Plaignants exaspérés et prévenu agressif au premier jour du procès du dentiste Guedj
Au procès de Lionel Guedj, et de son père Carnot, la première journée s’est déroulée de manière particulièrement tendue. Plaignants révoltés et prévenus poussés dans leurs retranchements ont offert des débats électriques et parfois confus.
Plaignants exaspérés et prévenu agressif au premier jour du procès du dentiste Guedj
“Enculé”, “salopard”, “connard”, “tueur”. Il est 10 h 10 lorsque Lionel Guedj, 42 ans et Carnot, son père de 71 ans, pénètrent, sous les huées des parties civiles, dans la salle d’audience spécialement aménagée pour l’occasion dans l’ancienne caserne du Muy. Les deux anciens dentistes comparaissant devant la 6e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Marseille pour violences volontaires ayant entrainé une mutilation ou une infirmité permanente, escroquerie, faux et usage de faux. Ce lundi, les quelque 330 parties civiles – une grosse centaine de personnes sont présentes dans la salle – retrouvent les deux prévenus après une instruction fleuve de plus de 10 ans. “Ça fait longtemps qu’on attend !”, lâche une voix dans la foule qui gronde. L’ambiance est plus que tendue.
Le procès qui s’ouvre ce lundi 28 février pour 7 semaines est hors-normes. Tant par le nombre imposant des parties civiles que par la brutalité des faits reprochés. Lionel et Carnot Guedj sont suspectés d’avoir, entre le 1er janvier 2006 et le 26 novembre 2012, dévitalisé à la chaîne les dents de certains de leurs patients sans justification médicale pour les remplacer par des prothèses et empocher ainsi les remboursements de la part de la Caisse primaire d’assurance maladie.
Père et fils se ressemblent. Même corpulence, même posture. Le père, un peu plus dégarni que le fils. Lorsque l’un puis l’autre se lève, le public s’agite, s’irrite.
Les deux hommes qui comparaissent libres sans avoir connu d’incarcération préventive sont assis au premier rang de la salle d’audience, côte à côte. Père et fils se ressemblent. Même corpulence, même posture. Le père, un peu plus dégarni que le fils. Lorsque l’un puis l’autre se lève, le public s’agite, s’irrite. Il faut à la présidente Céline Ballerini faire montre d’une pédagogie mâtinée de bienveillance pour permettre aux débats de se dérouler dans un minimum de sérénité. “En aucun cas il ne sera accepté l’expression d’animosité, de menaces ou de commentaires. La sanction immédiate sera l’expulsion”, martèle-t-elle.
Une pancarte maculée de faux sang
Les plaignants oscillent entre l’envie d’en découdre et celle de voir justice rendue. À la pause de midi, quelques personnes se sont rassemblées dans la cour baignée de soleil. L’une d’elle brandit un panneau blanc maculé de taches de faux sang : “Trahison mutilation humiliation pour des millions”, peut-on y lire. “Cet homme, c’est un boucher, pas un dentiste”, crie une femme.
Le tribunal devra décider si des actes délictuels ont été ou non accomplis et (…) s’ils relèvent d’une mutilation ou d’une négligence ou d’une incompétence.
Céline Ballerini, présidente
Dans cette ambiance épineuse, la présidente Ballerini pose l’équation que le tribunal devra résoudre d’ici au 7 avril, jour probable de la fin des débats : “La question est de savoir si des actes de mutilation sont reprochables à M. Guedj”, résume la présidente Ballerini. “La mutilation suppose une action volontaire”, pose-t-elle. “Le tribunal devra décider si des actes délictuels ont été ou non accomplis et […] s’ils relèvent d’une mutilation ou d’une négligence ou d’une incompétence.”
Incompétent, Carnot Guedj ne pense pas l’avoir été. Mal à l’aise à la barre, alors que dans l’après-midi la justice se penche sur la personnalité des prévenus, le père déroule son parcours – de son cabinet à Allauch à son travail au sein du centre mutualiste de Marignane. Cette période, qui n’est pas celle concernée par le procès, révèle la vitesse de travail de Carnot Guedj. “La rapidité avec laquelle vous travaillez ne se fait pas au détriment de la prise en charge du patient ?”, interroge Céline Ballerini. “Non je ne pense pas”, répond le sexagénaire suspecté comme son fils d’avoir dévitalisé et taillé des dents saines pour les remplacer par des prothèses. Avec lui, les rendez-vous s’enchaînent toutes les 15 minutes, reconnaît-il. Il embraye: “Mon métier, c’est ma vie.” Il est aussitôt conspué par la salle.
Primes d’intéressement
Carnot Guedj rejoint le cabinet ouvert par son fils Lionel, dans le quartier de Saint-Antoine, lorsque celui-ci tombe malade, “pour l’aider”. Il reste ensuite dans ce cabinet où il est rémunéré “800 euros” par mois – nouvelle bronca. “Il y avait aussi des primes d’intéressements (de 15 000 euros annuels, ndlr), n’est-ce-pas ?”, complète la présidente. Le public n’arrive pas à se retenir. Pour le coup, la présidente Ballerini ne le rabroue que d’un geste. Au contraire, elle titille le prévenu sur son propre train de vie. Il gagnait 11 000 euros, il est désormais retraité et perçoit 3200 euros. Les plaignants, en grande majorité issus des quartiers Nord et pour moitié bénéficiaires de la CMU, s’ébrouent… “Ce n’est pas une infraction de vouloir gagner de l’argent, reprend la présidente avant de tancer Carnot Guedj. Vous savez qui sont les gens qui sont dans la salle. Vous savez que ce sont des sommes qu’ils n’auront peut-être jamais.”
Pendant que le père dépose – un peu stressé, un peu confus – le fils regarde le sol. Et quand vient au fils de répondre au tribunal, le père garde l’œil rivé sur lui. Ce deuxième de ses fils se présente comme un bourreau de travail pris “dans un engrenage”. À la barre Lionel Guedj parle avec volubilité de ces années “qu’il ne retrouvera pas” durant lesquelles il n’a pas vu ses enfants parce qu’il partait le matin à 5 h et rentrait le soir à 20 h. “Personne ne t’obligeait !”, siffle une partie civile.
“Ce chiffre d’affaires n’était pas volé!”
Lionel Guedj
Si, justement, cherche à démontrer le quadragénaire. Il pleure soudain à l’évocation du cancer – un lymphome de Hogdkin de stade IV – qui le frappe à l’automne 2005. Jeune marié, tout juste diplômé. Seul moment où, durant cette audience tissée d’exaspération, le temps se suspend. Malgré les chimiothérapies épuisantes qui s’échelonnent sur huit mois, Lionel Guedj ne cesse pas de travailler. “Si j’arrêtais c’était foutu. J’allais mourir”, souffle-t-il. Son père vient alors lui prêter main forte. Le problème, comme le pointe une assesseure, c’est que les dates fournies par l’un puis l’autre sont souvent floues. Or, la question est de savoir si Carnot Guedj n’est pas en réalité venu seconder son fils pour lisser sur deux têtes une activité, hors-normes pour un seul praticien, qui risquait à tout moment d’attirer l’attention de l’assurance maladie. “Ce chiffre d’affaires n’était pas volé !”, s’irrite sèchement le fils.
Pro du droit de l’immobilier
Le ton du prévenu, qui présente sous son masque une barbe bien taillée sur un visage juvénile, surprend parfois. Clairement agacé par les questions des parties civiles sur les nombreuses sociétés qu’il possède alors avec son épouse. On se perd dans leurs méandres. Les montages sont complexes pour le néophyte. Pas pour Lionel Guedj qui parle comme un pro des droits de l’immobilier et des affaires. “Vous êtes sûr que vous vouliez devenir dentiste ?”, pique Céline Ballerini qui sait se montrer cassante. Dans son gilet gris à gros boutons, Lionel Guedj perd parfois son sang froid, devient agressif avec les avocats des parties civiles. Il lui arrive d’interrompre la présidente Ballerini.
L’homme se présente aujourd’hui comme sans emploi et sans revenu. Il s’occupe de ses trois enfants, détaille-t-il. La présidente l’interroge avec insistance sur une suspicion soulevée par l’ordonnance de renvoi : la possible organisation frauduleuse de son insolvabilité en revendant les parts de ses sociétés à sa femme. “Je n’ai pas de compte à l’étranger”, assure celui dont le patrimoine était estimé à plus de 12 millions d’euros en biens immobiliers, voitures de luxe et yacht au moment de sa mise en examen en 2012. “On n’a rien gardé, on a tout perdu”, se borne-t-il à répondre. Face au procureur Michel Sastre qui lui demande clairement quel est son rapport à l’argent, Lionel Guedj ne se montre pas beaucoup plus disert. Il avait 26 ou 27 ans, il sortait d’un cancer, il voulait “profiter de la vie” et “mettre sa famille à l’abri”, dit-il pour expliquer sa frénésie d’investissements et d’achats. “Je suis allé un peu trop loin”, minimise-t-il.
Trafic de cigares
Devant ce prévenu dont l’aplomb frise parfois l’arrogance, Celine Ballerini ne masque pas l’irritation qui la gagne : “On est en train de faire votre personnalité. Je vais forcément parler de votre casier”, balance-t-elle. En février 2021, Lionel Guedj a été condamné dans une affaire de trafics de cigares à 6 mois de prison avec sursis. À la barre, ce dernier fait la tête de celui qui est pris les doigts dans le pot de confiture. Il n’est plus censé exercer une activité commerciale dans ce domaine. Mais cela ne l’empêche pas de convenir qu’il donne de temps à autre un coup de main au tabac, le Khedive à Aix, dont sa femme est la gérante.
Pire, malgré ses dénégations, la présidente suspecte qu’il a cherché à s’associer à un ami, David Guedj (un homonyme) dans la création d’un centre dentaire à Aix. Alors qu’il lui était par sa mise en examen impossible de poursuivre dans cette voie. “Il faut quand même avoir une certaine dose de culot alors qu’on vient de se voir signifier l’interdiction d’exercer la profession de dentiste pour s’intéresser à un tel projet”, s’étonne la présidente.
Son avocat Frédéric Monneret a beau, en fin de journée, lui faire exprimer “sa compassion à l’égard de la souffrance des [ses] patients”, dans quelques phrases qui sonnent comme un texte appris et mal joué, la personnalité du principal prévenu reste bien déroutante, à l’issue de la première journée d’audience. Si la colère des parties civiles s’est peu à peu apaisée au fil des heures, les questionnements du tribunal, eux, n’ont fait qu’enfler. Face à un mensonge contredit par des écoutes téléphoniques, la présidente Ballerini se montre glaciale. Elle formule un conseil qui tient de l’invitation à changer de stratégie autant que de la menace : “Monsieur Lionel Guedj, il va falloir que vous réfléchissiez.”
Commentaires
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Quelle arrogance et quel mépris chez ces hommes qui ont profité, pour s’enrichir, de personnes précaires et probablement peu au fait de leurs droits. Le même genre d’indignité que chez les marchands de sommeil.
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Voilà, c’est exactement ça. Abject.
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Toujours la même question sans réponse : peut-on croire que parmi les victimes, parmi les confrères de ces tortionnaires consultés par ces victimes, personne n’a jamais alerté l’ordre des chirurgiens-dentistes, la CPAM ? Comment a été organisée l’impunité sur une si longue période ?
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Cette impunité n’a pas été organisée . Simplement la CPAM est une administration avec cette lourdeur et lenteur qui la caractérise. N’ayez pas la mémoire courte , nombres de voyous issus du monde médical ou para médical sont tombés.
Pharmaciens, ambulances, maisons de santé , kiné ,médecins, etc.
80 % de la fraude à la sécurité sociale dont le montant est aux environs de 300 millions d’euros par an est imputable aux professionels de santé ( rapport de la Cour des Comptes) , ce qui veut dire que les contrôles et les sanctions sont bien éffectués par cette administration., Alors , avant de partir dans des théories du complot à la “one again” , ayez de saines lectures, la Cour des Comptes est trés bien à cet effet.
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Pour votre information , les infirmiers à eux seuls représentent 30 % de la fraude.
Alors , méfi au moment de la piquouse !
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Encore un dossier surréaliste et des victimes dindons de la farce… fait pas bon être victime…
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