Philippe Caubère aime les asticots, Pagnol, Marsiho, et la révolution. Un marseillais, quoi.
Ils sont là tous les deux, au milieu d’une petite arène à « l’ombre chaude » de la Major, et d’ un chapeau de paille . Le soleil est au zénith. Lui est « barreras », dans les gradins , elle est au centre de l’arène, à la porte du « toril ». Ils sont en pleine répétition. » allez, continue, joue, mets y plus de vie, approche- toi des spectateurs, parles-leur sous le nez… » dit l’apoderado metteur en scène, à son torrero- comédienne. « mais je crois que ton rendez-vous est là » » on s’en fout, on joue ». Euh … ça commence bien.
Lui c’est Philippe Caubère, immense comédien, metteur en scène, auteur, et elle c’est Clémence Massart, sa complice de toujours. » excusez moi, je ne vous avez pas vu » .
Quand son regard se tourne vers vous, c’est le Molière d’Arianne Mnouchkine qui vous regarde. L’intelligence, la fougue, le courage, la ruse, l’insolence, l’espièglerie, le panache. Tout est toujours là. Caubère est venu de la Fare les Oliviers, où il réside quand il n’est pas à Paris ou en tournée, pour parrainer la « posada des carboni », ce festival itinérant crée par Frédéric Muhl, dont Marsactu vous a déja parlé, et mettre en scène « l’asticot » de Shakespeare , le one woman show de Clémence Massart qui sera joué samedi soir. On en a profité pour bavarder avec eux et écouter Caubère refaire le monde et Marseille.
» Pourquoi parrain de la posada des Carboni ? »
Philippe Caubère : Il y a deux ans, je cherchais sur internet un lieu à Marseille pour jouer en plein air « Jules et Marcel » ( pièce qu’il a montée et qu’il joue avec Galabru, autour de la correspondance entre Raimu et Pagnol), et je suis tombé par hasard sur ce festival ambulant des Carboni. C’est d’abord la qualité et la créativité de leurs affiches, de leur « communication » qui m’a immédiatement séduit, et puis j’ai pris contact avec Frédéric Muhl et je suis tombé amoureux de ce qu’ils sont. On est de la même famille. Ce théâtre ambulant, c’est mon théatre, c’est là d’ou je viens avec le Théâtre du Soleil. Donc quand ils m’ont demandé d’être leur parrain j’ai tout de suite accepté.
» Et l’asticot de Shakespeare ? »
PC : Depuis plusieurs mois, j’aide Clémence à jouer son « asticot de Shakespeare ». C’est un spectacle burlesque autour de la mort. On parle de la mort mais d’une façon, drôle, lègére. Comme vous le savez, chez Shakespeare, il y a toujours beaucoup de morts… Hamlet, Roméo et Juliette… et à la fin l’asticot est toujours là… l’idée de Clémence était de rejouer ces pièces à travers le regard de l’asticot. Et puis on a ajouté des textes de Giono, de Beaudelaire, de Jankelevitch, des textes toujours autour de la mort, mais souvent drôles et décalés »
Clémence Massart : On a ajouté des textes de Philippe aussi. J’ai beaucoup joué Shakespeare, y compris dans « son » théâtre », le Théâtre du Globe à Londres, où d’ailleurs a été tourné le film « Shakespeare In Love », j’ai joué dans de nombreux pays, jusqu’en Inde à Bombay, où à Trivendrum en Inde du Sud. Mais jamais dans un spectacle où je suis seule, à Marseille. Je rêvais de venir jouer ici dans cette ville, la ville de Philippe. Mais ça ne s’est jamais fait. Pourtant, la scène à Marseille, c’est aussi ma culture, je viens du music hall, je viens du cirque. C’est la culture de l’Alkazar. Et puis, Marseille, j’y suis venue avec Philippe en voyage de noces quand nous étions mariés, à l’époque du théâtre du Soleil. La première fois, quand je suis descendue du train de nuit et qu’il m’a emmenée prendre un café sur le Vieux-Port, j’ai été à jamais éblouie par cette ville, je suis donc très heureuse de pouvoir jouer samedi, chez les Carboni.
D’autres projets marseillais ?
PC : Je cherche depuis plusieurs années à jouer à Marseille Marsiho d’André Suarés. Sans doute un des plus grands écrivains français mais totalement méconnu, et encore plus à Marseille qui a toujours rejeté ses enfants artistes. Marsiho de Suarés c’est une des plus belles oeuvres réalisée sur Marseille, ma ville. C’est Roma de Fellini, par exemple le chapitre sur Notre Dame de la Garde est magnifique : « Marsiho est nue. Le mistral lui arrache tous ses vêtements et la nudité révèle la splendeur de la ville. Les monuments, les trésors de l’art, les oeuvres dorées de Néron ne sont pas tout : il faut voir aussi les villes nues et les comparer entre elles. Ni marbre ni bronze, ni églises sublimes, ni palais illustres, la beauté de Marseille est faite de vie seule : elle éclate comme une grenade mûre, dans le sang de chaque grain, dans le total des couleurs et de la forme ». Et pourtant Suarés peut aussi être sans concession, intransigeant, très dur sur Marseille. C’est peut-être aussi pourquoi on ne le comprend pas à Marseille. C’omme un auteur anglo-saxon, il attaque ce qu’il aime et il aime ce qu’il attaque.
Marseille rejette ses enfants artistes: André Suarès et sans doute aussi Pagnol ? aujourd’hui » être pagnolesque » c’est presque devenu une insulte ?
PC : Pagnol c’est un génie. Mais aujourd’hui on ne voit plus que le folklore. Pagnol c’est Shakespeare, un visionnaire, avec plusieurs cordes à son arc. Il a inventé le néoréalisme au cinéma. On ne retient que Fernandel, le comique un peu lourdingue. Mais on ne voit plus la dimension tragique de ses pièces et de ses films. D’ailleurs il a beaucoup emprunté à Suarès, notamment sur le départ. Dans Marius, par exemple, le rêve du départ, c’est très présent comme dans Marsiho » Départ , l’un des plus beaux mots qui soient, des plus riches en douleurs, en désirs, en délires. » il n’est point de port qui sonne le départ à l’égal de Marseille. Il pénètre au coeur de la cité, il vient chercher l’homme au pied du lit, au saut du train ».
Le problème de Pagnol, c’est le pagnolisme, c’est ce qu’on en a fait. J’en ai souvent parlé avec Guédiguian, qui n’aime pas Pagnol pour ça. Je lui ai expliqué que c’est comme le communisme, l’idée était belle au départ, c’est ce qu’on en a fait qui a tout gâché. Et puis le problème de Pagnol, c’est qu’il est devenu très vite populaire, et les élites culturelles françaises détestent ça. C’est pourtant un grand génie méconnu.
Quel regard portez vous sur 2013 ? Avez vous des projets ?
PC : On me dit que ça pourrait être un échec. Je n’en sais
rien. On verra. Oui j’aimerai beaucoup m’impliquer. D’ailleurs, j’ai rencontré récemment Patrick Mennucci , je lui ai parlé de Marsiho. Et c’est paradoxal parce que Suarès c’était un auteur de droite, et Renaud Muselier est d’ailleurs son petit-neveu. Mais la droite marseillaise ne s’y est jamais intéressée. J’avais rencontré à l’époque Serge Botey, l’ancien adjoint à la Culture de Gaudin. Mais rien ne s’était passé. Aujourd’hui j’avance avec la gauche marseillaise, et puis c’est quand même mon camp ! J’aimerai jouer Marsiho à la sucrerie à Saint-Louis. Le quartier de mon enfance. Je suis issu d’une famille d’huiliers. Mon grand-père avait fait fortune à la bourse de Marseille et mon père était le directeur d’un des grands huiliers de l’époque, installé à Saint-Louis. D’ailleurs, pour l’anecdote , quand nous nous sommes rencontrés avec Clémence, chez Ariane Mnouchkine, alors que nous avions tous 2 rompus avec la tradition familialle, elle, en étant passée par le cirque, moi par le théâtre à Aix, nous nous sommes aperçu par hasard que nous étions des descendants tous les 2 , de familles d’huiliers. La famille de Clémence avait en effet fondé à Bordeaux les huiles Huilor, concurrents de celle de ma famille. Les chats ne font pas des chiens.
Pour 2013, j’aimerais monter ma trilogie sur le Sud. Le premier volet serait autour de Marsiho bien sûr, mais j’aimerais jouer également » Vue sur l’Europe » un texte aussi d’André Suarès, écrit en 1936 sur la montée de l’hitlérisme. Le deuxième volet de cette trilogie sur le Sud, serait autour de la tauromachie, je pourrai interpréter Nimeno II, l’histoire tragique de ce torrero français, qui après avoir été gravement blessé par un taureau de Miura en 1989, s’est pendu sachant qu’il ne pourrait plus jamais torréer. Et enfin la révolution ! quelque chose de mon ami André Benedetto disparu l’an dernier, l’homme d’Avigon, l’homme du « off ». Marsiho, les torros, la révoltution, le Sud pour 2013, quoi !
Et voilà. Philippe Caubère est reparti entrainer « l’asticot » Clémence pour samedi soir à faire quelques « suertes » dans la petite arène des amis Carboni.
» Le fond grec et provençal de ce peuple repousse les houles du chaos; une gaîté puissante est le second mistral qui souffle du Rhône sur ces collines soeurs de l’Ionie, et qui refoule la marée dangereuse dans la mer, matrice universelle, où elle se purifie. Nul peuple ne croit plus fortement à la vie ». En relisant ces quelques lignes de Marsiho, on comprend mieux pourquoi cet artiste discret et solitaire, qui n’aime pas le foot, connait Suarès par coeur, et considère que Marcel Pagnol est un génie, est malgré tout si fier d’être Marseillais.
Pour venir applaudir l’Asticot de Clémence Massart, mis en scène par Philippe Caubère , c’est samedi soir 26 juin à 21 H30 derrière l’esplanade de la Major. Pour réserver 0496110461 ou 0491903352, ou sur le site internet des Carboni
« Toulouse, drôle d’asticot au Sorano ». Une critique sur le spectacle quant il avait été joué cet hiver à Toulouse, sur le site internet de la Dépêche du Midi
L’interview de Philippe Caubère au sujet de l’Asticot sur LCM par la toujours aussi belle Alexandra Galdon
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le site officiel de Philippe Caubère
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