Au ZEF, au Frac et à la Criée, les “non essentiels” exposent leur précarité
Depuis le 12 mars, la scène artistique marseillaise a rejoint le mouvement national d’occupation des théâtres avec pour principale revendication la reprise de la vie culturelle. Du Merlan à La Criée en passant par le FRAC, rencontre avec celles et ceux qui investissent les lieux.
Au FRAC, les étudiants en arts occupent le lieu depuis plusieurs jours. (Photo : YS)
Un vent de rébellion souffle sur la scène culturelle marseillaise et vient relooker la façade du théâtre de la Criée. Du classique “La Criée occupée” au plus original “occupation 13 organisée”, inspiré de l’album de Jul, les slogans, inscrits sur de grandes banderoles à l’entrée du bâtiment attirent l’attention des passants. Certains, curieux, s’arrêtent pour lire de plus près les revendications affichées sur les vitres. D’autres, dépités, tracent leur chemin et laissent échapper un “dans quelle époque vit-on quand même !”.
Depuis le 15 mars dernier, des dizaines de personnes investissent nuit et jour le centre dramatique national installé sur le quai de Rive-Neuve. Elles rejoignent ainsi le mouvement national d’occupation des théâtres pour dénoncer les politiques culturelles du gouvernement, sur fond de gestion de la crise sanitaire. Ici comme au Merlan ou au Frac, ce n’est pas tant l’espoir de la reprise de la vie culturelle que les difficultés de leurs statuts précaires qui les rassemblent. Dans chacun de ces lieux, la direction accepte, voire soutien la mobilisation.
À l’intérieur, le hall, seul espace ouvert aux occupants, fourmille de vie. Ici une collecte de vêtements, là une préparation de pancartes. Près du bar, deux grandes tables en bois sur lesquelles les occupantes et occupants travaillent et à l’étage, des matelas et sacs de couchage disposés sur le sol.
“Plus rien ne m’animait vraiment. Mais là, je retrouve ce feu intérieur”
L’occupation est ouverte à tous. Et les étudiants de l’École régionale d’acteurs de Cannes et Marseille (ERACM), premiers à investir le lieu, tiennent à le souligner. “Dès le premier jour, on a annoncé qu’on rejoignait le mouvement national, mais surtout pas au nom de l’ERACM. Ça a toujours été ouvert et ça le restera. Qu’on étudie l’art, qu’on travaille dans le domaine, ou qu’on soit juste précaire, tout le monde est le bienvenu ici”, affirme Zélie Gillet, comédienne de 24 ans.
Cette primo-arrivante sur le marché du travail a “plutôt mal vécu” l’année écoulée. “Surtout le second confinement, où je ne faisais absolument rien”. Elle avait pourtant trouvé du travail juste avant les annonces gouvernementales. “J’ai signé mon contrat et le lendemain on était confinés. Ça m’a beaucoup pesé”, confie-t-elle. Zélie oscillait entre doute et déprime, jusqu’au lancement du mouvement d’occupation. “Plus rien ne m’animait vraiment. Mais là, je retrouve ce feu intérieur”.
L’occupation du lieu est chargée de symboles. “C’est quand même un endroit assez bourgeois, ce n’est pas en friche, c’est soigné…”, remarque Zélie. Mais voir des jeunes dormir là et se mobiliser pour leurs droits la surprend. “Être ici dans cet état des choses c’est assez fou !”, estime celle qui, l’an dernier, avait fait une lecture de Jean Giono sur la scène de ce même théâtre.
Pour Sophie Claret aussi, occuper le théâtre de la Criée fait un drôle d’effet. “C’est une scène qui est inaccessible pour les compagnies émergentes… Mais là, pour une fois, je n’ai pas attendu qu’on me sélectionne. Je suis ici”. Du haut de ses 27 ans, la comédienne qui joue en milieu scolaire n’a pas l’habitude des luttes collectives. Mais cette expérience a fait naître chez elle une conscience militante. “Voir des migrants qui n’ont pas d’autres choix que de dormir ici, quand moi je peux rentrer dans mon appartement si j’en ai envie, m’a fait prendre conscience que l’urgence se situe au-delà de la réouverture des théâtres et de la réforme des politiques culturelles”. Pour elle, il faut “faire converger les luttes”. Les revendications sont nombreuses, et inscrites sur les pancartes qui recouvrent les murs du théâtre : prolongation de l’année blanche, qui permet aux intermittents du spectacle de préserver leurs droits au chômage pendant la crise sanitaire, et son extension à d’autres métiers précarisés par la pandémie, protestation contre la réforme de l’assurance chômage, abandon de la loi sécurité globale…
Le Frac, premier lieu d’art contemporain occupé en France
Deux kilomètres plus loin, à la Joliette, une vingtaine d’étudiants en école d’art accompagnés d’artistes plasticiens discutent au pied du Fonds régional d’art contemporain Provence-Alpes-Côte d’Azur (Frac PACA). Au sol, ils ont déployé une longue banderole avec écrit “occupation” dans un dégradé de couleurs. Ce mardi 30 mars marque le début de l’occupation du bâtiment et fait du Frac PACA le premier lieu d’art contemporain à être investi en France.
Ici, les revendications diffèrent de celles des théâtres. Elles portent principalement sur le statut d’artiste plasticien. Les participants réclament plus de considération. Ils luttent contre la précarité à laquelle les condamne ce statut qui ne donne pas accès au chômage.
Le Covid n’est qu’un révélateur de nos difficultés.
Emmanuel, plasticien
“Un plasticien n’est pas considéré comme un travailleur”, regrette Max Sister, étudiant en cinquième année à l’école d’art d’Aix-en-Provence. Masque sur le visage, col mao, le jeune homme a abandonné les bancs de l’école pour venir occuper car “il fallait réagir”. “Les théâtres ont des syndicats, des groupes, ils sont soudés et organisés. Nous, on est souvent seuls dans notre coin, c’est important de se fédérer”. Le militant de 24 ans, habitué des manifestations, mais encore vierge de toute occupation, “appréhende [son] arrivée sur le marché du travail”, à seulement quelques mois de la fin de son année. “Notre seul moyen de rémunération est la vente d’œuvres, le reste du temps, on ne touche rien”, s’inquiète-t-il.
Cette situation, Emmanuel Simon, la trentaine, la vit depuis plusieurs années. “Le Covid n’est qu’un révélateur de nos difficultés”, confirme l’artiste plasticien. “Quand on est entre deux expositions, on n’a aucun revenu, on est majoritairement au RSA ou alors on trouve un job alimentaire”, poursuit-il. Selon lui, “avoir une équivalence de l’intermittence pourrait être une solution, ça nous garantirait un revenu entre deux emplois”.
Quelques étages plus haut après avoir poussé la porte de l’établissement, se trouve Agathe Paolazzi. Rouleau de scotch à la main, elle traverse la terrasse du Frac. La jeune femme s’apprête à rejoindre ses camarades pour fabriquer des objets qui serviront, d’ici à quelques jours, à “faire sortir l’art dans la rue” via des performances prévues dans la ville. L’étudiante en art de 21 ans s’exprime d’un ton calme. Sans passé militant, elle n’a pourtant “pas hésité” quand elle a entendu parler d’occupation. Elle estime qu’il faut “être solidaire avec les théâtres” et “se questionner autour du statut d’artiste qui n’offre que très peu de droits”. Mais aussi, d’étendre le mouvement aux “arts dits plastiques, visuels, performatifs…” et réfléchir à une manière de s’émanciper des institutions. L’objectif, “mettre fin à la concurrence entre les artistes et exporter directement l’art dans la rue, au plus près du public”.
Au ZEF, les “non-essentiels” s’organisent
Une culture moins élitiste, c’est aussi pour ça que militent les occupants du Théâtre du Merlan – aussi nommé ZEF, depuis son rapprochement avec la Gare franche – dans les quartiers Nord. À Marseille, ils ont été les premiers à rejoindre le mouvement national le 12 mars dernier. Une démarche impulsée par plusieurs syndicats comme la fédération CGT du spectacle ou encore le syndicat national des arts vivants (Synavi).
“Mais on n’est pas tous syndiqués ici, on est un collectif d’encartés et de non encartés”, lance Cooz, assis sur les marches de l’entrée, t-shirt floqué d’un “A” cerclé et cigarette à la main. Il dort ici chaque nuit, depuis dix-huit jours. “C’est génial, t’as enfin l’impression d’exister !“
Ancien artiste de cirque devenu technicien et artificier, celui qui préfère qu’on l’appelle Cooz n’a quasiment pas eu de boulot cette année. “Je travaille beaucoup avec les festivals, forcément, avec le Covid, tout a sauté, regrette-t-il. Aujourd’hui, je vis avec les indemnités de Pôle emploi.”
À l’intérieur du théâtre, ils sont une quinzaine, réunis autour d’une grande table pour préparer les actions à venir. Valérie Miquel, 53 ans, en fait partie. Cette danseuse et chorégraphe est revenue d’Ouganda il y a deux ans. “Depuis que je suis rentrée, c’est la galère et le Covid n’a rien arrangé. Même mes événements prévus à l’étranger, je n’ai pas pu les faire. Finalement, je me retrouve au RSA…”
La chorégraphe vient régulièrement au ZEF, mais sans espoir. “C’est chouette qu’on soit ensemble, ça permet de voir qu’on n’est pas isolés. Mais face au mépris du gouvernement qui nous a nommés “non essentiel“, je ne vois pas trop ce qu’on peut faire”.
La précarité qui fait converger les luttes
Il est dix-neuf heures, quand les occupants baissent les rideaux du théâtre. L’espace devient un lieu privé, les discussions, moins formelles et le bar attire un peu plus de personnes. Mais pour Géraldine Baldini, comédienne, chanteuse et membre de la CGT spectacle, la journée n’est pas terminée. Assise sur une chaise en bois, elle plie des dizaines de prospectus que les occupants iront distribuer le lendemain à Septèmes-les-Vallons. Malgré la fatigue qui se lit sur son visage, la quadragénaire se réjouit de faire partie de cette aventure. “Dans nos métiers on a l’habitude de se parler, de faire communauté. Pouvoir de nouveau faire ça, ça fait du bien, c’est nécessaire à l’humain”.
Du Zef au Frac en passant par la Criée, les profils diffèrent, mais tous sont unis par une lutte commune. Il y a quelques jours, une assemblée générale organisée à la Criée a réuni les militants des trois lieux. “Une très bonne chose”, estime Cooz. “On échange régulièrement, on lutte tous ensemble contre un même problème : la précarité”.
Commentaires
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juste une info . Il n’est pas dit une seule fois que pas un seul membre du personnel et de la Criée et du Zef occupent leur lieu de travail . A la Criée la CGT est le syndicat majoritaire et au ZEF ce sont les syndicats Sud/CGT qui ont des élus … Où sont ils ?
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c est pas leur problème, ils reçoivent leur salaire
C’est la fonction publique Marseillais qui a ce raisonnement complètement détaché de leur travail : vous n ‘avez jamais vu des tatas qui ne supportent pas les enfants à l’école ou bien des employés du conservatoire qui demande au enfant d’arrêter de faire du bruit avec leur saxo !!!!
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Très bonne remarque de Danièle Jeammet.
Très choquant le désintérêt du personnel de la Criée. Est-ce parce qu’ils ne sont pas concernés ? Et que dire de la Directrice qui n’a accepté l’occupation -uniquement du hall- que contrainte et forcée.
Le mot solidarité n’est décidément pas dans toutes les bouches
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