Paysage de l’habitat indigne dans le centre-ville de Marseille

Décryptage
le 17 Déc 2018
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Depuis le 5 novembre, l'habitat dégradé, un mal dont souffre le centre-ville marseillais, est au cœur des débats. Une foule de questions ont émergé pour tenter d'en comprendre les raisons et l'ampleur. Plusieurs études réalisées avant le drame offrent de précieuses clés de compréhension.

Photo : Violette Artaud
Photo : Violette Artaud

Photo : Violette Artaud

Le 5 novembre dernier, huit personnes perdaient la vie dans l’effondrement de leur immeuble, rue d’Aubagne, à Noailles. Depuis manifestations et mobilisations citoyennes se succèdent pour demander des actions concrètes de lutte contre l’habitat indigne. Mais si le drame a mis au grand jour cette problématique, dans la lumière plus tamisée de certains bureaux, on a déjà étudié la question. Marsactu s’est penché sur quelques unes de ces études, dont certaines restées confidentielles jusqu’ici. Certains observateurs reconnaissent même qu’elles ont été “abandonnées dans un tiroir et très peu suivies d’effets”.

En 2017, par exemple, une étude intitulée “Quelle cohésion sociale métropolitaine aujourd’hui et demain ?”, commandée par l’Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU) et menée par le cabinet de conseil Urbalterre, évoquait longuement la question du logement. Remis aux collectivités territoriales ainsi qu’à l’État, le document décrit un contexte préoccupant : logements privés dégradés transformés en “logements sociaux de fait”, propriétaires indélicats voire véritables marchands de sommeil en quête de bénéfices, immeubles entiers laissés à l’abandon et hors des radars. Le marché de l’habitat indigne révélé par l’effondrement du 63 et 65 de la rue d’Aubagne a bel et bien été analysé et chiffré par le passé.

Logement sociaux de fait “jugés médiocres”

“Le plus grand nombre de logements sociaux sont privés et non subventionnés : ils sont sociaux de fait. Dans les quartiers les plus pauvres de la Métropole, c’est ce parc qui est le plus nombreux (et de loin)”, notent les urbanistes qui ont rédigé ce rapport. Ainsi, dans le premier arrondissement par exemple “60 % des ménages sont locataires du parc privé et seuls 3 % disposent d’un logement HLM”. Les chiffres avancés annoncent la couleur, et l’ampleur de l’indignité : ces logements “compensent la faiblesse quantitative de l’offre publique, par l’importance de leur nombre : 65 400 logements privés sont jugés médiocres.” 

Selon l’étude Urbalterre, ces logements privés sont composés “très majoritairement de locataires”comme c’est le cas dans le centre-ville marseillais. “Un marché du mal logement locatif privé destiné à une partie des couches populaires souvent étrangères (pas de titre de séjour), ne disposant pas de revenus suffisants pour souscrire un bailleur classique”, peut-on encore lire. Quant aux profils des propriétaires, il va “du marchand de sommeil à l’employé ou au cadre préparant sa retraite ou au retraité ancien propriétaire occupant”, peut-on encore lire.

“Les logements locatifs dans un état plus dégradé”

En juillet dernier, la Soleam, société publique d’aménagement de la Ville de Marseille et de la métropole, rappelait dans une autre étude le lien entre location et habitat dégradé : “Les logements locatifs […] sont généralement dans un état plus dégradé que les logements occupés par leurs propriétaires.” Si l’on comprend aisément qu’un propriétaire qui ne vit pas sur place sera forcément moins attentif à la qualité de son logement, ce constat peut aussi découler d’une logique de rentabilité explique à Marsactu David Mateos Escobar, urbaniste-géographe qui mène de multiples travaux sur le centre-ville :

C’est une question économique. Si l’on investit dans la pierre on va chercher ensuite à rembourser son emprunt, et il faut aussi payer les charges, la taxe foncière. Certains, grâce au loyer, arrivent à l’équilibre. Mais d’autres vont chercher à faire rapidement du bénéfice. Ce sont ces propriétaires qui désinvestissent un fois l’appartement acheté et ne feront aucun travaux. Avec le marché actuel de l’immobilier, ils pourront demander un loyer qui leur constituera une rente, le tout pour un taudis.

L’analyse s’illustre parfaitement par les chiffres. Pour l’étude Urbalterre, le cabinet de conseil cible plusieurs quartiers au sein de la métropole. Sans surprise, ceux du centre-ville de Marseille en font partie.

13 % du parc dégradé du centre-ville hors radar

Dans le centre, classé “politique de la ville” (QPV) plus de la moitié des copropriétés sont considérées comme fragiles, selon des données 2011 de l’agence nationale d’amélioration de l’habitat (ANAH). Parmi celle-ci plus de la moitié disposent de plus de 80 % de logements locatifs. Et donc probablement “de logements les plus dégradés abritant les plus pauvres tout en générant de fortes rentabilités locatives.” Aussi, 47 % du parc dégradé serait constitué de copropriétés à forte majorité locative.
Mais si certains investissent dans un ou plusieurs logements dans des copropriétés, d’autres achètent des immeubles entiers. Dans le centre-ville, l’habitat indigne est aussi concentré dans ces mono-propriétés qui appartiennent “exclusivement à des propriétaires bailleurs”, font remarquer les urbanistes d’Urbalterre en 2017 (Lire notre article sur le 37, rue Thubaneau). Elles représentent plus “d’une centaine d’adresses, soit près de 760 logements” dans le secteur ciblé. Sur la totalité du parc estimé dégradé par cette étude, cela représente, selon les calculs de Marsactu, quelques 13 %. À l’échelle du secteur grand centre-ville (1e, 2e et 3e arrondissements), les logements en mono propriétés se comptent par milliers : Urbalterre en compte 12 000. Cependant, ces mono-propriétés sont moins scrutées que les copropriétés dans certaines études.

Carte réalisée par la Soleam des mono propriétés sur le quartier de Noailles, dont les bâtiments publics.

“Il s’agit pourtant de bâtiments qui sont les plus faciles à traiter, étant donné qu’il appartiennent à une seule personne, contrairement aux copropriétés où il faut mettre tout le monde d’accord”, s’indigne l’un des auteurs de l’étude de 2017 interrogé par Marsactu.
Ces mono-propriétés ont déjà été localisées sur certains secteurs. En 2014, la Soleam avait en effet entre les mains une étude et une carte – bâtiments publics compris – sur le secteur de Noailles, notamment. Selon cette carte (reproduite ci-dessus) les mono-propriétés représentent dans le quartier près de 38 % de l’ensemble des immeubles. L’étude de la Soleam fournit en sus des explications à cette forte présence.

Tout d’abord un “héritage de la période glorieuse de Noailles avec des immeubles entiers appartenant à de riches familles marseillaises”, mais aussi des “investissements liés au PRI [programme de restauration immobilière]”, et enfin le “rachat des étages vétustes et très dégradés par les commerçants des locaux en RDC.” “Il y a une dizaine d’années, certains ont investi dans des immeubles peu chers et dégradés dans le centre-ville, ont retapé pour pas cher avec des aides de l’ANAH ou du PRI pour de mauvaises installations qui aujourd’hui ne tiennent plus. Et qui louent pour 600 ou 700 euros des taudis”, ajoute David Mateos Escobar.

“3580 logements qui pourraient relever d’une politique coercitive”

Sur la totalité de ce parc dégradé,  60 % des logements sont soit des copropriétés avec un majorité de propriétaires bailleurs ou des mono-propriétés. Ce qui fait un total de 3580 logements conclut l’analyse. L’étude Urbalterre préconise ainsi d’en faire la cible d’une “politique publique coercitive d’obligation de travaux imposée aux propriétaires bailleurs privés avec des aides aux travaux complémentaires et la possibilité en cas de non engagement des propriétaires dans une réhabilitation, l’acquisition des immeubles par la Ville ou son aménageur en vue d’un recyclage immobilier et la vente à un tiers.”

Graphique réalisé avec les données d’une étude transmise en 2017 aux collectivités territoriales et à l’Etat.

Pour les 40 % restants, considérées comme fragiles par l’ANAH mais qui comprennent moins de 80 % de locatif, Urbalterre prescrit “une politique incitative d’aides aux travaux et d’animation des propriétaires”. Plus généralement, et pour conclure, l’étude estimait que “la connaissance de l’habitat privé dégradé”, représente un des domaines de connaissance “partiels ou déficitaires” sur le territoire métropolitain.


Noailles, quartier qui “n’invite pas à l’investissement”

Dans son étude de 2017, le cabinet de conseil d’urbanisme Urbalterre décrit Noailles comme un quartier juxtaposant “plusieurs mondes”. L’un “métropolitain” de part sa fonctionnalité de marché où une importante frange de la population la plus pauvre vient se ravitailler. L’autre, “local, de pauvreté et de difficult锓ll y existe quelques vastes appartements bourgeois du XVIIIe et des appartements confortables” mais surtout “des taudis insalubres en nombre sans doute bien plus importants”, peut-on encore lire dans le document.

Noailles fait ainsi partie “des quartiers de mobilités pour des locataires pauvres, qui s’inscrivent dans des itinéraires individuels pour des temps relativement courts. […] Ce qui fait ces quartiers, c’est donc avant tout ce qui est immobile : les logements de faibles tailles, de faibles qualité, locatifs et facilement disponibles à ceux qui n’ont pas beaucoup d’autre choix. Ils entretiennent des solutions pour ceux qui n’ont pas abandonné.”

Outre la sociologie du quartier et la “qualité” de son habitat, on trouve également dans certaines études sérieuses des renseignements sur les sols de ce quartier, aujourd’hui pointés du doigt dans le drame de la rue d’Aubagne. Et présente des constats peu rassurants. Ainsi, dans un document siglé Soleam datant de 2014, on peut lire : “Nous constatons un manque de données partagées concernant le sol de Noailles, la topographie, la nature des sols, ainsi que les travaux de voiries et réseaux réalisés. Ce manque de données est préoccupant et les services de MPM sont conscients du mauvais traitement du sol de Noailles, parlant même « d’atteinte au patrimoine » en ce qui concerne les travaux effectués par les concessionnaires réseaux. Ils reconnaissent également que dans la plupart des cas les travaux sont effectués sans aucun plan ni recollement.” 

Enfin, les auteurs de l’étude concluent : “Noailles n’invite pas à l’investissement à long terme ni de la part des habitants ni de la part de la collectivité. C’est peut-être de cela dont il souffre le plus.”

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Commentaires

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  1. Zumbi Zumbi

    Tiens? revoilà en fin d’article le rappel du grand n’importe quoi dans les travaux sur les réseaux “sans plan d’ensemble ni récolement”, qui affectent gravement la voirie — marchez en zigzaguant parmi le délabrement des trottoirs, scrutez les creux et bosses pour sinuer en vélo ; et bien sûr tout le bâti — bon exemple avec le creusement d’un parking de plusieurs étages sous le square Michel Levy, où les questions des habitants de la rue en contrebas ont été éludées avec mépris : il n’y aura pas de déviation des flux souterrains de la colline, point barre. Espérons qu’on ne s’étonne pas d’ici quelques années de nouveaux effondrements par là…
    Si l’on reparlait de notre leader mondial vendant sa compétence et son expérience dans la gestion des eaux de Marseille ?

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  2. Bakto13 Bakto13

    Le logement indigne n’accable malheureusement pas le seul centre-ville de Marseille. Il frappe également parmi14 des 16 arrondissements marseillais. Seuls les 8ème et 9ème sembleraient épargnés pour le moment. A titre d’exemple, le petit immeuble de 2 étages que j’habite, dans le 5ème à la rue Terrusse, a été évacué “à titre conservatoire” (procédure juridique absconce) en mon absence le dimanche 19 novembre au soir. Les 2 appartements et local commercial de cet immeuble sont loués à 3 occupants différents avec 3 syndics d’immeubles distincts. Les propriétaires des 3 locaux sont en conflit depuis de nombreuses années au sujet du réglement des charges et de la rénovation des parties communes de l’immeuble. Au passage, notons que le cabinet d’infirmières qui occupait tout le rez-de-chaussée n’a que partiellement été scellé, côté couloir intérieur commun, et pas du côté de son accès principal depuis la rue. De toute façon, ce cabinet devait déménager et ses infirmières occuper un autre local non loin de là, au 3 rue de Verdun, qu’elles faisaient aménager dans l’intervalle et avant leur évacuation. Le locataire du second étage occupait un logement dont il se serait plaint depuis longtemps et aurait découvert 2 jours avant son évacuation une fuite d’eau de la toiture et tous ses murs lézardés le samedi 18. Selon le syndic de ma propriétaire, il serait demandeur d’un logement social de longue date. Quant à moi, me voilà relocalisé tardivement dans un hôtel après avoir passé 12 nuits dans une voiture, à 64 ans, étant petit retraité et grand invalide !

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