Plombée par des flux financiers suspects, la clinique Bonneveine au bord du gouffre

Enquête
par Florian Espalieu & Severine Charon
le 1 Fév 2024
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En octobre dernier, Marsactu révélait que plus de 6 millions d’euros manquaient dans les caisses de la clinique marseillaise et que le parquet national financier avait ouvert une enquête à ce sujet. Nouvel épisode ce jeudi, avec une assemblée générale qui doit évoquer les grosses difficultés financières de la structure.

La clinique Bonneveine, dans le 8e arrondissement. (Photo : JML)
La clinique Bonneveine, dans le 8e arrondissement. (Photo : JML)

La clinique Bonneveine, dans le 8e arrondissement. (Photo : JML)

Combien de temps va encore tenir la clinique Bonneveine ? Cet établissement médical d’une centaine de lits, employant plus de 200 personnes, doit tenir une assemblée générale ce jeudi 1ᵉʳ février pour en discuter. D’après son directeur général Fabrice Julien, elle serait déjà en “cessation de paiements”. Il aurait tenu ces propos lors du conseil d’administration du 17 octobre dernier, selon un document interne que Marsactu s’est procuré.

La veille, nous révélions que le parquet national financier (PNF) avait ouvert une enquête portant sur la disparition de plus de six millions d’euros des caisses de l’hôpital, soit l’intégralité des fonds perçus sous forme de prêts garantis par l’État (PGE) lors de la crise Covid. Les délits présumés de détournement de fonds publics et de prise illégale d’intérêts visent le groupe Avec (ex-Doctegestio), gérant de la clinique depuis 2012. Et ils sont identiques à ceux du dossier d’un autre établissement de santé à Grenoble, pour lequel Bernard Bensaid, président du groupe, a été mis en examen en janvier 2023.

485 000 euros de dette auprès de l’URSSAF

Si la justice poursuit son enquête, Bonneveine n’en continue pas moins de fonctionner… avec un trou de plus de 6 millions d’euros dans sa trésorerie, soit près d’un quart de son chiffre d’affaires. Avec ce budget fortement grevé, le directeur général a multiplié les alertes ces derniers mois : dans un courriel interne datant de fin octobre, Fabrice Julien évoque ainsi “un risque de saisie de l’URSSAF de nos comptes. Sachant que nous n’avons pas la trésorerie pour régulariser cette dette”, le montant de celle-ci s’élevant à 485 000 euros.

Le mois suivant, dans un autre courriel, le même Fabrice Julien déclare auprès de Bernard Bensaid que “la situation est très problématique. À ce jour, on n’a pas pu payer l’intégralité des honoraires médecins, ni l’URSSAF patronal”. La question des honoraires des praticiens serait depuis rentrée dans l’ordre, alors que les traitements des salariés de la clinique ont toujours été versés. Fabrice Julien n’a pas souhaité réagir à nos sollicitations, nous renvoyant vers le service communication du groupe Avec.

Après plusieurs appels du directeur général de la clinique, le commissaire aux comptes a fini par déclencher, comme la loi le lui impose, une procédure d’alerte sur l’association APATS Marseille, structure juridique de la clinique. Le courrier envoyé à Bernard Bensaid qui fait état de cette procédure mentionne des “tensions de trésorerie” et stipule que l’alerte s’est poursuivie jusqu’en phase 4. Un conseil d’administration de la structure a été convoqué, et avait vocation à être délibératif. Selon nos informations, il a bien eu lieu le 21 décembre 2023, mais il n’a pas tranché.

Assemblée générale décisive

La convocation de l’assemblée générale de ce jeudi intervient dès lors à la demande expresse du commissaire aux comptes. Dans un courrier datant du 2 janvier que Marsactu a pu consulter, le commissaire aux comptes alertait sur “des faits de nature à compromettre la continuité d’exploitation” de l’association et donnait un mois à l’APATS Marseille pour l’organiser, ce qu’elle va donc faire… la veille de l’échéance.

L’avenir n’est pas écrit, mais il s’annonce compliqué pour la clinique Bonneveine, et pour le groupe Avec. Contacté, son patron Bernard Bensaid jure qu’il n’y a rien d’alarmant dans la situation financière de Bonneveine : “l’établissement est à l’équilibre et a même terminé l’année 2023 avec un Ebitda (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement, NDLR) positif. Alors que nous avons repris la clinique en faillite en 2012 […] Nous allons juste demander l’étalement sur 3 mois de notre dette à l’URSSAF à qui nous devons environ 450 000 euros. Il n’y a pas de raison qu’ils nous la refusent puisqu’ils l’accordent à d’autres structures”. Le responsable concède toutefois des “tensions de trésorerie” pour l’établissement : “Mais qui n’en a pas aujourd’hui dans le monde hospitalier ?”.

Nous avons prêté, sans intérêt, cette somme à une autre association du groupe. Pour moi, vu qu’il s’agit d’un prêt à taux zéro, il n’y a rien d’illégal.

Bernard Bensaid, président du groupe

Concernant les ponctions financières des PGE et le dossier transmis au PNF, il invoque le “modèle mutualiste” de son groupe : “Nous avons prêté, sans intérêt, cette somme à une autre association du groupe. Pour moi, vu qu’il s’agit d’un prêt à taux zéro, il n’y a rien d’illégal. Le groupe a toujours fonctionné comme cela depuis sa création”, explique-t-il. “Notre modèle innovant est très décrié et jalousé, mais […] je n’ai rien à me reprocher, les conventions ont été signées avec les conseils d’avocats.”

Un échéancier pour le remboursement de la dette qui s’élèverait “très exactement à 4 537 472 euros” a, selon lui, été établi. Il prévoirait le versement de 100 000 euros par mois pendant près de quatre ans pour apurer la somme due. Bernard Bensaid concède toutefois que le “prêt” en question a transité par la société DG santé. Cette structure, dont la forme juridique est une société par actions simplifiée et dont Bernard Bensaid et son épouse possèdent près de 95% des parts et des votes, n’a rien de mutualiste. Elle a de plus été placée en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Bobigny le 30 novembre 2023. Cette procédure pensée pour protéger les entreprises a pour effet de geler les dettes d’une entreprise. Au détriment de la clinique Bonneveine ?

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Florian Espalieu
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Commentaires

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  1. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Le charme de l’Ebitda, ce solde intermédiaire de gestion qui ne veut pas dire grand chose si on le prend isolément. J’en avais vu un jour une définition pleine de mauvais esprit : “résultat avant d’avoir payé les charges” ! Donc mèfi quand le seul indicateur communiqué publiquement est celui-ci.

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    • Gabriel Gabriel

      Exact, cher électeur du 8e. Jean-Marie Messier avait également fini par communiquer sur cet indicateur lorsqu’il dirigeait Vivendi …
      L’EBITDA représente le cash dégagé par l’activité. Votre définition est en effet pleine de mauvais esprit car les seules charges qui sont en-dessous de l’EBITDA sont a) les dotations (nettes de reprises) relatives aux amortissements et aux provisions; b) les frais financiers; c) l’impôt sur les sociétés.
      Au cas présent, on peut imaginer que ça représente pas mal d’argent car une clinique est un gros investissement immobilier et en matériel (sauf si c’est financé en leasing); si la clinique est financée par les banques, un paquet de frais financiers avec des taux remontés à au moins 3 à 4%. Par contre pas d’IS car la clinique est sans doute déficitaire.
      Dernier point : les conventions de gestion centralisée de trésorerie sont courantes dans les groupes; mais elles ne doivent pas entraîner le sous-financement des filiales.
      A suivre donc …

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  2. BRASILIA8 BRASILIA8

    Vu la surface du terrain et sa situation les promoteurs sont prêts a aider
    Mr Bensaid en lui rachetant la clinique

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    • Moaàa Moaàa

      On appelle ça, du détournement de fonds, de l’abus de bien social puisque ces 4.5 millions d’euros ont transité sur les comptes de son son entreprise en redressement judiciaire. Toujours la même chiasse à Marseille. M’étonnerait pas que certains zelus siègent au CA de cette ” association”.

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