Pour le Haut comité au logement, “l’inaction publique est la cause du drame du 5 novembre”

Actualité
le 21 Nov 2019
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Instance nationale créée à la demande de l'Abbé Pierre, le Haut comité au logement pour les personnes défavorisées a décidé de faire de Marseille le sujet principal de son rapport annuel. Le tableau qu'il livre des responsabilités publiques dans le drame du mal-logement et dans le traitement de la crise qui l'a suivi est sans appel.

Pour le Haut comité au logement, “l’inaction publique est la cause du drame du 5 novembre”
Pour le Haut comité au logement, “l’inaction publique est la cause du drame du 5 novembre”

Pour le Haut comité au logement, “l’inaction publique est la cause du drame du 5 novembre”

L’état des lieux est celui d’un dysfonctionnement. Un dysfonctionnement à tous les étages des pouvoirs publics chargés de lutter contre l’habitat indigne. Le rapport du Haut comité au logement pour les personnes défavorisées (HCLPD) condamne l’immobilisme de tout un système grippé. Celui qui a mené au drame du 5 novembre 2018 et à la mort de huit personnes dans l’effondrement de trois immeubles rue d’Aubagne. Et à la crise du logement qu’il a révélée.

Créée en 1992 à la demande de l’Abbé Pierre, l’institution présidée par l’ancienne ministre PS et conseillère municipale d’opposition Marie-Arlette Carlotti regroupe élus de tout bord et spécialistes du logement. En mars dernier, ils avaient annoncé vouloir faire de Marseille, l’objet principal d’un rapport global sur les manquements dans la lutte contre l’habitat indigne en France. Leur constat, révélé début novembre par Libération, est accablant. Bientôt remis au Premier ministre, le rapport passe aussi au crible la gestion dans l’urgence de cette crise, qu’elle va jusqu’à qualifier de “maltraitante”, à ces débuts.

Pour la première fois, une institution ne recule pas devant la lourde question des responsabilités. “Lumière sur la rue d’Aubagne : l’inaction publique comme cause du drame”. Le titre de la sous-partie concernant les effondrements des immeubles ayant causé la mort de huit personnes est sans équivoque. Tout comme le titre de ce document de 85 pages : “Marseille : de la crise du logement à une crise humanitaire.”

“L’inaction publique, cause du drame”

L’un des immeubles effondrés appartenait à la Ville de Marseille. Les pouvoirs publics ne pouvaient ignorer les désordres qui touchaient ce bien immobilier, rappelle en substance le rapport du Haut comité, qui se base sur ceux effectués dans le cadre de l’enquête judiciaire en cours. Après ce rappel, l’institution gouvernementale écrit :

Dès lors, la question se pose de savoir pourquoi n’y a-t-il pas eu de prise d’arrêté
de péril imminent.
Les pouvoirs de police visent à assurer la protection des personnes. Ces obligations engagent la responsabilité du maire ou du président de l’établissement public de coopération intercommunal (EPCI), du préfet comme des agents assermentés ou non, chargés de la lutte contre l’habitat indigne. Dès lors qu’ils sont informés d’une situation de risque, ils se doivent de mettre en œuvre tous les moyens utiles dont ils disposent pour assurer la sécurité et la santé des personnes. […] À défaut, leur responsabilité pénale pourrait être recherchée, indépendamment de la responsabilité administrative de la collectivité.

La critique de la gestion de la crise, qui a suivi le drame, n’est pas moins vitriolée. La vague d’évacuations qu’a connue la ville après l’effondrement mortifère a été effectuée “sans prise en compte des dispositifs légaux”, décrit le document. Conséquence : l’identité de certaines personnes évacuées reste à ce jour inconnue, constatent les rédacteurs qui évoquent carrément “un début de prise en charge maltraitante” d’une crise qui est loin d’être résolue. En septembre 2019, quelques 3470 personnes délogées ont été recensées par les pouvoirs publics. Mais impossible de dire combien exactement sont encore hors de chez eux, loin des radars.

Manque de coordination

Le Haut comité au logement met également en lumière le parcours du combattant auquel les délogés ont dû se livrer (voir notre article en son et en images sur l’intimité brisée des délogés) et l’importance du travail des associations et collectifs dans cette période. Mais aussi celui de la Soliha, opérateur agréé pour prendre en charge les relogements, avec les limites qu’il comporte.

Enfin, les rapporteurs reviennent sur les nouveaux outils de lutte contre l’habitat indigne mis en place depuis le drame. Projet partenarial d’aménagement (PPA), Grande opération urbaine (GOU) société publique locale d’aménagement d’intérêt national (SPLA-IN) ou encore doublement des effectifs et fusion des services hygiène et sécurité à la Ville… Le Haut comité salue ces avancées. Il ajoute cependant : “des moyens supplémentaires, une gouvernance aux objectifs clairs et l’inclusion des habitants manquent toujours”. “La coordination entre les dispositifs est insuffisante”, pointe-t-il encore, notamment entre mairie et métropole. Mais si, dans la gestion de la crise, c’est la coordination qui fait défaut, le problème de fond est lui bien plus grave, juge le HCLPD.

Manque de volonté politique

“Le manque de volonté politique pour favoriser l’accès au logement social”. Voilà ce qu’entend pointer le Haut comité en faisant siennes les critiques habituelles des opposants à la politique municipale. Pourtant, “dans un contexte de raréfaction de l’offre, d’orientation des logements vers un usage commercial, de rente touristique, et d’augmentation des prix, une des réponses à apporter est celle du logement social, pour préserver l’accessibilité au logement des plus démunis”, estime-t-il, et éviter que ces derniers ne se retrouvent dans du logement privé indigne, social de fait. En la matière, Marseille fait office de très mauvaise élève.

En ne comptabilisant pas les résidences étudiantes, le taux de logement social tombe à 18,8 %* dans la deuxième ville de France. Là où le taux de pauvreté s’élève selon l’Insee à 26 % en 2016. Sans compter la très mauvaise répartition sur le territoire des logements très sociaux, “une forme de relégation”, n’hésite pas à écrire le Haut comité.

“Cette offre de logements accessibles aux plus modestes reste quasi inexistante dans les parties sud et est de la ville, très faible au centre et concentrée quasi-exclusivement dans les quartiers Nord, peut-on lire. Si les plus pauvres restent largement présents dans les quartiers centraux de Marseille, c’est au sein du parc privé, souvent dégradé”. Enfin, chiffre marquant, en ne respectant pas le seuil des 25 % de logements sociaux, ce sont environ 2500 attributions annuelles de logements sociaux qui passent à la trappe.

“Logique erronée et maltraitante”

L’attribution des logements sociaux elle-même, dysfonctionne, pose le Haut comité. Notamment dans l’application du Droit au logement (DALO), censé permettre aux ménages en situation de mal logement d’être relogés prioritairement. Dossiers rejetés, renvoyés vers un droit commun défaillant…”La vulnérabilité des ménages est au cœur de leur difficulté à faire valoir leurs droits”, généralise le rapport. Sauf qu’à Marseille, le dysfonctionnement du système de lutte contre l’habitat indigne complique encore un peu plus, comme s’il le fallait, la chose.

Les procédures classiques de lutte contre l’habitat indigne sont inopérantes à Marseille depuis de nombreuses années. Pourtant, le nombre de ménages reconnus dans le département des Bouches-du-Rhône semble extrêmement faible, au regard de la gravité de la situation.

Le haut comité du logement pour les personnes défavorisées.

Dans une logique “erronée et de surcroît maltraitante envers les personnes […] des centaines de dossiers ont ainsi été rejetés et renvoyés vers des procédures dites de droit commun inopérantes, voire inexistantes.” En tout, en 2018, quelques 1500 recours DALO ont été déposés. Seuls 300, soit 20 % ont été validés**.

“Même la solidarité territoriale n’a pas fonctionné”

Outre le rappel du paysage désastreux de l’habitat indigne à Marseille, largement présent dans le parc ancien dégradé et les grandes copropriétés fragilisées, déjà évoqué dans le rapport Nicol – rendu publique par Marsactu en 2015 (lire notre interview de Christian Nicol) -, le Haut comité pointe l’ampleur des signalements non traités, révélée par la crise de la rue d’Aubagne. Là encore, un chiffre dévoilé par Marsactu : la guerre entre les services de l’Etat et de la Ville a laissé sans réponse 1400 signalements, avant le drame de la rue d’Aubagne.

“La défaillance de la mairie a frappé la délégation du Haut comité, mais également l’incurie générale des acteurs, se renvoyant les responsabilités sur cet épineux sujet”, soulignent les rédacteurs. Et ces derniers de citer par exemple la non-utilisation des aides financières de l’ANAH (agence national de l’habitat). “Même la solidarité territoriale, après préconisation d’un comité interministériel, n’a pas fonctionné”, peut-on lire en conclusion de ce chapitre.

Encadrement des loyers, observatoire et parc relais…

Mais la richesse de ce rapport réside également dans les préconisations visant à “sortir de la crise à court et à long terme”. Elles comprennent quatre axes : favoriser une offre de logements abordables, donner plus de moyens aux services publics, utiliser la charte du relogement, et enfin, associer les habitants. Plus en détails, ce rapport suggère une longue liste de mesures concrètes comme l’encadrement des loyers. Mais aussi le transfert des pouvoirs de police municipaux en matière de sécurité et salubrité à la métropole. Ou encore de durcir les sanctions pour les marchands de sommeil, dont les actions pourraient être qualifiées de délits et de “mener une politique de repérage et de suivi de l’habitat indigne” avec par exemple la création d’un observatoire.

Au sujet de gestion de la crise, les rédacteurs envisagent de créer un parc relais à proximité des zones touchées par les évacuations pour sortir rapidement les personnes concernées de l’habitat indigne. Autre recommandation : augmenter les financements des pouvoirs publics pour les accompagnements des délogés. Enfin, le rapport préconise de permettre aux citoyens de faire valoir leur expertise dans le domaine, en rendant opposable la charte du logement mais aussi d’éviter la gentrification en faisant valoir le droit au retour des délogés. Ce document doit être remis prochainement au Premier ministre et pouvoirs publics concernés. Comme l’avait été en 2015 celui écrit par Christian Nicol. Avant d’être rangé au fond d’un tiroir. Jusqu’à ce que des immeubles s’effondrent.

* Chiffres appuyés par une étude d’Elisabeth Dorier et Julien Dario du LPED, appuyée par des cartes inédites réalisées par ces chercheurs.

** TS5 Com’DALO, Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages.

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Commentaires

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  1. Input-Output Input-Output

    C’est officiel, un néologisme est né : l'”inaction publique”. Voilà ce qui arrive quand nos “dirigeants” passent leur temps la tête dans le sable à chuchoter “Pas de vagues…” à tous ceux qui les entourent et les servent…en espérant ainsi que leurs châteaux de cartes tiendront encore en place et qu’ils seront réélus à la prochaine élection. Marseillais, vous savez ce qu’il vous reste à faire : vous débarrasser de ces professionnels de la politique qui sont payés par nous mais qui ne travaillent que pour leurs intérêts et ceux de leurs amis…Pour cela, il n’existe pas beaucoup d’options. Il n’y en a même qu’une seule : ProjetMarseille.

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  2. Raymond Dayet Raymond Dayet

    On ne peut que partager ce constat accablant fait par ce Haut Comité qui est d’ailleurs tout sauf une surprise. Mais j’avoue qu’il y en a marre des constats à priori . Je ne savais pas que Mme Carlotti était la présidente de cet organisme. Je ne sais pas quel est le rôle ni la fonction de ce Haut Comité , mais ça parait dramatiquement incroyable que Mme Carlotti avec sa double casquette d’élue marseillaise et de présidente de ce Haut Comité n’est pas eu les moyens de saisir la Préfecture, le maire de Marseille, la présidente de la Métropole ou je ne sais qui pour les obliger à agir. Un rapport sur ce qui s’est passé c’est bien et utile mais une saisine officielle avant aurait peut-être contraint les autorités à traiter le sujet plus tôt. D’autant plus qu’on avait la chance d’avoir une élue marseillaise à la tête de ce Haut comité qui connaissait forcément ces situations de mal logement . Dommage qu’il est fallu attendre cette catastrophe pour que le Haut Comité nous donne ses préconisations qui étaient à coup sur tout aussi pertinentes et fondées avant le drame. Du coup, ce rapport à posteriori sur les causes de la catastrophe, ça laisse un gout amer et une grande tristesse

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