La Madrague de Montredon veut solder les années de plomb

Reportage
le 10 Fév 2018
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Les travaux de dépollution de l'usine Legré Mante se profilent et la question de la pollution à la Madrague de Montredon divise toujours les habitants de ce quartier. Alors que des parents d'élèves se battent pour le principe de précaution, d'autres préfèrent tourner la page de ce lourd passé industriel.

Usine Legré-Mante. La Madrague de Montredon. (Photo : Violette Artaud)
Usine Legré-Mante. La Madrague de Montredon. (Photo : Violette Artaud)

Usine Legré-Mante. La Madrague de Montredon. (Photo : Violette Artaud)

De coquettes maisons aux couleurs pastels. D’étroites ruelles au détour desquelles apparaît le bleu profond de la Méditerranée. Un petit port de pêche qui abrite pointus et autres barques marseillaises. En ce mois de février, à la Madrague de Montredon, porte du parc des Calanques, règne un calme absolu. Même l’immense cheminée de l’ancienne usine d’acide tartrique Legré Mante semble plongée dans un sommeil profond. Mais les apparences sont parfois trompeuses. Car au pied de ce témoin d’un passé industriel, se joue la réputation d’un quartier aux allures de carte postale. Et se posent des questions de santé publique.

“Ce midi encore, ils ont mangé ici. Ils font des carottages autour de l’usine pour leurs travaux de dépollution”, commence Denis, le patron du Bistro marin qui fait face à l’imposant mur d’enceinte du site industriel. “Ils”, se sont les employés de Ginkgo, un “fond de dépollution” spécialisé dans le rachat et le réaménagement de friches industrielles sensibles. Le 20 septembre dernier, la préfecture a pris un arrêté afin d’imposer au propriétaire des lieux des prescriptions “dans le cadre de la modification des conditions de dépollution et de réhabilitation de l’ancien site Legré Mante”. Selon cet arrêté, une “étude d’interprétation des milieux” devait être remise au préfet fin janvier.

“J’en peux plus de ce mur”

Voilà des années que les tentatives de reconversion du site se succèdent. En 2016, la justice enterrait un projet de 285 logements, après de nombreux recours de riverains. Pourtant, ici, les commerçants n’ont qu’une hâte : voir enfin disparaître l’usine. Lynn, “la créatrice de mode de la Madrague”, est fille de pêcheur et dit “ne plus en pouvoir de ce mur des lamentations” qui ne lui rappelle que des mauvais souvenirs. “Ils avaient des problèmes avec leur système d’épuration il y avait des odeurs nauséabondes dans tout le quartier”, se remémore la jeune femme dans sa boutique. Au Bistro marin, les souvenirs ne sont pas plus agréables. “Parfois, on se baignait dans la lie de vin qu’ils utilisaient pour faire l’acide tartrique et qu’ils rejetaient comme ça dans la mer”, se souvient le patron.

Ancienne usine Legré Mante. La Madrague de Montredon.

Alors, c’est avec plaisir que Denis a servi le plat du jour aux employés de Ginkgo. “J’en peux plus de le voir ce mur, qu’on en finisse, qu’ils nous mettent des logements. Ça, c’est bon pour les commerces, pour les pêcheurs, ça va faire du monde ici, s’impatiente-t-il, approuvé par Patrick, un collègue pêcheur venu prendre un café. Les nouveaux avec leurs histoires de pollution, il faut qu’ils arrêtent.” Voilà un sujet qui a tendance a rompre rapidement le calme apparent de la Madrague. “Avant, quand l’usine tournait, personne ne disait rien et maintenant qu’elle est à l’arrêt et qu’on veut la remplacer ça pose problème ?!” finit par s’énerver Denis. Pour lui, comme pour Patrick et Lynn, ceux qui s’opposent au projet ont “forcément des intérêts immobiliers” ou “peur que la route soit encore plus embouteillée”“Toujours des nouveaux arrivants”, disent-ils.

“Sujet sensible”

Tirer un trait sur le passé industriel du lieu, fermer les yeux sur des centaines d’années d’activité qui ont pollué les sols, la mer et l’air : c’est exactement ce contre quoi se bat une petite poignée de parents de l’école de la Madrague de Montredon. Le soir du lundi 5 février, alors que la sonnerie qui annonce la fin des classes a retenti depuis plus d’une heure et que la plupart des enfants sont rentrés chez eux, ça s’agite devant le portail. À mesure que la nuit tombe, un rassemblement se forme. Trois policiers sont même sur place. Car ce soir, dans la salle de permanence de l’école élémentaire, un “sujet sensible” va être évoqué à l’initiative de ces parents : celui de la pollution dans cette école construite sur une ancienne verrerie, qui a aussi produit du plomb durant des décennies, et qui se situe à proximité immédiate de l’usine Legré Mante.

Parents d’élèves, élus et techniciens de la Ville, ainsi que des représentants de l’Agence régionale de santé (ARS) franchissent un par un le portail après vérification de leur nom sur une liste. “Vous n’êtes pas sur la liste, vous ne pouvez pas rentrer désolée”, annonce une ATSEM aux militants de l’association Santé Littoral Sud venus pour tenter d’assister à la réunion. Ceux-là même qui, avec le CIQ, ont multiplié les recours pour demander l’encadrement de la dépollution de Legré Mante. Certains parents, non inscrits sur la fameuse liste, se retrouvent également bloqués au portail. “Il faut que le débat soit efficace, une quarantaine de parents seront présents, plus ça aurait été trop compliqué, d’autant plus que nous sommes en plan Vigipirate”, se justifie Danièle Casanova, élue en charge des écoles à la mairie de Marseille. À la Madrague de Montredon, quand on parle pollution, il semblerait donc que ce soit en petit comité.

Normes versus principes de précaution

Il faut dire qu’il y a peu, une étude nationale menée par l’État et une émission d’Envoyé Spécial sont venues mettre de l’huile sur le feu. Dans la salle de réunion, où Marsactu a finalement pu se faufiler, les parents ont exprimé leurs nombreuses inquiétudes, face à des services publics qui n’ont cessé de tenter de les rassurer. L’émission d’Envoyé Spécial expose en effet les résultats d’une analyse selon laquelle 10 enfants sur 11 ont dans leurs cheveux du plomb en quantité supérieure à la médiane d’une étude réalisée par 60 millions de consommateurs. Quant à l’étude nationale elle relève “la présence de composés volatils dans l’air du sol” ainsi que celle de “polluants en faible concentration dans l’air à l’intérieur du bâtiment de l’école”. Bien que la conclusion de ce rapport stipule que cela “ne pose pas de problèmes pour les usagers de l’établissement dans sa configuration actuelle”, certains parents d’élèves qui l’ont épluché en détails se posent toujours des questions.

“Il y a des manquements dans cette étude : l’air du réfectoire n’a pas été testé, ni l’eau d’ailleurs. Aussi, dans la cour de récréation de l’école maternelle, du plomb a été trouvé en quantité inquiétante. Il faut isoler la terre de la cour avec un revêtement”, détaille un père de famille, document à l’appui. L’étude en question note en effet la présence du plomb dans la cour de récréation de la maternelle à hauteur de 35,6 milligrammes par kilo, une valeur inférieure aux normes. Cependant, en 2014, un rapport du haut conseil de la santé publique – l’instance chargée d’apporter une aide à la décision au ministre de la Santé – recommande qu’un dépistage du saturnisme soit organisé lorsque la concentration en plomb dans les sols extérieurs dépasse les 27 mg/kg. Mais les normes ne l’obligent réellement qu’à partir de 300 mg/kg.

“C’est tout le quartier qui est pollué”

Au bout de plus deux heures de débat, les services de la Ville, las, finiront par promettre aux parents inquiets l’installation d’une VMC afin de ventiler l’air “par principe de précaution”. “Si ça vous rassure, on peut le faire. Si trop d’enfants quittent cette école elle va fermer. Il faut aimer son école”, finit par couper court Danièle Casanova. Pour les autres demandes des parents, point de principe de précaution mais un rappel : “Nous sommes dans les normes”, martèle Patrick Padovani, élu en charge de la santé, qui a entre autre refusé la mise en place de capteurs d’air durant les travaux de dépollution.

Pour l’ARS, le message aux parents reste le même. “Je ne peux que vous conseiller de faire des plombémies”, c’est-à-dire des mesures des concentrations de plomb dans le sang, ont répété ses représentants. Ils réfléchissent toujours à la mise en place d’une campagne d’information sur le même modèle que celle tentée en 2013, et qui n’a eu aucune suite. Quant à la Dreal, direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, elle a tout simplement décliné l’invitation, laissant certaines questions en suspens.

“De toute façon c’est tout le quartier qui est pollué !”, lance en fin de réunion la gardienne de l’école. Son jardin a été classé C  pour “présence de pollution nécessitant la mise en œuvre de mesures techniques de gestion, voire la mise en oeuvre de mesures sanitaires” par l’étude nationale publiée il y a peu. Si pour certains parents, cette réunion a permis de répondre à quelques interrogations, leur combat est loin d’être fini.

Panneau d’entrée de l’ancienne usine Legré Mante. Photo: Violette Artaud

Seuil critique

“Nous ne sommes pas affolés mais nous voulons des réponses et des actions. Nous sommes dans une ville polluée, dans un quartier pollué, alors oui c’est normal que l’école soit polluée. Mais l’école peut être un point de départ. Ici, il y a des normes et des législations que l’on peut encore mettre en place. Et si à partir de cela nous pouvons élargir les études au quartier et bien tant mieux”, s’est exprimée à l’issue de cette réunion une maman qui souhaite rester anonyme. Car au sein de l’école aussi, le sujet de la pollution crée des tensions. “Certains parents ont peur que l’école ferme. Mais il y a un moment où il faut utiliser ses neurones et arrêter de ce voiler la face. On vit dans un quartier pourri !”, s’énerve encore un parent d’élève devant le portail en s’appuyant sur une poussette. Lui a grandi ici et dit ne pas comprendre que certains de ses voisins, “avec qui [il] étai[t] à l’école à Marseilleveyre”, continuent de nier l’existence d’une pollution invisible mais qui peut avoir des effets sur la santé. Surtout celle des enfants.

Après l’émission d’Envoyé Spécial, certains parents ont fait faire des plombémies à leurs enfants. C’est le cas du fils de Vincent* qui a récupéré il y a peu les résultats de l’analyse. 12 microgrammes par litre de sang, soit un niveau de plombémie “critique” selon l’Efsa, l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Selon le Haut conseil de la santé publique ce niveau aurait des effets neurotoxiques qui correspondent à la perte d’un point de QI. “Quand nous avons emménagé ici il y a peu, on s’est renseigné. On savait où on mettait les pieds et on a fait ce choix en pleine conscience, entame Vincent. Il n’y a pas de danger de mort, il ne faut pas être dans l’émotion mais savoir ce qu’on fait et adapter nos comportements. Ne pas se baigner dans les endroits pollués, adapter notre alimentation pour éviter de franchir certains seuils.” Bref, appliquer le principe de précaution. Mais pour cela, encore faut-il être informés.

En 2016, la préfecture a crée un comité de suivi sur la dépollution du littoral Sud de Marseille. Le but : établir une transparence totale autour des travaux de dépollution de ce coin de Marseille qui fût longtemps une zone industrielle. Contactée par Marsactu, la préfecture n’a pas donné suite aux questions concernant les éventuelles réunions du comité. Quant à l’étude d’interprétation des milieux préalable aux travaux de dépollution sur le site de Legré Mante qui était attendue pour la fin janvier, Ginkgo s’est engagé à la transmettre à aux associations et au CIQ. Inutile de préciser qu’elle est très attendue.

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