La forme 10 enfin livrée, mais sans la porte qui devait la fermer
Ce mardi, la forme 10 du chantier naval de Marseille accueillait son premier navire. Pour fermer cette immense cale sèche, la société Spie Batignolles a conçu un bateau-porte tout neuf. Or, celui-ci n'est pas fonctionnel pour le moment et se fait remplacer par son prédécesseur, vieux de 40 ans. Des millions d'euros de pénalités sont en jeu pour Spie Batignolles.
La forme 10 avec au fond, un bateau-porte. (Image LC)
Cela n’a l’air de rien mais il y a plus de 15 ans que le port n’avait pas vu ça. Dans la nuit de lundi à mardi, la plus grande cale sèche de Méditerranée a accueilli son premier paquebot de la MSC, à Marseille. Après le coup de mistral de la veille, retardant la manœuvre, il fait grand beau en ce mardi matin au pied de ce navire de 293 mètres, un peu au large dans les 485 mètres de la forme 10 ainsi inaugurée.
Tout au fond, le bateau-porte se ferme doucement, étape indispensable avant la vidange complète de la forme de radoub. L’évènement est d’importance, il clôt un chantier tout aussi colossal de près de 30 millions d’euros, stratégique pour le grand port maritime de Marseille (GPMM) comme pour la place portuaire et la métropole. Le chantier a pris du retard, le soulagement est palpable. Mais un dernier grain de sable à quelques millions d’euros vient rayer la belle vitrine.
Le vieux bateau-porte toujours de service
Car ce bateau-porte observé ce mardi, gigantesque infrastructure de béton flottant, est âgé de 40 ans. Il s’agit de l’ancien, construit dans les années 70 en même temps que la forme 10. Pourtant le marché de rénovation financé par l’État, le GPMM et les collectivités prévoyait bien la livraison d’un nouveau bateau-porte, dont le chantier de 13 millions d’euros a été confié à un groupement d’entreprises mené par Spie Batignolles. Celui-ci a bien été construit en vue de ce grand jour, mais il reste à quai. “Nous l’avons testé, il fonctionne, affirme Christine Cabau-Woehrel, la présidente du directoire du port. Nous allons le tester dans les mois qui viennent et il devrait être opérationnel à la fin de l’année.”
C’est effectivement une bonne nouvelle que salue Jacques Hardelay, le directeur général du Chantier naval de Marseille (CNM). Cette filiale du groupe italien San Giorgio Del Porto est amodiataire -locataire en termes portuaires- de la grande forme de radoub pour les 25 prochaines années. Mais si le nouveau bateau-porte fonctionne et devrait être certifié dans les prochains mois, sa durée de vie reste un mystère. Un mystère sur lequel plane un nuage de quelques millions d’euros, correspondant au montant des pénalités que pourrait avoir à payer Spie Batignolles ou les assurances qui se penchent sur le dossier.
Fissures et mèches de carbone
Tout démarre en mars 2015 lorsque des fissures apparaissent sur le monument en béton pré-contraint, c’est-à-dire que des câbles sont tendus à travers pour le rendre plus résistant. La tuile est de taille et repousse de plusieurs mois la livraison de la forme 10 au CNM. Un débat s’engage alors entre le port, maître d’ouvrage, et le groupement d’entreprises mené par Spie Batignolles. Selon plusieurs sources au port, le diagnostic des techniciens du GPMM est de faire construire un nouveau bateau-porte, un troisième. Spie-Batignolles défend un autre scénario : réarmer le béton du bateau-porte en implantant 8 000 mèches en carbone, recouvert ensuite d’une coque dans la même matière.
Pour se prémunir de toute éventualité, le port remet alors en chantier le vieux bateau-porte. “Nous avons dépensé 600 000 euros pour le rendre à nouveau opérationnel”, explique Christophe Pilloix, le directeur des bassins marseillais. Dans le même temps, le ministère des transports est saisi. “A priori, le bateau-porte est opérationnel, c’est ce que les contrôles des prochains mois devraient nous confirmer, réaffirme le directeur du GPMM. La question est de savoir sur quelle durée. Nous ne sommes pas inquiets, les plus grands sachants français de la réparation du béton pré-contraint sont saisis du problème.” Leur verdict devrait être connu dans les six prochains mois.
800 jours de pénalités
La position du GPMM n’est pas trop inconfortable. Le marché qui lie le port à Spie Batignolles est dit de conception-réalisation. C’est à la société maître d’œuvre de livrer une infrastructure avec toutes les garanties de durabilité. Or, depuis juin 2015, date de livraison initiale, le compteur des pénalités journalières tournent. “Je crois que nous en sommes à 800 jours de pénalité, admet Christophe Pilloix. À la fin, cela pourrait faire 3, 4 ou 5 millions d’euros. C’est un chiffre théorique. Dans ce type de marché, cela fait toujours l’objet de négociations”. Des négociations où s’invitent également les assureurs de l’industriel. Joint par nos soins, ce dernier n’a pas répondu dans le délai de publication de cet article.
La présidente du directoire Christine Cabau-Woehrel balaie le nuage gris en ce jour de grand bleu. “Effectivement, Spie Batignolles a testé une technique qui n’a jamais été faite mais c’est comme cela qu’on innove. Je ne suis pas du tout inquiète. L’important est que le bateau-porte soit opérationnel et il le sera dans quelques semaines. Et nous avons un plan B avec l’ancien bateau-porte”. Problème : le fonctionnement optimal de ce dernier est évalué à 3 à 5 années. Au-delà, c’est l’inconnu. Livrer une forme pour 25 ans sans certitude sur le moyen de la fermer, c’est un peu ballot.
Du côté de l’amodiataire, le président du CNM Jacques Hardelay se dit confiant. “J’ai insisté pour que nous puissions disposer d’un deuxième bateau-porte. Aujourd’hui, c’est un plus. Quand nous devons faire contrôler le bateau-porte de la forme 8 [un bassin de radoub plus petit, NDLR], je n’ai rien pour la remplacer et la forme est indisponible. Demain, j’aurais deux bateaux-portes que je pourrais utiliser, m’évitant ainsi une mobilisation trop longue de la forme”. Au départ, une fois le nouveau bateau-porte entré en fonction, l’ancien aurait dû être recyclé en quai. Au final, les deux seront en service. De l’art de faire d’un nuage noir, un nuage rose…
Commentaires
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Ah, je me disais bien que quelque chose allait clocher.
J’espère que les ingénieurs de SPIE BATIGNOLLES qui gèrent ce problème de porte ne sont pas ceux qui ont conçus la L2 ou la station de métro Capitaine Gèze .Si oui, danger à La CAPELETTE.
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C’est ballot : on prend une entreprise française et ca ne marche pas. La prochaine fois, on prend une entreprise chinoise ?
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Constater des désordres,ET NOTAMMENT DES FISSURES, sur un ouvrage neuf en béton post-contraint génére de facto un contentieux qui empêche la réception des travaux. Qui peut signer la garantie du parfait achèvement sur une structure de 30 millions d’euros? On peut comprendre les précautions du directeur des bassins, qui bétonne ses arrières…
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Je suis souvent assez perplexe de constater que certains groupes géants internationaux, qui emploient des milliers de collaborateurs dont des centaines d’ingénieurs de haut niveau, peuvent faire autant de bêtises… “Une forme censée durer 25 ans sans certitude sur son bon fonctionnement”… Arrrggggghhhh…
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