Le nouveau propriétaire de l’hôtel de Caumont rechigne à rembourser la Ville d’Aix
La façade de l'Hôtel de Caumont (DR)
Après six ans de bonne entente, Culturespaces ne joue plus la même partition que la Ville d’Aix. La société, filiale d’Engie (ex GDF Suez), a dépensé 10 millions d’euros pour acquérir l’hôtel de Caumont en 2013 et en faire un lieu culturel, son premier en tant que propriétaire (voir encadré). La vente du lieu était souhaitée dès 2010 par la mairie, laquelle ne manque pas de mettre en avant sa programmation depuis mai 2015, date à laquelle il a commencé à accueillir des expositions, à une rue du cours Mirabeau.
Aujourd’hui, un contentieux avec Culturespaces amène la mairie d’Aix-en-Provence devant le juge administratif. Les deux partenaires avaient pourtant agi de concert dès décembre 2010 : lors de l’accord sur la vente du monument historique, qui nécessitait alors une importante rénovation, Maryse Joissains (LR) et son équipe s’étaient engagés à réaliser des études et travaux avant l’ouverture du “centre d’art”. À charge pour Culturespaces de restituer la somme à la Ville une fois l’opération terminée, ce qui est aujourd’hui le cas.
1,6 million d’euros de travaux sur les façades
Ce remboursement est en réalité contesté par Culturespaces au tribunal administratif. Le 11 décembre 2015, la Ville a émis un titre de recettes pour récupérer comme prévu les frais avancés sur ses fonds propres pour rénover les façades de l’hôtel de Caumont. Cette subvention représente la moitié du coût des travaux, co-financés avec d’autres collectivités. Le document signale au service du Trésor public chargé d’approuver les comptes des collectivités qu’une dette doit être recouvrée. Il lui revient alors de s’en charger.
Jusqu’ici, tout se déroule normalement. Sauf qu’une délibération du conseil municipal du 20 juin dernier nous apprend que les violons de la Ville d’Aix et de Culturespaces semblent un peu désaccordés. Culturespaces demande l’annulation du titre de recettes de la Ville devant le tribunal administratif. En l’état, elle refuse de rembourser les 760 000 euros avancés par la ville.
Une première propriété
Définitif en 2013, le transfert de propriété de l’Hôtel de Caumont à Culturespaces était dans les tuyaux depuis 2009. La bâtisse est une première acquisition pour la filiale d’Engie (ex GDF Suez). Fondée par Bruno Monnier, un ancien haut fonctionnaire du ministère de la culture, Culturespaces était jusque-là seulement gestionnaire de lieux culturels. Dans la région, elle gère entre autres les Arènes de Nîmes, le Théâtre antique d’Orange et les Carrières de lumières des Baux-de-Provence, pour lesquelles une autre procédure judiciaire est en cours.
“Il y a effectivement un procès en cours, confirme l’adjointe à la culture Sophie Joissains. Le Trésor public a refusé l’étalement du remboursement, qui n’est pas contesté sur le principe. La Ville n’est pas contre le fait d’étaler dans le temps, mais les règles du Trésor public sont plus strictes.” En revanche, Sophie Joissains indique un montant inférieur de 760 000 euros, légèrement inférieur à celui indiqué dans le tableau de financement que Marsactu s’est procuré qui est de 857 000 euros. Dans un e-mail laconique adressé à Marsactu, Culturespaces se contente de confirmer la procédure et euphémise : “Il n’est pas question de s’y soustraire, simplement de préciser les modalités de ce remboursement, sur le calendrier en particulier.”
Pour faciliter l’installation du “centre d’art”, la Ville a pris en charge la rénovation des façades du bâtiment en 2011. Beaucoup de temps peut s’écouler entre la signature du compromis de vente et la prise de possession des lieux par l’acheteur d’un monument historique, différentes opérations légales devant être réalisées au préalable. Culturespaces ne pouvait pas être pleinement propriétaire de l’hôtel de Caumont avant novembre 2013, d’où la volonté des deux parties d’anticiper les travaux. Des délibérations du conseil municipal d’Aix de l’époque mentionnent que les deux parties avaient intérêt à gagner du temps :
Ainsi, compte tenu de ces délais et dans l’intérêt commun de la Ville et de Culturespaces, il a été expressément convenu dans le compromis que certaines études et travaux puissent être d’ores et déjà entamés par la Ville d’Aix-en-Provence, en collaboration avec la Société Culturespaces, et ce afin de permettre une ouverture rapide de ce Musée suite au transfert du bâtiment.
Un marché gagnant-gagnant pour la Ville et Culturespaces
La ville d’Aix était propriétaire de l’hôtel de Caumont depuis 1964. Jusqu’à l’été 2013, le Conservatoire national de musique et de danse Darius Milhaud y était installé, avant son départ pour le quartier Sextius-Mirabeau et un nouveau bâtiment conçu pour l’accueillir. Maryse Joissains et son équipe justifiaient la vente de l’hôtel de Caumont par la nécessité de ce nouveau conservatoire, et la possibilité de réinvestir cet argent dans sa construction. Ce déménagement a d’ailleurs été précipité pour céder l’hôtel de Caumont à Culturespaces, non sans conséquence sur le nouveau conservatoire.
La vente était donc un mariage de raison : la Ville se débarrassait d’un bâtiment coûteux à entretenir, y gagnait une partie du financement pour un nouveau conservatoire qu’elle désirait depuis longtemps et un nouvel espace culturel de renom à moindres frais. Pour Culturespaces, il s’agit d’une première acquisition dans une ville touristique reconnue pour sa vie culturelle.
Autant de raisons de faciliter la venue de Culturespaces, en confiant la rénovation des façades à la Ville dès 2011, en cofinancement avec les autres collectivités. Ces travaux ont coûté 1,6 million d’euros au contribuable. La Ville d’Aix a obtenu des subventions de la communauté d’agglomération du Pays d’Aix (23%), de l’État (25%) et du conseil régional (moins de 1%, pour les études préalables). Elle a avancé les 52% restants.
L’opposition critique la manœuvre financière
En résumé, la Ville d’Aix a reçu des financements d’autres collectivités pour rénover un bâtiment qu’elle était en train de vendre, tout en s’assurant que ses propres dépenses (soit 760 000 euros) lui seraient remboursées. Sauf que le titre de recettes, et donc le remboursement, sont aujourd’hui devant le tribunal administratif, dans une procédure dont il est impossible d’estimer la durée. En revanche, les autres collectivités ne seront dans tous les cas pas remboursées.
Ce montage financier interroge Lucien-Alexandre Castronovo, élu d’opposition au conseil municipal d’Aix-en-Provence, qui a évoqué la situation sur son blog. “Culturespaces est une structure de droit privé, détaille t-il. Cela aurait été très difficile pour eux d’obtenir des subventions. Alors qu’est-ce qui s’est passé ? C’est la Ville qui a demandé et obtenu des subventions à sa place ! Donc la Ville finance ces travaux, puis Culturespaces rembourse, mais seulement la mise de la Ville. En quelque sorte, c’est un prêt. Pourquoi rembourser la ville et pas les autres collectivités ?”
La CPA a donné plus d’un demi-million d’euros à Culturespaces
Culturespaces a pourtant obtenu des subventions pour d’autres travaux, réalisés après son arrivée dans les lieux. La rénovation et la réhabilitation des décors de la bâtisse, un chantier de 945 000 euros, ont été financées à 70 % par la communauté d’agglomération, le conseil départemental et l’État, laissant 30 % à la charge de Culturespaces. Une nouvelle fois, la communauté du Pays d’Aix (CPA) apporte une contribution importante – 188 000 euros, 20% du total – s’appuyant sur une politique de soutien aux monuments historiques privés votée un mois après la vente.
En revanche, nous n’avons pas réussi à déterminer d’où proviennent les 377 000 euros transférés de la CPA à la Ville pour la rénovation des façades de l’hôtel de Caumont. Interrogée, Sophie Joissains précise que cette aide financière est bien une “subvention” de la CPA à la Ville. Impossible pourtant d’en trouver trace dans les délibérations.
En tout, la CPA a donc dépensé plus de 565 000 euros pour faciliter l’acquisition de l’hôtel de Caumont par Culturespaces. La structure intercommunale était alors présidée par Maryse Joissains, et son conseiller délégué aux finances n’était autre que Gérard Bramoullé, simultanément adjoint aux finances d’Aix.
De son côté, la Ville d’Aix aura empoché, au total, et à condition que Culturespaces rembourse sa dette, environ 9,2 millions d’euros avec la vente de ce bien public par ailleurs monument historique. En attendant ledit remboursement, le contribuable aixois a déjà mis la main au portefeuille à trois reprises pour faciliter la vente de l’hôtel de Caumont .
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à propos de l’étalement du remboursement: c’est pourtant bien ce que le trésor public a autorisé dans le cadre de l’achat par mimet à l’agglo, de Château-Bas: remboursement sur 10 ans
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