Piscines Luminy et Nord : 120 millions d’euros, deux chantiers et beaucoup d’inconnues

La piscine de Luminy est à l'abandon depuis une quinzaine d'années. (Photo : AC)

À Marseille, on flambe pour construire des bassins de baignade. Après le bain éphémère du Mucem à 6,5 millions d’euros, la Ville programme la reconstruction des piscines Nord et Luminy, deux énormes chantiers dont les constructions coûteraient 75 millions d’euros au total. Très loin des bassins d’antan, la mairie projette de construire deux gros complexes sportifs.

Le projet, voté en juillet 2023, actait le principe de recourir à une concession confiée à une société d’économie mixte à opération unique (Semop) pour la gestion, la réalisation et l’exploitation des deux piscines, Nord et Luminy. Un choix qui a été source de grandes discordes au sein même de la majorité municipale. Si tout le monde s’entend sur la nécessité de doter Marseille en piscines alors que la Ville en manque cruellement, reconstruire ces deux piscines par le biais d’un partenariat avec le privé est loin de faire l’unanimité. Comme l’atteste la pétition lancée très récemment par le Collectif des écoles de Marseille qui a rassemblé plus de 600 signataires.

Au moment du lancement des études préparatoires en 2022, les écologistes avaient déjà exprimé leurs réticences. Ils ont fini par voter le projet de Semop l’été dernier sur la promesse d’être inclus aux discussions autour de la définition du projet. Dans l’opposition municipale aussi, le projet fait débat. Le député Renaissance Lionel Royer-Perreaut, élu du secteur englobant Luminy, est pessimiste. “Tout le monde sait qu’une piscine ça fait perdre de l’argent, pas en gagner. Donc l’équilibre économique qui est proposé est sous-tendu par les activités annexes. On peut s’interroger sur la nécessité pour Marseille d’avoir des complexes de cette nature”, commente l’élu, auprès de Marsactu. Passage en revue des zones d’ombres au fond des bassins.

Pour l’heure, on ne connaît pas encore le contour exact des projets qui seront décidés par les futurs associés de la Semop mais les invariants que l’on devrait retrouver dans l’esquisse finale sont identifiés. Au Nord, c’est une piscine familiale qui est prévue, pensée pour être un lieu de loisirs, avec en intérieur un bassin sportif, un bassin d’apprentissage, une pataugeoire avec toboggan, un espace bien-être, un restaurant et à l’extérieur un bassin nordique et un bassin ludique. La piscine actuelle sera détruite et remplacée par un complexe sportif comprenant un espace de foot à cinq, une salle de boxe et un espace padel. Le tout pour la modique somme de 31,6 millions d’euros dont 25 millions financés par la Ville.

De son côté, le nouvel équipement de Luminy a pour ambition de devenir “le lieu par excellence de la pratique du haut niveau sur la ville, voire sur la région, notamment en ayant la capacité d’accueillir des compétitions de nage de niveau régionales et nationales”, vise l’appel d’offres. Le complexe sera composé en intérieur d’un bassin sportif avec des gradins, d’une pataugeoire, d’un espace bien-être ainsi que d’un restaurant. En extérieur, un bassin nordique, une fosse à plongeons, une plaine de jeux et une pataugeoire. Il est également prévu un centre d’hébergement comprenant quinze chambres et son propre restaurant pour accueillir les sportifs. L’addition est encore plus salée : 42,66 millions d’euros dont 31 millions fournis par la Ville.

Samia Ghali en a fait un combat politique : elle rouvrira les piscines Nord et Luminy. “Moi, ma priorité, c’est que les petits et les moins petits puissent retrouver le chemin des piscines”, justifie la maire adjointe. Le choix de la Semop se serait, explique-t-elle, imposé de lui-même : “On est passé par la Semop pour aller très vite. La piscine des 2e et 3e arrondissements qui est une petite piscine de quartier – c’est confié à Euromed parce qu’on était dans le périmètre – il y en a pour cinq à six ans.” Quel que soit le montage, la Ville resterait l’actionnaire principal. “L’idée, c’est de ne pas être prisonniers du privé et de pouvoir maitriser les choses. Les piscines restent propriété de la ville. On aurait pu vendre, on ne l’a pas fait”, se défend-elle.

Au sein du groupe écologistes et pluriel-s, Mathilde Chaboche, ex-élue à l’urbanisme, s’oppose au projet tel qu’il a été présenté dans l’appel d’offres : “Je suis pour un rattrapage des piscines de notre ville qui est en dessous de ce qu’on peut exiger. Mais ce ne sont plus des piscines. Ce sont des centres aqualudiques avec des spas, des activités luxueuses qui sont complètement déconnectées du besoin des Marseillais qui est d’avoir une piscine dans tous les quartiers pour apprendre à nager.”

À ses yeux, la piscine est un équipement déficitaire et le sera encore plus à mesure que les prix de l’électricité vont augmenter et que la tension sur la ressource en eau va s’accentuer : “Aucun concessionnaire n’irait tout seul s’embarquer là-dedans, ils ne viennent qu’à condition que le montage leur soit extrêmement favorable, d’où les activités annexes.”

La mairie est prête à poser sur la table 56 millions d’euros. Restent donc 20 millions d’euros qui seront apportés par l’acteur privé qui emportera le marché. La Ville va donc financer la majeure partie de l’investissement initial. “Une piscine, ce n’est pas forcément ce qu’il y a de plus rentable, c’est pour ça qu’autour de la piscine, il y a des équipements sportifs”, justifie Samia Ghali. À ces 56 millions d’euros d’investissement de la Ville s’ajoutent 65 millions d’euros d’exploitation étalés sur 23 ans et financés là aussi par l’argent public. Pour un total de 120 millions d’euros si tout se passe pour le mieux. Parce qu’au moindre couac, c’est la Ville qui risque de casquer.

Dans le cas d’une société d’économie mixte à opération unique (Semop) voulue par la Ville, il n’y a pas de transfert de risques comme c’est le cas dans les partenariats publics privés traditionnels. Ainsi, les risques liés à la construction, les risques financiers et les risques liés à la maitrise d’ouvrage ne sont pas transférés à l’acteur privé.

Pour l’accompagner dans le financement de ce projet, la municipalité est en recherche d’autres acteurs publics. En cas d’entrée par un actionnaire institutionnel public ou parapublic, le capital se répartirait avec 51 % au minimum pour la Ville de Marseille, 34 % au moins pour l’actionnaire privé et 15 % au plus pour le nouvel entrant. Dans tous les cas, la Ville resterait l’actionnaire majoritaire. “En ce qui me concerne, je travaille et je discute avec la caisse des dépôts qui est très intéressée pour venir nous accompagner”, annonce à Marsactu Samia Ghali. Même si pour l’heure rien n’est encore signé.

C’est l’identité du futur acteur privé qui fait jaser en coulisses. En séance, le conseiller municipal d’opposition Lionel Royer-Perreaut a multiplié les questions sur l’identité du futur partenaire. Laissant entendre qu’il serait attentif à tout risque de conflit d’intérêt ou de favoritisme. Le nom du futur co-actionnaire sera connu à l’issue du processus de sélection, qui démarre à peine.

Une tarification sociale devra “impérativement” être mise en place selon l’appel d’offres. La moindre des choses pour les Marseillais qui auront déjà payé cher le prix de la reconstruction des piscines. Samia Ghali affirme que pour les habitants, ce ne sera pas plus onéreux de se baigner dans ces centres aqualudiques que dans d’autres piscines de la Ville. “Après, les touristes, quand ils vont aller à Luminy, ce ne seront pas les mêmes tarifs que pour les Marseillais, c’est normal”, présente la maire adjointe.

Cette différence de tarifs entre résidents et usagers de l’extérieur était jusque-là l’apanage des piscines des petites villes autour de Marseille qui voyaient d’un mauvais œil l’arrivée des Marseillais. Cette exigence est inscrite dans le cahier des charges sans pour autant préciser des tarifs définis, ni leurs proportions. La répartition exacte des prix des billets d’entrée reste pour l’heure une inconnue.

La piscine Nord a été fermée en février 2011 “après l’apparition de fissures au niveau des vestiaires et en raison des risques de glissements de terrain”, indique dans sa première phrase le document qui détaille le projet. Ce risque de glissement de terrain est toujours présent dans la zone où la piscine devait être construite, c’est-à-dire sur l’actuel stade Louis-Camélio.

“C’est un terme technique « glissement de terrain » mais il n’y a pas de glissement de terrain”, élude le cabinet de Samia Ghali. “Potentiellement, il faudra construire un mur de soutènement selon l’ouvrage mais il n’y a pas d’incapacité ni d’infaisabilité, simplement une adaptation technique qui est incluse de toute manière dans les projections financières”, nous assure-t-on.

La parcelle de l’actuelle piscine Luminy comprend l’emplacement de la piscine actuelle ainsi qu’une maison de quartier, une brasserie avec se propre piscine, un club de tennis et un de pelote basque, tous en activité. “Les terrains de tennis et de padel et le corps de ferme mais également la piscine située à proximité seront mis à disposition du projet. Ils pourront si besoin être intégrés de manière plus globale au projet d’aménagement afin de conserver une offre de tennis/padel sur le site”, indique l’appel d’offres. Sans préciser si la maison de quartier pourrait être intégrée ou pas au projet.

Depuis les fermetures des deux piscines il y a une quinzaine d’années, l’eau a coulé sous les ponts, mais pas dans les bassins. Le choix d’un projet en Semop avait été avancé comme permettant de rendre les travaux plus rapidement et de livrer les ouvrages au plus tôt. L’appel d’offres n’indique pas même un horizon de livraison des travaux.

Alors que 2026, année des municipales, était la première date avancée par Samia Ghali, les délais ont reculé. “L’idée, c’est une livraison en 2027. On ne va pas, pour des questions électoralistes, faire n’importe quoi”, projette prudemment l’élue, tout en s’empressant d’ajouter : “mais ce qui compte, c’est que les travaux aient démarré.” Les projets proposés par les candidats sont désormais en phase d’étude et de sélection. Début des travaux espéré en 2025.