table. Reste à savoir vers où, et surtout, comment financer ces travaux pharaoniques, estimés entre un et deux milliards d’euros.

Ce mardi 16 juillet, un comité stratégique a réuni une cinquantaine d’acteurs locaux en préfecture pour évoquer le sujet. Étaient présents autour de la table les représentants de l’État, des collectivités locales, des communes du pourtour de l’étang, du Gipreb (le syndicat mixte pour la réhabilitation de l’étang de Berre), des associations de défense de l’environnement, du Grand port maritime de Marseille, de la Chambre de commerce et d’agriculture, mais également de la Banque européenne d’investissement. Après une présentation de l’état actuel de l’étang – plutôt bon en ce moment du fait des diminutions des rejets d’EDF – un exposé plus technique des pistes de dérivation et de leur financement a occupé la majeure partie de ces trois heures de réunion.

Valorisation Vers l’agriculture ?

Plusieurs options ont ainsi été évoquées. L’une d’elles consiste à dériver l’eau en amont, au niveau de Mallemort pour une utilisation agricole. “On pourrait ainsi irriguer la Crau, les Alpilles, la Camargue…”, énumère Raphaël Grisel, directeur du Gipreb. Pour ce faire, la construction de bassins de stockage serait nécessaire. Une modalité qui, selon plusieurs sources présentes lors de cette réunion, déplairait aux représentants de la Chambre d’agriculture qui n’envisagent pas d’utiliser des terres arables pour construire de tels ouvrages. Contactés, ces derniers n’ont pas répondu à Marsactu dans les délais impartis à la publication de cet article. “On parle là de bassines de 800 hectares, même si le terme n’a pas été employé”, décrypte pour sa part Stéphane Coppey, pour l’association France Nature environnement.

Ceci dit, la piste de l’irrigation de terres agricoles ne permettrait de réduire les rejets dans l’étang que de manière insuffisante, estime-t-on. “On parle de 400 à 600 millions de mètres cubes”, jauge à la grosse louche Didier Khelfa, maire de Saint-Chamas et président du Gipreb. Actuellement, EDF bénéficie d’autorisations qui lui permettent de turbiner jusqu’à 1,2 milliard de mètres cubes par an. Bien qu’un protocole d’accord échelonnant les rejets sur les mois les moins critiques pour le milieu naturel vient d’être conclu.

Et l’industrie ?

La seconde piste, elle, est bien plus conséquente en termes de volume absorbés. Surtout, elle pourrait permettre à EDF de turbiner davantage. “L’idée est de redistribuer l’eau après le turbinage. Il faut se concentrer sur les énergies propres et nous avons là un outil performant…”, défend Didier Réault. Le vice-président (LR) de la métropole délégué à la mer, au littoral, et au cycle de l’eau dirige ainsi son regard vers le Grand port maritime de Marseille, qui accueille en son sein des entreprises actuelles ou futures avec d’importants besoins en eau. Notamment celles qui fabriquent de l’hydrogène. Le surplus serait ensuite rejeté dans le Rhône.

Sauf que le port n’y voit pas d’intérêt. Il utilise actuellement de l’eau en sortie de Rhône très peu chère et n’a donc aucune raison de se tourner vers cette nouvelle ressource”, coupe court Raphaël Grisel. Quelle que soit la solution choisie, le nœud du problème reste le même : “il faut construire les canalisations”, pose Didier Réault dans un rire nerveux. Construire, et avant ça, trouver les financements pour mener ces travaux d’ampleur.

“Marchandisation de l’eau”

Sur ce point, la Banque européenne d’investissement est censée proposer une maquette financière. Si le portage envisagé reste public, l’intérêt d’une valorisation apparaît nécessaire pour équilibrer in fine les coûts du projet. “La Banque européenne fait en sorte que les investissements soient le moins possible publics, mais proviennent de ceux qui bénéficieront de cette eau : les industries, les agriculteurs, EDF…”, énumère Raphaël Grisel. Autre piste envisagée : mettre autour de la table des grands groupes de distribution d’eau potable, qui pourront participer au financement des travaux. “Cela n’a pas été évoqué, mais cette équation économique ne tient que s’il y a un acheminement vers l’étranger, comme la Catalogne par exemple, s’inquiète encore Stéphane Coppey. Une marchandisation de l’eau à laquelle s’opposent nos associations.”

Toutes ces pistes de dérivation, liées en bout de course à d’éventuels financeurs, ne reposent pour le moment sur aucun engagement. Même additionnés, ils ne pourront boucler la totalité du budget, et des financements publics sont inévitables. De plus, plusieurs dizaines d’années seront nécessaires pour lisser ces dépenses. “Si l’on n’est pas capable de financer, ce n’est pas la peine de se bercer d’illusions”, s’agace le maire de Saint-Chamas, qui tient à rappeler l’objectif initial : garantir la préservation écologique de l’étang de Berre. Un nouveau comité stratégique est prévu pour la fin de l’année. D’ici à là, les tractations devraient se poursuivre sur les rives de l’étang de Berre, loin des murs de la préfecture.

La réouverture du tunnel du Rove se précise
Lors de ce comité stratégique a également été évoqué le projet de réouverture du canal du Rove, censé apporter une bouffée d’air, ou plutôt d’eau salée, à l’étang de Berre. Bien que les impacts bénéfiques de cette option soient relativement faibles, le Gipreb salue une avancée sur ce dossier. En effet, le projet devrait s’agrémenter cette année d’une étude d’impact. “Des études sont faites depuis des années, mais là il s’agit d’un acte administratif et il a fallu batailler pour en arriver là”, souligne Raphaël Grisel, le directeur du syndicat mixte. L’étude devrait être lancée en septembre, indique pour sa part l’élu métropolitaint Didier Reault. Il espère dans la foulée une demande d’autorisation des travaux, qui pourraient ainsi débuter en 2025 ou début 2026.
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Commentaires

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  1. barbapapa barbapapa

    Il faut écouter Stéphane Coppey, c’est le sage de l’histoire !
    Autre intervenant dans l’Etang, sans subventions, Pascal Bazile et ses projets Zorro et autres de réimplantations d’algues et huitres plates. Et ça marche !
    https://souslasurfacedeletang.home.blog/

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      Merci de rappeler Zorro, ce projet remarquable d’expérimentations de réimplantation de flore sous-marine. LE PROBLÈME PRIMORDIAL pour la survie biologique de la mer de Berre est la centrale de St Chamas et ses rejets massifs d’eau douce (mise en service en 1966). Dès que le projet en a été divulgué au mitan des Trente Glorieuses, une opposition farouche s’est constituée de riverains, de pêcheurs, de plaisanciers et de ce que l’on appelait pas encore des écologistes mais des utopistes emmerdeurs (il a fallu attendre 1974 “le fada” René Dumont et son verre d’eau). Opposition balayée d’un revers de main par la morgue gaullienne. Pour éviter un manque à gagner pour EDF en cas d’arrêt de la centrale qui fonctionne déjà saisonnièrement au ralenti, des sommes gigantesques devront être engagées par la collectivité. Bel exemple de socialisation des risques et de privatisation des gains.

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    • Marc13016 Marc13016

      Il semble que ce manque à gagner, en cas d’arrêt ou de ralentissement de la centrale, est raisonnable : elle produit 200 Millions de kilowatt-heure par an, ai-je lu. à 0,02€ le Kilowatt-heure (prix de vente confortable), ça nous fait 4 M€ par an, si je calcule bien.
      Pas de quoi mettre EDF en faillite. (d’autant qu’il faut comparer au coût induit par la pollution actuelle de l’étang).
      Donc : stoppons ou limitons la centrale, et laissons l’eau suivre son cours dans la Durance. Les agriculteurs seront sûrement ravi de pouvoir puiser cette eau pour faire pousser leurs melons et leurs cerises vers cavaillon, quand il fera 50° l’été …

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  2. Bernard Honorat Bernard Honorat

    Tout l’est des BdR manque d’eau pourquoi ne pas réinjecter cette eau dans le canal de Provence et raccorder plus de communes. Les vallées de l’huveaune et de l’arc manquent d’eau. Pourquoi ne pas remplir les nappes phréatiques avec cette eau?

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