Pour l’architecte de la Plaine, “Euromediterranée est un projet technocratique”

Actualité
le 5 Oct 2016
17

Star de l'équipe lauréate de l'aménagement de La Plaine, Paola Viganò connaît bien Marseille. Très critique, elle exposait son point de vue sur la ville au cours d'un débat organisé en Wallonie autour du film "La fête est finie", consacré aux effets sociaux et urbains de la capitale européenne de la culture.

Capture d
Capture d'écran du débat mis en ligne sur YouTube.

Capture d'écran du débat mis en ligne sur YouTube.

Paola Viganò est un grand nom de l’architecture qui donne un vernis international à la rénovation de la place Jean-Jaurès, à La Plaine. Seule l’officialisation du choix du jury réuni par la Soleam, société publique d’aménagement qui porte le projet du “grand centre-ville”, permettra de connaître en détail le projet présenté par le groupement où elle figure. Pour l’heure, tout juste peut-on extrapoler sur le rôle respectif joué dans le projet par les paysagistes de Valence APS, mandataires et par ailleurs auteurs du jardin du fort Saint-Jean, les bétons spéciaux de Romain Ricciotti et la touche de Paola Viganò elle-même. Or, l’architecte milanaise a déjà quelques idées bien arrêtées sur Marseille et ses projets.

C’est ce dont témoigne le compte rendu d’un débat tenu lors du festival Ramdam, en Wallonie Picarde en janvier dernier. Le réalisateur marseillais Nicolas Burlaud y présentait La fête est finie, son film documentaire consacré à Marseille-Provence 2013, la capitale européenne de la culture. Cette séance spéciale, hors compétition, donnait lieu à un débat avec des architectes et urbanistes et notamment Paola Viganò.

Loading

En s’installant sur scène, l’architecte commence par réagir au propos du film, très critique sur le rôle de la capitale européenne de la culture dans l’éviction des classes populaires dans les quartiers du centre-ville marseillais. Et le propos de Paola Viganò n’est pas moins critique à l’égard de MP2013 et ses liens avec la politique urbanistique de la ville.

Elle prend appui sur deux expériences vécues de la ville. En effet, au tout début de l’opération Euroméditerranée, Bernado Secchi, l’associé de Paola Viganò, était l’urbaniste conseil de l’opération d’intérêt national. Une collaboration brève qui n’a pas laissé un bon souvenir aux deux architectes : “Nous étions très critiques sur la façon dont le projet se construisait. C’était évidemment un projet technocratique”, assène-t-elle en rappelant les travaux de Marcel Roncayolo sur la grammaire de la ville dont elle se disait nourrie. “Là on voyait ce projet urbain, banal, banalisé, qui lissait l’espace… On a été immédiatement dégoûtés.” Pour elle, la capitale culturelle n’était qu’un produit d’appel destiné à “placer ce projet qui ne marche pas”.

“Nous avons perdu tout horizon”

Son retour à Marseille a lieu “juste après la fête” en 2015. En effet, le studio milanais concourt au dialogue compétitif autour du nouveau quartier métropolitain de la Belle de mai baptisé Quartiers libres. Ils y sont associés à l’architecte Matthieu Poitevin qui a notamment réalisé les aménagements de la Friche, non loin. Là encore, le retour de Paola Viganò est plus que critique : “Le discours est très clair : il n’y a plus d’argent. Nous leur disons alors que c’est le quartier le plus pauvre de France. Ils nous répondent que l’argent a été utilisé pour la fête.”

La solution mise en avant par les responsables du projet, en réponse à ses inquiétudes, fait bondir l’urbaniste : “C’est là, je pense où nous avons perdu tout horizon : le projet doit s’inventer ses propres moyens. Le politique et l’économique ne mettent rien. C’est le projet lui-même qui doit s’inventer ses propres moyens d’exister”. En clair, il s’agit de trouver des ressources immédiates en mixant la promotion immobilière et les équipements publics. Une recette déjà éprouvée par la Ville autour du stade Vélodrome ou par Euroméditerranée pour le parc Bougainville. Autour de la porte d’Aix, si le financement du parc est inscrit dans la convention Euromed 1, le calendrier de réalisation du parc urbain est corrélé à la réalisation des opérations immobilières de son pourtour.

Paola Viganò dit alors partager le point de vue de Nicolas Burlaud, notamment sur le rôle de la culture et de la participation citoyenne : “Il s’agit de vendre un point de vue idéologique sur la ville. Non seulement ça ne sert à rien mais c’est dangereux. Le projet d’urbanisme de la ville est au milieu de ce conflit et de ces paradoxes.” Elle finit sur une exhortation à l’intention de ses collègues urbanistes et architectes : “Ce film et tout ce qui est en train se passer nous montre très clairement que nous sommes arrivés à une limite : cela ne peut pas continuer comme ça. La fête est vraiment finie”.

“Les conditions politiques” d’une ville méditerranéenne

On pourrait souligner avec malice que c’est la même structure, Res Publica, qui a œuvré avec des bonheurs divers à la concertation autour du projet Quartiers Libres et celui de La Plaine. Elle pourra également confronter son point de vue sur la ville avec Gérard Chenoz, le président de la Soleam.

Mais cela serait un peu court d’imaginer que Paola Viganò ne pense la politique urbaine de Marseille qu’en négatif. Invitée du Forum des projets urbains à la Villa Méditerranée, en juin dernier, elle répondait à une question sur “l’urbanisme méditerranéen”, par la réalité urbanistique que les villes méditerranéennes ont su créer : “Les grandes villes méditerranéennes ont des spécificités très claires : le climat, la topographie, la relation avec la mer (…) mais aussi des conditions politiques, sociales, démographiques d’une population en croissance, jeune, migrante. Tout cela caractérise fortement les villes de la Méditerranée et donc leur urbanisme.” À méditer en attendant le projet urbains et les conditions de sa mise en œuvre.

Loading

Actualisation : précision sur la stratégie d’Euroméditerranée. Si le parc de la Porte d’Aix est entièrement financé sur la convention Euromed 1, les réalisations immobilières influent sur le calendrier de réalisation du parc.

Cet article vous est offert par Marsactu

À vous de nous aider !

Vous seul garantissez notre indépendance

JE FAIS UN DON

Si vous avez déjà un compte, identifiez-vous.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. mrmiolito mrmiolito

    Eh bien au moins, voici quelqu’un qui n’est pas animé a priori des mêmes intentions plus ou moins nocives que la mairie de Marseille envers le quartier de la Plaine. Elle va donc pouvoir faire une vraie concertation sur la base de son projet afin qu’il convienne au mieux aux divers usages de cette place emblématique.
    Entre nous avant de la rénover, si elle pouvait déjà être un peu plus propre (notamment après le marché) et correctement éclairée la nuit, ce serait déjà pas mal…

    Signaler
  2. Magnaval Magnaval

    Quelles sont donc les “intentions nocives” de la mairie ?
    Ah oui, j’oubliais, limiter le stationnement…

    Signaler
  3. Court-Jus Court-Jus

    Les intentions nocives c’est clairement de faire ce qui a été fait rue de la République : dégager les classes populaires et aligner enseignes de shopping et programmes immobiliers. Ne voir l’urbanisme qu’à travers le prisme mercantile. Pas de moyens pour les écoles, les espaces verts, les assos, l’entretien, ce qui compte vraiment pour les habitants.
    Mais comme c’est dit dans l’article, la ville n’a pas un sou, et quand le peu qu’elle a, elle le dilapide dans des projets pharaoniques tels que la patinoire ou le stade, en espérant que par un coup de baguette magique ces équipements rapportent quelque chose …

    Signaler
  4. LaPlaine _ LaPlaine _

    On reconnaît bien là le discours de l’Assemblée autoproclamée de la Plaine, on touche quasiment rien on laisse comme çà, un parking à ciel ouvert, des “zones” où on peut faire “ce qu’on veut quand on veut”. Le lien avec la rue de la République, l’implantation d’enseignes de “shopping” etc etc, est d’une malhonnêteté intellectuelle sidérante, tout comme les hordes de bobos qui vont se précipiter su les appartements disponibles pour transformer cette place en Marais Marseillais… On se demande où est la “nocivité” dans cette affaire, et c’est surtout pas un supporter de la municipalité qui le dit…

    Signaler
  5. Magnaval Magnaval

    Oui, c’est en effet terrifiant, ces procès d’intention. Où est l’opération immobilière dans le cas de la Plaine ? La ville n’est pas propriétaire des immeubles du quartier et l’opération ne porte que sur le revêtement de la place.
    Quand à améliorer la qualité des commerces du marché, qui peut s’en plaindre ?

    Signaler
  6. Oreo Oreo

    On peut espérer que ce ne sont pas, comme à l’habitude les “impératifs de gestion” des services techniques qui vont faire le projet, sinon on va se retrouver, comme sur le vieux Port, rue de la République, Porte d’Aix, Cours d’Estienne d’Orves, place Villeneuve Bargemon, voûtes de la Major, etc. avec de vastes et mornes espaces “minéralisés”, propices aux concours de vitesse pour les engins de nettoiement, des arbres “sucettes”, tristes alibis végétaux, au passage d’immenses terrasses pour les copains bistrotiers, sans banc bien sûr pour éviter les “sans dents”… Mais, attention, tout ça réalisé par des urbanistes-paysagistes mondialement connus !

    Signaler
  7. LaPlaine _ LaPlaine _

    Ce n’est pas ce qu’il ressortait du cahier des charges, bien au contraire, une végétalisation accrue, plus d’espaces pour les enfants et les piétons, un marché enfin “calibré” au niveau emplacements, un entretien facilité ( à condition qu’il soit fait évidement mais c’est une autre histoire, il faut que les gaziers de Foutoir Organisé aient envie de bosser sinon…)

    Signaler
  8. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Espérons que Paola Viganò dont les observations sont très pertinentes, intégrera dans ce projet d’urbanisme des bancs publics pou s’assoir et des toilettes publiques gratuite comme il devrait y en avoir partout dans une ville digne de ce nom.

    Signaler
    • LaPlaine _ LaPlaine _

      55 sanisettes gratuites à Toulouse !!!

      Signaler
    • zorore zorore

      Ça sera intéressant de voir ce que son groupement va proposer et ce qui se fera réellement… À moins qu’elle ne jette l’éponge avant par désaccord avec la soleam, émanation de la Ville.

      Signaler
  9. zorore zorore

    Bonjour la rédaction,
    Est-ce que ça serait envisageable d’avoir un article sur le budget de la ville de Marseille avec des éléments de comparaison d’autres villes ? Quelles ressources pour quelles dépenses ? À force d’entendre la Ville dire qu’elle n’a pas d’argent pour les équipements scolaires, sportifs les aménagements, ça serait intéressant de savoir où va l’argent réellement.
    Merci !

    Signaler
    • Julien Vinzent Julien Vinzent

      Bonjour,
      concernant l’éducation, je vous conseille cet article dont le titre vous donne un aperçu de la réponse : “À Marseille, deux fois moins de budget par élève qu’à Toulouse” https://marsactu.fr/cest-data-a-marseille-deux-de-budget-eleve-qua-toulouse/
      Par ailleurs, la présentation du budget 2016 par la ville de Marseille est ici http://mairie.marseille.fr/administration-de-la-commune/le-budget (c’est bien évidemment pro domo mais c’est complet et la lisibilité s’est plutôt améliorée ces dernières années)

      Signaler
    • zorore zorore

      Merci pour ces liens. La présentation du budget de la ville est assez clair !

      Je n’ai malheureusement pas le temps de comparer les chiffres avec d’autres villes… Je réitère ma demande : ça serait, je pense, très instructif pour les Marseillais d’avoir des éléments de comparaison par exemple sur le % des recettes liées aux impositions directes, sur le % des dépenses en personnel, etc.
      Merci !

      Signaler
  10. MarsKaa MarsKaa

    mais où est l’urgence à la Plaine ? ce quartier n’a pas de problèmes particuliers, par rapport à d’autres, on y vit plutot bien, pourquoi la ville veut elle le “rénover” ? il est délabré ? il y a bien plus urgent, bien plus dégradé, ailleurs dans la ville. Le marché pose problème ? mais à qui ? et pourquoi ? c’est quoi exactement le problème à la plaine qui nécessite une “rénovation” ?

    Signaler
    • LaPlaine _ LaPlaine _

      Pour ce qui concerne le marché il me pose problème avec des forains qui dans leur majorité ne respectent pas les règlements de tenue d’un stand forain notamment en termes de gestion des déchets. La place n’a pas de problèmes? Les espaces piétons sont squattés par un parking automobile jour et nuit, la zone de jeu pour enfants est en piteux état, les revêtements et différences de niveaux sont très difficiles à entretenir (déjà que la métropole ne fait pas grand chose à ce niveau), la place est étouffée en permanence par le trafic automobile, les doubles files etc. Peut-être que vous y vivez bien mais on peut y vivre mieux.

      Signaler
  11. MarsKaa MarsKaa

    mais vous avez vu ailleurs l’état des trottoirs ? (je parle de trous, de pentes, de déformations) et le (peu) d’espaces dédiés aux enfants ? il y a urgence dans le 10e, dans le 1er, dans le 5e côté Baille, dans le 3e….
    évidemment que l’on pourrait améliorer la situation sur la plaine, mais une “rénovation” c’est fort quand même… pourquoi une focalisation sur ce lieu ? les problemes de revêtements, de trottoirs, de voitures envahissantes, de marché qui laisse des déchets, ce n’est pas qu’à la plaine ! alors pourquoi ?

    Signaler
  12. LaPlaine _ LaPlaine _

    Cette place est une des plus grandes de Marseille, elle a une architecture remarquable alentour , une histoire, et n’est plus respectée aujourd’hui, par personne (buveurs d’un soir, automobilistes, forains, épaves alcooliques). On peut retourner la question pourquoi pas elle? Par ailleurs il existe bien d’autres chantiers de rénovation ailleurs à Marseille (2ème, 3ème, etc).

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire