Un rapport révèle qu’il y a moins de policiers aujourd’hui à Marseille qu’en 2016

Actualité
par Mediapart
le 18 Oct 2024
6

Régulièrement questionné sur la situation sécuritaire à Marseille, Gérald Darmanin n’a cessé de vanter son action lorsqu’il était ministre, en rappelant qu’il avait augmenté les effectifs de police. Un rapport de la Cour des comptes révèle l'inverse. Alors que ce rapport est rendu public ce vendredi, nous reprenons ici l'article publié par Mediapart à partir de sa version provisoire.

Des policiers déployés lors d
Des policiers déployés lors d'une visite d'Emmanuel Macron à la Busserine en juin 2023. (Photo : CMB)

Des policiers déployés lors d'une visite d'Emmanuel Macron à la Busserine en juin 2023. (Photo : CMB)

En termes de bilan, Gérald Darmanin n’aurait rien à se reprocher ou si peu. Interrogé sur France Inter en septembre, le désormais député convoque le bilan des Jeux olympiques et paralympiques et les nombreux remerciements qu’il a reçus pour vanter son travail. Lui, l’homme qui a été le ministre “des policiers” et non “de la police”, aurait tout mis en œuvre pour “faire respecter l’ordre”. 

Pendant tout le temps qu’il a passé au ministère de l’Intérieur, Gérald Darmanin a répété qu’il était celui qui avait augmenté les effectifs policiers, en France et plus particulièrement à Marseille. La ville, minée par la délinquance et le narcotrafic, faisait régulièrement la une de l’actualité et Gérald Darmanin, lui, ne cessait de communiquer. Ministre, il s’est rendu trente et une fois à Marseille pour soutenir ses effectifs et vanter systématiquement l’aide de l’État qu’il apportait à la cité phocéenne.

“On tient toutes nos promesses. Les 300 effectifs supplémentaires promis à Marseille depuis 2021 sont arrivés”, disait-il en janvier. L’année 2023 avait connu son bilan record, avec 49 morts, victimes de narchomicides.

Cet été, alors ministre démissionnaire, il se félicitait encore et encore. “Il y a une baisse très importante de la délinquance dans les Bouches-du-Rhône et à Marseille en particulier depuis le 1er janvier de cette année, annonçait-il. Je m’en réjouis, avec 350 policiers et gendarmes de plus à la disposition de l’autorité préfectorale. Je pense que c’était la moindre des choses que rendre cette sécurité aux Marseillais.

Des chiffres habilement tus

Un rapport de la Cour des comptes pas encore définitif, portant spécifiquement sur “les forces de police à Marseille“, que Mediapart a pu consulter, étrille pourtant la communication de Gérald Darmanin. Si les chiffres avancés par l’ex-ministre de l’Intérieur sont exacts, il y en a d’autres, qu’il tait habilement et qui nuancent les efforts du gouvernement pour endiguer la criminalité marseillaise.

En septembre 2021, le président Emmanuel Macron et Gérald Darmanin ont mis en place le plan “Marseille en grand”, prévoyant d’aider la ville en matière sociale, éducative, sanitaire, culturelle et sécuritaire. Il visait aussi à augmenter les effectifs de police et à améliorer les conditions matérielles des agents et agentes (équipement, immobilier…). Régulièrement, Gérald Darmanin a donc fait des annonces. En septembre 2021, en février 2022, en juin 2023… En définitive, le gouvernement précédent se targuait d’avoir déployé près de 400 fonctionnaires et d’avoir renforcé les moyens matériels de la police marseillaise.

La Cour des comptes, elle, n’a pas la même appréciation. Dans un rapport de plus de cent pages, les magistrats financiers notent que si les moyens sont effectivement en hausse, ils demeurent “en deçà des besoins“. Surtout, ils révèlent que si les effectifs de police ont bien été renforcés, “ils sont à peine compensés” par le plan “Marseille en grand”. Puisqu’ils étaient en baisse depuis plusieurs années.

Affaire Hedi : aucune sanction pour les policiers grévistes marseillais

Dans son rapport, la Cour des comptes revient sur le mouvement de grève inédit qui avait été lancé à Marseille et qui avait touché toute la France après le placement en détention d’un de leurs collègues. Celui-ci était accusé d’avoir tabassé Hedi, un jeune homme pris pour cible par des effectifs de police et dont le crâne avait été ouvert.

À l’été 2023, de très nombreux policiers avaient détourné l’interdiction du droit de grève en établissant de faux arrêts maladie. Lors de cette grève, les magistrats observent une baisse de 70,6 % du nombre de faits élucidés et de 57 % du nombre d’interventions de police. Malgré “un quasi-arrêt” de l’activité de sécurité publique à Marseille pendant plusieurs semaines, “aucune sanction ni enquête administrative n’ont été décidées et aucune réquisition du personnel n’a été prononcée”, pointent les magistrats.

Lors de ses multiples communications, Gérald Darmanin évoquait les policiers recrutés mais ne disait rien des policiers partis. Ceux qui avaient quitté leur poste et qui n’étaient pas remplacés. “Le différentiel entre entrées et sorties au sein des effectifs marseillais fait apparaître une nette dégradation du nombre de policiers affectés à Marseille entre 2016 et 2020, toutes filières confondues“, peut-on lire dans le rapport.

En envoyant des renforts et en communiquant abondamment dessus, le gouvernement n’a fait que combler un trou qu’il a lui-même creusé. “La chute avait été telle entre 2017 et 2020 que ces renforts, aussi nombreux soient-ils, couvrent à peine le nombre de départs, analysent les magistrats. De ce fait, seules les trois compagnies de CRS déployées permettent de montrer à la population que la présence sur le terrain a été renforcée.

Les chiffres sont sans appel : on comptait 4 232 policiers et policières à Marseille en 2016, 3 979 en 2021 et 4 064 en 2023. Si les effectifs ont bien augmenté, ils n’ont donc pas retrouvé le niveau de 2016.

Le bilan plus nuancé de la lutte contre le narcotrafic

S’agissant de la lutte contre le narcotrafic et les “narchomicides”, les magistrats sont aussi moins élogieux que l’ex-locataire de la Place Beauvau et notent “des résultats en demi-teinte malgré une forte mobilisation des services”.

Gérald Darmanin avait l’habitude de communiquer sur la fermeture de points de deal pour vanter son action. Problème : cet indicateur ne permet pas à lui seul de juger de l’efficacité de l’action de l’État. “La substitution de la vente physique par la livraison à domicile constitue un phénomène préoccupant, qui rend plus difficile l’activité policière.” Les indicateurs de saisie montrent par ailleurs une stabilité des quantités de cannabis et de cocaïne entre 2019 et 2023, et une hausse s’agissant des armes à feu.

Les “opérations place nette”, qui ont permis de déstabiliser les points de deal et visibilisé l’effort engagé par l’État, ne semblent pas non plus aussi concluantes que Gérald Darmanin voulait le faire croire. “Son effet durable est difficile à évaluer : il ne conduit parfois qu’à déplacer les points de deal”, relève la Cour des comptes. En mars 2024, Emmanuel Macron annonçait alors la mise en place des “opérations place nette XXL” dont le bilan, très critiqué, reste à mesurer.

Dans leur rapport enfin, les magistrats constatent que la priorité donnée à la lutte contre le trafic de drogue ou la délinquance sur la voie publique nuit à d’autres champs de la délinquance. C’est le cas en particulier pour la délinquance économique et financière. À Marseille, les “escroqueries et infractions économiques et financières ont augmenté de 37 % entre 2016 et 2023“, mais le taux d’élucidation a baissé de plus de moitié, de 63 % à 29,8 %. Ces priorités définies avec aussi peu d’effectifs impactent aussi les enquêtes de la sécurité publique de manière générale. Plus de 88 000 dossiers étaient ouverts à la fin 2023, dont un tiers depuis au moins trois ans.

Ce rapport provisoire (la préfecture de police des Bouches-du-Rhône est désormais invitée à répondre) pointe des avancées, émet de nombreuses recommandations, et torpille donc la communication d’un ministre.

David Perrotin et Ellen Salvi

Cet article vous est offert par Marsactu
Marsactu est un journal local d'investigation indépendant. Nous n'avons pas de propriétaire milliardaire, pas de publicité ni subvention des collectivités locales. Ce sont nos abonné.e.s qui nous financent.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    De bout en bout, et sur tous les sujets, même les plus graves, le macronisme aura été l’art de dire quelque chose et de faire son exact contraire. Finalement, le fameux “en même temps”, c’était ça. On sait le talent des politiciens pour mentir, mais on n’attendait pas de ces gens qui promettaient un “nouveau monde” qu’ils fassent pire encore : inverser le sens des mots.

    Signaler
    • Patafanari Patafanari

      Il dépasse même son maître. Au palmarès des menteurs :
      1° Darmanin, sous les applaudissements des supporters anglais.
      2° Macron, pour l’ensemble de son œuvre.
      3° Lemaire qui a mis l’économie (russe?) à genoux.
      Cela dit, on ne voit plus beaucoup de policiers dans les rues, mais ils sont tassés dans les bureaux.

      Signaler
    • julijo julijo

      et sur tous les sujets, des résultats en demi teinte…pour un nombre de policiers et de magistrats importants.
      on pourrait consacrer ces budgets et ces gens à autre chose.

      et comme “sur tous les sujets” la méthode utilisée par les ministres et macron, ne fonctionne pas. mais (en même temps) on insiste, on recommence, on remet ça….et ça fait des années que ça dure.

      Signaler
  2. SLM SLM

    “Il faut plus de policiers” : n’est-ce pas un argument récurrent de la droite?

    Je n’y comprends plus rien.

    Signaler
  3. Thais Thais

    4000 policiers avec peut etre même pas 10 % sur le terrain, et encore.

    Signaler
  4. jemamo13 jemamo13

    Avec un trou abyssale dans les comptes et des services publics peau de chagrin… il y’a lieu d’enquêter sur la disparition du fric dans ce pays.

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire