La nouvelle vague de la rénovation urbaine à Marseille en huit questions pièges

Actualité
le 24 Oct 2017
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Le protocole de préfiguration du plan de rénovation urbaine a été adopté quasiment sans débat au conseil municipal puis à la métropole. Pourtant il est censé impacter le devenir d'une grande partie de la ville. Retour sur un document clef en huit questions pièges.

En mai, un habitant pose devant le bâtiment G avant sa destruction, sur la place de la Tartane. (LC)
En mai, un habitant pose devant le bâtiment G avant sa destruction, sur la place de la Tartane. (LC)

En mai, un habitant pose devant le bâtiment G avant sa destruction, sur la place de la Tartane. (LC)

NPRU, PRU, protocole de préfiguration… Certes riche en acronymes et formules technocratiques, la rénovation urbaine n’a pas le rouge aux joues et l’œil qui frise. Difficile d’en faire un sujet porteur. Preuve en est, le vote du protocole de préfiguration du nouveau programme de rénovation urbaine n’a entraîné quasiment aucun débat à la Ville comme à la métropole, si ce n’est au ras du bitume des préoccupations des élus de secteur. Même le Front national, pourtant friand de polémiques sur les milliards coulés dans le béton, s’est abstenu de la moindre intervention.

Pourtant le précédent programme et ses 14 chantiers aux quatre coins de la ville ont déclenché plus d’1,2 milliard de financements publics. Mais la pluie d’euros s’est étalée sur une échelle de temps si longue que personne n’en mesure les effets. Sauf peut-être les habitants, forcés à déménager – parfois pour mieux – ou à subir les désagréments d’une vie dans la poussière. Passage en revue du nouveau protocole en huit questions pièges comme autant d’enjeux.

En a-t-on fini avec les 14 premiers projets marseillais ?

Non. La délicieuse novlangue de la rénovation urbaine distingue le niveau d’engagement financier et le niveau réel d’avancement des opérations. En clair, les dossiers administratifs démarrés pour certains à partir de 2004, sont bouclés, mais les pelleteuses continuent de creuser et les grues à monter. Et c’est loin d’être fini (voire notre carte). En charge de la rénovation urbaine, de la politique de la ville et du logement à la fois à la Ville et à la métropole, l’élue UDI Arlette Fructus est consciente de cette difficulté à faire comprendre le mécano complexe. “C’est un des soucis de la rénovation urbaine, constate-t-elle. Nous travaillons à une échelle de temps qui ne correspond pas à la réalité de la vie des gens. C’est pour cela que la concertation est importante.” Le document de préfiguration voté la semaine dernière indique clairement que sur 14 projets actuellement en chantier “10 sont concernés par le nouveau programme national de rénovation urbaine”. C’est à dire que les chantiers lancés avec le précédent programme vont se poursuivre avec des financements venus du nouveau.

Désormais le protocole de préfiguration impose une réflexion sur de vastes zones de la ville auxquelles sont intégrés les anciens projets de rénovation urbaine. Leur achèvement doit être coordonné avec les futurs projets et dans le cadre d’une réflexion globale sur la ville et son évolution. Via les conseils citoyens, la concertation est censée être une donnée de cette réflexion.

Y aura-t-il neuf nouveaux projets de rénovation urbaine en 2020 ?

Non. Dans un premier temps, l’Agence nationale de rénovation urbaine a sélectionné neuf sites d’intérêt national à Marseille dans un vaste ensemble de 200 quartiers prioritaires à travers la France. Mais ces neuf sites ne feront pas automatiquement l’objet d’un conventionnement et donc d’une concrétisation. “Cela va dépendre de la phase d’études qui commence aujourd’hui et doit s’achever en 2020”, précise Arlette Fructus.

Certains projets très avancés comme la Castellane ou Air-Bel devraient être validés et signés par les partenaires avant cette date. À l’inverse, si les projets n’avancent pas au bon rythme, certains quartiers peuvent sortir des priorités nationales. “C’est plutôt intelligent de commencer par lancer des études sur de grands périmètres pour faire émerger des projets urbains, commente Patrick Lacoste, de l’association Un centre-ville pour tous. Mais cela dégage en creux le constat que la Ville n’a pas construit de stratégie globale de développement urbain en 20 ans sur Marseille. L’État propose donc de faire des études larges pour embrasser l’ensemble des problèmes mais y aura-t-il en bout de course encore de l’argent pour financer les projets ?“.

La Castellane est-elle prioritaire sur Air-Bel ?

Non. C’est l’ancienne adjointe à la rénovation urbaine et ancienne maire des 11e et 12e arrondissement, toujours députée LR du secteur, Valérie Boyer, qui s’inquiétait en ces termes lors du dernier conseil municipal, le 16 octobre dernier : “Le dossier d’Air-Bel est le seul des quartiers Est. Il est indispensable qu’il avance dans les mêmes délais”. En effet, le projet de rénovation de la Castellane avait pris un brusque coup d’accélérateur quand une visite du premier ministre Manuel Valls avait été bousculée par l’irruption d’un commando armé et cagoulé devant l’école du quartier juste avant son arrivée.

Depuis, la cité est régulièrement visitée par les ministres et son traitement paraît prioritaire. “Les deux cités du Nord et de l’Est ont vu leurs projets inscrits sur les crédits du premier programme de rénovation urbaine, reprend Arlette Fructus. Si des opérations de démolition ont déjà commencé à la Castellane, nous avançons également à Air-Bel où le projet est en passe d’être bouclé.” Il n’y aura pas, dit-elle, de projets de rénovation urbaine à deux vitesses.

C’est quoi un cadran ?

La démarche du nouveau programme national de rénovation urbaine impose aux acteurs locaux de réfléchir non plus à l’échelle d’une cité mais à celle, bien plus vaste, de vrais morceaux de ville. Marseille a donc été découpée en plusieurs “cadrans” qui correspondent peu ou prou aux quartiers prioritaires de la ville. Voici leur carte.

Les partenaires du NPNRU sont donc censés réfléchir les projets à l’échelle de ces cadrans en prenant en compte la question des mobilités, celles de l’accès à l’emploi et à la formation mais aussi la répartition de l’habitat entre types de logements, le développement durable…

Quatre grandes zones sont ainsi délimitées : au Nord, un nouveau quartier se dessine avec en épine dorsale l’hôpital Nord d’un côté et le centre commercial Grand Littoral de l’autre. Autour de ces deux équipements, privé et public, on trouve bon nombre de sites (en vert) ciblés par des programmes. Mais tous ne feront pas l’objet d’un conventionnement.

En orange, on retrouve les quartiers en lien avec la rocade L2, de Bassens au Nord à Frais-Vallon à l’Est. La réflexion autour d’Air-Bel doit être élargie le long de la vallée de l’Huveaune (en rose). Enfin au centre (en rouge), on trouve une vaste zone qui réunit les quartiers de l’arrière-port associés à ceux du centre-ville. En clair, il s’agit des deux périmètres d’Euroméditerranée plus les quartiers populaires de l’hyper-centre.

À cette échelle, le futur projet de la Castellane se marie donc avec la Bricarde toute proche. Tout comme Frais-Vallon se réfléchit en écho avec la cité du Petit Séminaire et celles qui entourent le centre urbain de La Rose.

Peut-on rénover le centre-ville comme on rénove une cité ?

Non. Et c’est bien cela le problème. Dans les cités de logement social, ce sont en premier lieu les bailleurs qui rénovent leur patrimoine et mettent la main à la poche. Cela s’avère plus compliqué dans un tissu urbain avec des propriétaires, des locataires et des situations très diverses… La lenteur de réalisation du projet centre-nord témoigne de cette difficulté à agir sur le centre ancien, de Noailles à la Cabucelle. Cela dessine clairement comment les projets urbains tentent d’étirer le centre-ville au Nord de la ville. “Cela correspond à l’endroit où il y a de vraies opportunités foncières. C’est une politique d’opportunité pas une stratégie”, fustige encore Patrick Lacoste, d’un centre-ville pour tous.

Dans une langue plus policée, le protocole de préfiguration dit à peu près la même chose sur le secteur du Grand centre-Ville – GPMM : “Les partenaires attendent un affichage clair d’une gouvernance lisible et d’un portage d’ensemble sous responsabilité de la Métropole permettant de cibler des pôles prioritaires”. Dans cette vaste “patate” de la zone littorale, les partenaires de la rénovation urbaine ne peuvent pas agir de la même façon, ni avec les mêmes outils sur les pentes du cours Julien ou rue de Versailles (3e). Pour l’heure, le contenu de la boîte à outils n’est pas connu.

Les anciens habitants de la Savine vont-ils tous venir habiter dans le 3e arrondissement ?

Non. Et pourtant c’est une angoisse récurrente de la maire des 2e et 3e arrondissements (PRG) Lisette Narducci. Elle l’a encore exprimé lors du dernier conseil municipal, le 16 octobre. “Les engagements colossaux dans le 3e arrondissement n’ont pas porté leurs fruits, constate-t-elle. Dans un secteur pauvre, les logements neufs que l’on construit ne bénéficient pas aux mal-logés du secteur. On assiste à un transfert de population qui pose des problèmes de cohabitation. Et cela va être encore le cas dans le secteur Bon Pasteur-Montolieu qui doit accueillir des habitants de la Savine.

La position fait soupirer l’adjointe à la rénovation urbaine. “Cela fait plusieurs fois que je tente d’expliquer, mais cela ne passe pas. Sur l’îlot Bon-Pasteur [à deux pas de la porte d’Aix, ndlr], il s’agit de reconstituer l’offre en logements sociaux démolis à la Savine. Mais ces logements ne seront pas réservés à des gens de la Savine. Au contraire, nous visons plutôt des jeunes actifs qui peuvent tout à fait venir de ces arrondissements. En tout, ces derniers années, nous avons relogé 108 familles issues de quartiers en rénovation urbaine. On est loin d’un transfert“.

Les copropriétés dégradées seront-elles intégrées au nouveau programme de rénovation urbaine ?

Oui et non. Dans les 9 quartiers prioritaires figurent déjà de grandes copropriétés dégradées. C’est le cas du parc Kalliste tout au Nord mais aussi du parc Corot (13e), ou de Maison-Blanche (14e). Ces grandes copropriétés font déjà l’objet d’un accord entre les collectivités locales et l’État dans le cadre d’un protocole de résorption de l’habitat indigne qui doit être signé avant la fin de l’année.

Mais, là encore, seules les études ont été financées et on ne sait pas encore avec quels outils et quel argent les plans de sauvegarde éventuels, les expropriations et les démolitions seront financées. Pour l’heure, l’adjointe se borne à rappeler le rôle de l’agence nationale d’amélioration de l’habitat aux côtés de la métropole, du département et de la Ville. Mais en quelles proportions et avec quel pilotage ? Pour l’heure, personne ne le sait.

La rénovation urbaine est-elle un enjeu métropolitain ?

Oui. Désormais la rénovation urbaine comme la politique de la ville sont des compétences métropolitaines. “C’est une chance car cela permet de coordonner les problématiques de l’habitat, du développement économique et de la mobilité qui sont des compétences stratégiques de la métropole”, formule Arlette Fructus. Une chance qui peut-être aussi un handicap majeur à l’heure où la métropole cherche ses premiers sous pour financer ses investissements. D’autre part, il va falloir convaincre les maires de la métropole de l’importance de miser sur le développement des quartiers populaires du nord de Marseille.

Or, selon les objectifs de la métropole, il s’agit de rapprocher les personnes en recherche d’emploi des zones où ils peuvent en trouver. Cela passe par la mobilité mais aussi par une “politique de peuplement” plus large. “De toutes façons, nous ne pouvons plus reloger les habitants des quartiers prioritaires dans d’autres quartiers prioritaires”, constate Arlette Fructus. Il va donc falloir convaincre de l’intérêt de ces dépenses, comme de la nécessité de réfléchir les parcours résidentiels à l’échelle de la métropole. À l’orée des prochaines municipales, on risque de revoir refleurir des tracts sur lesquels les tours des quartiers nord menacent garrigues et pinèdes. Sans parler de leurs habitants.

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Commentaires

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  1. Trésorier Trésorier

    Je m’étonne que dans le centre ville la requalification urbaine (le terme a du être bon à un moment donné et n’est peut être plus adéquat aujourd’hui) patine et que les bâtiments et logements, ainsi que l’espace publics restent aussi dégradés.

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  2. LaPlaine _ LaPlaine _

    Ce n’est pas qu’un problème “d’échelle de temps” (cf Fructus) mais comme cela est justement dit, le fait qu’aucune réelle politique de la ville incluant la rénovation urbaine n’a été menée ou quasiment durant les 20 années écoulées. Le réveil de la somnolence municipale est difficile tant il faudrait tout gérer de front, le laisser-aller a des avantages sur le moment mais il faut payer un jour.

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Même constat pour les écoles. Quand on se satisfait d’avoir, “en vingt ans, construit ou entièrement réhabilité 37 écoles”, comme le site internet de la Ville l’a longtemps indiqué, on finit par se trouver devant un mur d’investissement à franchir. 37 écoles, c’est moins de deux écoles par an… sur 444. Ce qui veut dire, en gros, que chaque école était supposée durer plus de deux siècles sans réhabilitation lourde… Le laisser-aller est aussi rattrapé par l’arithmétique de base, parfois.

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    • barbapapa barbapapa

      @ électeur : Si monsieur le maire lit le truc d’irithmitique, il va se sentir inconséquent, incapable, idiot, ignare, inepte, inculte, inapte, i tutti cuanti…

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Impressionnante liste de “i” ! Le concours continue.

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    • LN LN

      @barbapapa : si je puis me permettre (!) Il faut rester tout de même dans les “vrais i” pour le concours… Sinon c’est la porte ouverte à toute ineptie, idiotie, ignorance, un peu à l’image de notre conseil municipal et ce n’est pas l’idéal…. 😉

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    • LaPlaine _ LaPlaine _

      Oui cette incompétence municipale est décidément irréfragable.

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  3. LN LN

    En 2001, il y avait déjà à Maison-Blanche un travail sur l’habitat indigne car “on” incitait beaucoup à ce que les familles très très pauvres (voire SDF) y soit relogées grâce à des propriétaires tout aussi indignes, férus d’APL et autres aides de la CAF peu regardante. Une misère à l’époque…. Qui de toutes façons aurait voulu y habiter ? Il était question de raser tout simplement. En 17 ans, ça n’a pu qu’empirer. Et on re(rerererererererere)parle encore de rénovation…. Quelle chance d’avoir enfin cette Metropole ! Avec des compétences nouvelles aussi ? Ah oui, mais pour l’heure personne ne sait.

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    • LaPlaine _ LaPlaine _

      Des compétences nouvelles…potentielles oui, mais associées à des incompétences individuelles.

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  4. Jacques Milan Jacques Milan

    On comprend que la métropole a la compétence urbanisme mais n’a aucun moyen financier de la mettre en oeuvre. Et même que la métropole se cherche, n’étant pas composée d’élus au premier degré. Même si Philippe 1er ministre a promis de ne pas toucher au mille-feuilles territorial, il me semble urgent de fusionner la métropole de Marseille avec le département (une mangeoire de moins pour nos élus). Car le département a des moyens, notamment sociaux. On aurait une poltiique urbaine métropolitaine avec des moyens sociaux.
    Reste alors à définir laquelle : pour le moment, les projets qui apparaissent semble simplement réparer des coups partis dans le passé (les tours, les barres, mal finies) mais semblent peu concernés par un futur souhaitable pour tous les habitants.

    Dans la situation actuelle, comme la ville change sans cesse, si ni la métropole (pauvre en moyens), ni la commune de Marseille (usée avec Gaudin qui n’a même plus l’âge de lire Tintin) ne font la politique urbaine, ce sont les acteurs privés qui la font, au gré des opportunités foncières. Cela donne la destruction du patrimoine grec de la Corderie pour faire des logements de luxe et des parkings par Vinci par exemple ; ou le parc paysager clean pour habitants aisés à la Plaine.Les bétonneurs privés détruisent le patrimoine et chassent les classes populaires pour faire du profit à court terme. Et donnent à manger à quelques élus sur les miettes de ce qu’ils gagnent.

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