Plus d’un an après son rachat, Legré-Mante attend toujours son plan de dépollution
Accueilli d'abord favorablement par les habitants de la Madrague de Montredon, le fonds suisse Ginkgo a racheté le site de Legré Mante après le fiasco du promoteur Océanis à l'été 2017. Mais la dépollution de l'ancienne usine de plomb accumule les retards.
Le promoteur va devoir dépolluer tout le site industriel avant de lancer son projet immobilier. (Photo : VA)
Neuf ans après sa fermeture, on ne la contemple plus que derrière ses grilles, ou bien depuis les premières hauteurs du parc national des Calanques, qui démarre à quelques dizaines de mètres de là. Si un projet immobilier se prépare sur les 17 hectares de l’ancienne usine Legré Mante, la priorité est à la dépollution du site, qui a abrité au cours de deux derniers siècles une ancienne fonderie de plomb, puis une usine d’acide tartrique.
Après l’abandon du promoteur Océanis, un fonds d’investissement suisse, Ginkgo, spécialisé dans la dépollution de friches industrielles, a repris la main à l’été 2017. Les riverains, très sensibles à la question, ont accueilli chaleureusement l’arrivée de ces experts. “Il y a encore des gens dans le déni. Océanis était dans le déni aussi. Mais pas Ginkgo”, commente Rolland Dadena, président de l’association Santé littoral sud, qui sensibilise depuis 2011 ses voisins aux questions de santé publique, dont l’héritage ici est lourd.
“Ils nous ont dit qu’ils étaient le plus gros fonds d’Europe dans ce domaine”, se souvient Guy Barotto, président du CIQ Callelongue-Marseilleveyre. Ginkgo compte en tous cas parmi ses apporteurs de fonds la Banque européenne d’investissement, la Caisse des Dépôts, le fonds souverain belge et le groupe Rothschild. Après la carte de visite, le dialogue : “Ils ont mis en place des réunions régulières et leur discours démontrait d’une réelle connaissance des enjeux”, ajoute Rolland Dadena. Et d’un projet non-négociable : “Ils nous ont dit que oui, ils allaient dépolluer, mais que oui, le projet immobilier derrière est inévitable”, achève Guy Barotto.
Après la dépollution, un projet Constructa
Or, si tout le village de Montredon converge sur l’urgence de dépolluer ses sols chargés en plomb, arsenic et cyanure, le projet immobilier qui s’ensuivra recueille une réticence féroce. Collectivités et État avancent depuis des années que seul un promoteur immobilier est en mesure d’assurer financièrement la dépollution du site, estimée par la Dreal (la direction régionale de l’environnement, des aménagements et du logement) à 13,5 millions d’euros, mais les riverains redoutent un laisser-faire des pouvoirs publics, et se battent pour un réaménagement global de la zone.
Pour l’immobilier, c’est Constructa qui s’est emparé de la maîtrise d’ouvrage. Philippe Bega, directeur du groupe présent aux Docks ou à la tour la Marseillaise, est convié aux réunions de concertation. Lors du dernier rendez-vous organisé, au mois de juin 2018, la diplomatie est de mise : “Nous cherchons à comprendre où vous habitez, comment vous habitez, et ce dont vous avez besoin”, avance Philippe Bega, selon le compte-rendu. “Certaines façades de l’usine présentent de très beaux encadrements en briques ou en pierre qui méritent d’être conservés”, promet François Kern, l’architecte du projet. Dans le même temps, Ginkgo réaffirme sa philosophie: “Dialogue constructif”, et “priorité à la dépollution”.
“On va pas se réunir éternellement pour parler”
Présidente du CIQ Madrague, Monique Touitou a eu sa dose de dialogue constructif : “Nous ne sommes pas opposés à Ginkgo. Mais le fait est qu’on ne va pas se réunir éternellement pour parler. Nous voulons les résultats de l’IEM.” L’IEM, ou interprétation de l’état des milieux, consiste à mesurer la qualité de l’air, de l’eau et des sols. Celle-ci a été demandée par la préfecture en septembre 2017, soit deux mois après la reprise du site par Ginkgo. Cette étude doit être suivie de l’élaboration d’un plan de gestion “pour maîtriser, voire supprimer les sources de pollution qui ont été générées par l’activité du site” durant son exploitation industrielle.
Conscient du traumatisme causé par Océanis, et ses permis de construire déposés “dans le dos” des habitants, Ginkgo s’engage à transmettre les résultats de l’IEM aux riverains avant tout dépôt de permis de construire. La préfecture attend alors l’étude pour fin janvier 2018. Et c’est ici que le calendrier se gâte : l’étude se clôture avec cinq mois de retard, puis la préfecture demande une tierce-expertise. Cette dernière, réalisée par le BRGM (Bureau de recherche géologiques et minières, un organisme public), doit évaluer les méthodes et résultats obtenus par Ginkgo.
Le mois dernier, un courrier de Ginkgo est adressé au CIQ de Monique Touitou : “Le délai de réalisation de la tierce expertise est plus long qu’initialement prévu”, regrette l’entreprise. Concrètement, lit-on dans un courrier de la Dreal du 1er octobre, “l’IEM dans sa version définitive et le rapport final de tierce-expertise seront disponibles en fin d’année 2018.” Un an de retard pour la présentation de l’étude aux riverains, que Rolland Dadena pardonne à moitié : “Ginkgo n’est pas responsable du temps que prend la tierce-expertise du BRGM. En revanche, nous aimerions connaître le résultat des mesures des sols prises par Ginkgo. Ils pourraient au moins nous faire parvenir ces données brutes.”
Le silence de Ginkgo
Pas si simple : la Dreal indique, dans le même courrier, que le BRGM a rendu un pré-rapport. Celui-ci demande à Ginkgo de prélever des échantillons de sols supplémentaires, de les analyser, et de réinterpréter ses conclusions “à la lumière de ces nouveaux éléments.” Quant à la dépollution qui suivra, Ginkgo a présenté, lors de la réunion de juin 2018, les grandes lignes de sa réflexion. Au premier plan : la gestion du crassier. Les pieds dans la mer en contrebas de l’usine, cette colline de 24 000 mètres cube est formée des amas de déchets de l’ancienne usine, et donc, de divers métaux lourds. L’objectif de la société est de “rendre l’accès à la mer”, promet Pascal Roudier, la plage et la baignade étant interdite à ce jour. Concernant la dépollution des sols, le directeur environnement de Ginkgo a annoncé privilégier “un travail avec zéro sortie” autrement dit, en recyclant les matériaux sur place.
Mais à ce jour, rien n’est fixé. Interrogée les conclusions de l’IEM, la Dreal renvoie à la préfecture, qui annonce qu’après réception du rapport, “l’État établira de nouvelles prescriptions pour encadrer la réhabilitation du site et arrêtera les mesures de prévention de la pollution.” Sur la prévention justement, et la dépollution, Marsactu n’a pas réussir à obtenir de réponses de la part de Ginkgo. Les représentants locaux du projet, du côté de Ginkgo comme de Constructa, renvoient tous à Artkom, l’agence de communication en charge de ce dossier. Contacté par téléphone, Cédric Angelone, président de l’agence, explique que “le temps n’est pas à la communication.” Face à cette parole verrouillée, les riverains doivent s’armer d’encore un peu de patience.
Plan d’urbanisme sur mesure
Sur le volet immobilier, une échéance se profile déjà : le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), qui devrait être adopté fin 2019, après une enquête publique. “Ginkgo nous a promis d’attendre le nouveau PLUi avant de déposer un permis”, se rassure Rolland Dadena. À regarder les orientations du document, la promesse ne sera pas difficile à tenir pour Ginkgo et Constructa, tant la maquette du plan semble être faite sur mesure pour le projet présenté aux riverains en réunion. À moins que ce soit l’inverse ? Contactée, l’adjointe au maire de Marseille déléguée à l’urbanisme Laure-Agnès Caradec n’a pas trouvé le temps pour nous répondre.
Concrètement, une “orientation d’aménagement” de huit pages pose le cadre, avec carte à l’appui. Celle-ci préconise de créer en lieu et place de Legré Mante des petits immeubles de trois étages donnant sur la chaussée, et du “petit collectif” voire des “villas” dans un espace boisé derrière, dans la montée. La même vision qui a été livrée en réunion avec les habitants par l’architecte François Kern. Il a aussi parlé de rétablir un bureau de poste, de créer un espace de co-working et des commerces aux rez-de-chaussée des logements. Le même temps, le plan, tout comme le projet de l’architecte, prévoit qu’une partie des bâtiments de l’ancienne usine soit recyclée en pôle d’accueil du parc des calanques, avec un kiosque d’informations. De quoi éviter la perspective d’une série de recours ?
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