[Petites histoires de résidences fermées] Le tramway sud avancera en terres résidentielles

Série
le 8 Août 2017
9

Certaines copropriétés choisissent un matin de fermer un accès, puis un autre, quand d'autres sont vendues sur plan avec barrières et portails dernier cri. Mais ces choix, privés, ne sont pas sans conséquences pour l'espace public. Le deuxième épisode de notre série raconte comment un projet de transports publics comme le tramway sud doit prendre en compte la réalité résidentielle.

[Petites histoires de résidences fermées] Le tramway sud avancera en terres résidentielles
[Petites histoires de résidences fermées] Le tramway sud avancera en terres résidentielles

[Petites histoires de résidences fermées] Le tramway sud avancera en terres résidentielles

La série d’articles consacrée aux résidences fermées a été réalisée en partenariat avec une équipe de chercheurs du Laboratoire population environnement développement (LPED) de l’université Aix-Marseille, sous la direction d’E.Dorier, déjà évoqué dans Marsactu. Retrouvez au bas de cet article un décryptage par Julien Dario, doctorant en géographie.

Si elles sont une réalité dans toute la ville de Marseille – près d’un tiers des logements se situent dans des ensembles clôturés – les résidences fermées sont particulièrement présentes dans les quartiers sud. Vues du ciel, certaines zones ressemblent à des mosaïques de lotissement aux contours aléatoires, ne laissant pas toujours de voies, piétonnes ou carrossables, pour circuler entres elles. Les résidences attirant les résidences, certains “amas” -des “clusters” disent les chercheurs du LPED de l’université Aix-Marseille (lire l’encadré en fin d’article)- se forment, rendant des surfaces de taille parfois considérable impénétrables aux étrangers. À certains endroits de la ville, on croise de gros portails blancs à barreaux presque plus souvent que l’on ne croise des panneaux de circulation.

C’est au milieu de ce dédale d’ensembles fermés que passera le tramway sud. Le prolongement du T3, partant aujourd’hui d’Arenc, poursuivra au-delà de la place Castellane, atteignant en 2021 la station de métro Sainte-Marguerite-Dromel, puis en 2022 le boulevard urbain sud à la Gaye. Soit 4,4 km, et 10 stations. À terme, le T3 devrait trouver son terminus définitif à la Rouvière.

Le tracé du tramway sud (document fourni par la métropole)

S’il n’aura pas trop de mal à se frayer un chemin sur les voies empruntées (Cantini, Schloesing, Aubert, Viton), il longera de part et d’autre nombre de lotissements fermés, principalement entre Sainte-Marguerite et la Gaye. Avec ces agglomérations d’espaces fermés, ou ne proposant qu’un seul accès, le temps de marche pour accéder aux arrêts peut-être singulièrement allongé, même si la distance, à vol d’oiseau, place un logement dans l’aire de desserte. Dans ces espaces urbains très cloisonnés, un arrêt de tram ne peut pas atteindre le même nombre d’usagers que dans un centre-ville où toutes les portes donnent sur la voie publique.

Du côté de la métropole, maître d’ouvrage du projet, on confirme que la question se pose aux techniciens qui planchent actuellement sur le projet du tramway sud. “Les questions d’accessibilité au parcours font partie des diagnostics et analyses actuellement menés dans le cadre des études d’avant-projet du maître d’œuvre”, a-t-elle répondu par écrit aux questions de Marsactu. Ces études doivent aboutir à un “schéma d’accessibilité” permettant d’identifier les points noirs et de réfléchir aux “moyens techniques et juridiques pour favoriser l’accès des habitants au tramway, notamment lorsque des ensembles fermés jalonnent le tracé”.

Portails blancs et accès piétons aléatoires

Un petit tour le long du futur parcours en donne un aperçu varié. En partant du futur arrêt Sainte-Marguerite, où se trouve déjà un pôle de bus et le terminus du métro M2, on croise rapidement sur le côté gauche du tracé le parc Dromel. Cet ensemble d’immeubles solidement entourés de grilles s’étale sur un périmètre grand d’au moins 4 hectares. Une traversée piétonne ne semble pas envisageable : il faut un badge pour passer l’un des nombreux portillons. En prenant ensuite le léger virage de la rue Augustin Aubert, deux résidences bordent la rue. L’une des deux possède un parking fermé par une barrière, mais que l’on peut emprunter en tant que piéton, et moyennant un petit slalom on peut accéder à la parallèle, l’avenue Jean Bouin. C’est ensuite que cela se corse : les quelques 600 mètres de la rue Augustin Aubert sont bordés quasiment exclusivement de maison privées, et de résidences fermées ou semi fermées.

Repérage (non exhaustif) des lotissement fermés et semi-fermés dans le secteur de la rue Augustin Aubert. Le tracé du tram est en rouge, les pictogrammes représentent les arrêts pressentis. (Schéma Lisa Castelly via Géoportail)

Le tramway sera bordé à l’est du lotissement du Barry, près de huit hectares fermés aux voitures mais permettant le passage piéton, bien que plusieurs panneaux rappellent qu’il s’agit d’un lieu privé. Côté ouest, il longera le lotissement Coin joli. Une copropriété connue pour ses velléités de fermeture : la justice a donné raison ce printemps aux copropriétaires qui ont décidé de ne plus laisser qu’une entrée piétonne, obligeant les familles des résidences voisines à faire un grand détour pour accéder à l’école qui se situe à sa bordure. Les habitants des résidences voisines risquent de rencontrer le même problème pour accéder au tram que pour accéder à l’école, se heurtant à des grilles infranchissables côté ouest.

Selon les projections actuelles, le tram marquera l’arrêt devant le collège Coin joli, coincé au milieu des résidences. En s’écartant un peu du tracé, en direction du boulevard Michelet, le piéton ne trouvera que des ensembles fermés : le Nouveau parc Sévigné, scindé en plusieurs ensembles clôturés dont les grilles sont néanmoins ouvertes pour accéder aux commerces qui se trouvent à l’intérieur, ou encore Les petites Magalonnes, fermé par digicode.

Différents modes de contrôle de la circulation dans les lotissements se trouvant sur le tracé du tramway : panneaux, digicode, barrière avec ou sans accès piéton. (LC)

Une question d’autant plus prégnante que, tous les observateurs le reconnaissent, la tendance de la fermeture ne faiblit pas. Les gros portails métalliques blancs qui dénotent avec le style des maisons du quartier montrent bien que la fermeture des voies est venue longtemps après la construction des lotissements. Des résidences qui laissent aujourd’hui un portillon ouvert aux piétons n’auront guère de mal à y renoncer si elles le décident en conseil syndical.

“Les gens vont continuer à prendre la voiture”

Cette donnée a-t-elle pu être prise en compte dans le choix du tracé ? “Non, cela n’apparaît pas en amont du tracé, c’est du second ordre”, explique François Costé, économiste en transports aujourd’hui retraité, et qui a officié au sein de la communauté urbaine de Marseille à la mission métro et tramway. “On place les arrêts en fonction de différentes contraintes, et tout simplement, là où c’est géométriquement possible”. La question de l’accès piéton aux arrêts, explique-t-il vient dans un second temps, celui des études qui sont actuellement menées.

“Les aménageurs partent souvent du principe que la rue est par principe accessible à tous les piétons. En réalité, il est nécessaire de croiser les données, pointe Julien Dario, doctorant en géographie [voir encadré au bas de l’article]. Ce contexte affectera forcément la capacité commerciale du tram, les gens vont continuer à prendre la voiture”, pressent-il. Selon le livre blanc des transports métropolitains, 50 % des habitants des quartiers sud de Marseille ne se déplacent qu’en voiture.

“Si c’est le cas, on en débattra”

On devine donc que la métropole pourrait soit, quand c’est possible techniquement, aménager de nouvelles voies permettant de rendre plus accessibles les arrêts de tramway, soit, récupérer des voies privées de lotissement. Bien que n’ayant pas encore connaissance de cas précis sur le tracé du futur tramway, le maire des 9e et 10e arrondissements Lionel Royer-Perreaut (LR) reconnaît que “la question peut se poser, et si c’est le cas, on en débattra.”

La métropole, prête à se frotter aux copropriétés ? L’urbanisme de la métropole ne peut plus se développer en fonction de considérations d’opportunisme foncier”, expliquait en tout cas en mars 2016 le directeur général adjoint à la mobilité d’Aix-Marseille Provence Yannick Tondut, dans les colonnes du magazine de l’Agam, l’agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise. “Il faut savoir ne pas ouvrir à l’urbanisation un secteur que l’on ne saura pas desservir par les transports publics et ne plus permettre des formes d’urbanisation incompatibles avec une bonne desserte ni même avec une pratique sûre et confortable de la marche.” Chiche.


 

BHNS, projet de tramway sud, des transports en commun qui perdent en accessibilité ? (par Julien Dario, doctorant en géographie membre du LPED)

Le tramway est un projet structurant de première importance permettant de limiter la congestion automobile des quartiers sud. Les zones autour des arrêts nommées « périmètres de bonne desserte » sont un enjeu puisqu’elle peuvent recevoir de plus fortes densités résidentielles. Toutefois, le futur projet du tramway sud de Marseille (horizon 2021) s’insère dans un environnement massivement fermé, les clôtures imposent des détours dans l’accès aux arrêts de transports en commun pourtant proches à vol d’oiseau. Un cas très parlant est celui du bus à haut niveau de service ou BHNS sur la ligne Castellane-Luminy passant par le boulevard Michelet. Au niveau de l’arrêt Michelet-Taine proche de la « Cité radieuse » (voir carte 1). L’allongement de parcours peut dépasser les 5 minutes à pied, de l’autre côté des résidences fermées qui bordent le boulevard.

Carte 1 : l’exemple du BHNS. (Carte Julien Dario)

Alors que l’accessibilité est au cœur des nouvelles politiques publiques de déplacement, cet allongement du trajet d’accès lié aux clôtures qui s’érigent partout dans la ville ne favorise ni l’usage de la marche ni celui des transports en commun pour les personnes à mobilité réduite, personnes âgées, mamans avec poussettes, jeunes enfants…

Des impacts négatifs semblables sont à craindre pour les arrêts du futur tramway Sud en projet, risquant de réduire ses impacts positifs attendus. Ainsi, le futur arrêt « Coin Joli » se trouve au cœur d’un agrégat de lotissements et résidences tout récemment fermés (voir carte 2). Les voies encore ouvertes aux piétons (en jaune) n’offrent guère d’assurance sur le long terme puisque les propriétaires peuvent à tout moment décider de « durcir » la fermeture sans aucun recours pour la collectivité tout en bénéficiant, pour leur part, d’un accès facile au tramway. Les problèmes de perméabilité ne sont pas qu’une affaire d’urbanistes car ils impactent en premier lieu les pratiques du quotidien et le « vivre ensemble ».

Carte 2 : les accés fermés autour du futur arrêt Coin joli. (Carte Julien Dario)

Ref thèse : DARIO J., (en cours) Fragmentation urbaine et qualité environnementale, une étude des continuités et discontinuités de la trame viaire à Marseille, thèse de doctorat en Géographie sous la direction de DORIER E., BRIDIER S., Aix-Marseille Université, Laboratoire Population Environnement Développement (LPED).

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Lisa Castelly
Journaliste

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Commentaires

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  1. ALAIN B ALAIN B

    Avec l’aménagement d’EUROMED nous aurons le même problème, EUROMED 2 va démarrer et que va faire la Mairie, il ne serait peut être pas trop tard mais vu la politique municipale actuelle nous ne pouvons qu’être inquiet

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  2. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Merci pour cet article très pertinent.

    Ces voies de circulation fermées aux piétons sont souvent dissuasives pour rejoindre des arrêts de bus compte tenu des distances à parcourir.

    En outre pour la circulation automobiles elles sont sources de nombreux embouteillages et bouchons et rallongent de nombreux parcours qui deviennent souvent labyrinthique …

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  3. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Article très intéressant, qui donne à réfléchir. On aimerait d’ailleurs qu’il donne à réfléchir aussi à la mairie, qui laisse Marseille se fracturer en petits îlots fermés.

    Comment faire fonctionner des infrastructures d’intérêt collectif quand la ville devient une simple juxtaposition de territoires privés et “interdits aux non résidents”, même s’il ne s’agit que de piétons désireux d’aller d’une rue à une autre ? Peut-on d’ailleurs encore parler de “ville” quand une logique territoriale aussi clanique s’installe ?

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  4. Germanicus33 Germanicus33

    A vouloir s’isoler, les résidents de ces copropriétés fermées s’enfermeront eux-mêmes, obligés à faire des détours pour accéder à leurs écoles et commerces, ou un simple arrêt de bus , comme quoi la connerie n’a pas de limites !

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  5. Tarama Tarama

    Le lotissement Barry laisse passer les piétons dans toutes ses rues et à toutes heures, c’est à noter, au contraire du Coin Joli qui est hermétique quelle que soit l’heure.
    Sévigné est ouvert aux heures de travail, pour les commerces et le centre médical. Les petites Magalones, entièrement closes.
    Ensuite, en direction de la Gaye, un corridor de plusieurs centaines de mètres boulevard Viton avec notamment l’hôpital Sainte-Marguerite d’un côté et des lotissements fermés de l’autre (dont un comprenant des locaux de l’Inserm).

    Et pour ce qui est de rejoindre le boulevard Michelet… que des grilles et seulement deux transversales de type “traverse” sur 3,5 km de long (entre l’avenue Lebrix et le rond-point du Redon).

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  6. SARAH LEFAVRAIS SARAH LEFAVRAIS

    Merci pour cet article tres interessant une rencontre riverains journalistes chercheurs serait bienvenue pour e changer et voir quelles actions pourraient etre menees pour faire bouger les choses vers plus de deplacements doux et de vivrd ensemble !

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  7. Trésorier Trésorier

    On peut comprendre la problematique d’echanges entre quartiers, tant en voiture qu’a pied, qu’en termes d’accessibilité aux arrets des trams/BHNS.

    D’un autre cote, au mieu de se désoler des conséquences, il serait plus utile de s’interroger sur les causes de ces fermetures, forts couteuses au demeurant : besoin de repli sur soi, lutte contre incivilités, dégradations voire aggressions.

    La puissance publique ne joue pas son role et laisse le prive essayer ou feindre de resoudre ces problèmes.

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  8. MarsKaa MarsKaa

    les causes de ces fermetures sont en effet intéressantes à entendre.. Besoin de rester entre soi, de se barricader car peur de l’extérieur, risques fantasmés ou exagérés (ils ne sont pas plus importants que dans d’autres rues ou quartiers de la ville…), envie de tranquillité sans circulation devant sa maison…
    et…tant pis pour les autres ! tant pis pour les habitants de la résidence d’à côté..
    ils ont qu’à faire pareil… et prendre leur bagnole, bien fermées de l’intérieur…c’est au mieux de l’égoïsme, au pire de la paranoïa et c’est un cercle vicieux …
    va-t-on tous finir enfermés chez nous ?
    il y a là un sujet pour les Géographes mais aussi les Sociologues, les Psychologues..et les Sciences politiques..

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    • corsaire vert corsaire vert

      Bien vu ! s’ils ne veulent pas de transports en commun, eh bien, qu’on les fasse ailleurs!
      Et Madame continuera d’aller chercher ses gosses à l’école avec son 4/4 de “matuv”….il ne sert qu’à ça …

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