[Nous, la politique] “Je ne suis pas une communauté, je suis un Français comme les autres”
Jusqu'au premier tour de l'élection présidentielle, Marsactu part à la rencontre de citoyens pour sonder leur relation à la politique et aux politiques. Et offre à un groupe de personnes, liées entre elles par un centre d'intérêt, un milieu social, un combat, un lieu de vie... l'occasion de débattre. Cette semaine Marsactu s'invite à la mosquée des Cèdres à l'heure de la grande prière hebdomadaire.
La mosquée des Cèdres située à Malpassé (13e). (Photo : B.G)
La mosquée des Cèdres, dans le 13e, est pleine à craquer en ce vendredi, à l’heure de la grande prière hebdomadaire. En qamis pour les hommes, en hijab pour les femmes. Omar Messikh, le président de l’association qui gère la mosquée est tellement fier de faire visiter le bâtiment neuf, inauguré en grande pompe en avril 2019 en présence de tous les grands élus de la ville. Il y a encore quelques années, il recevait dans un local exigu, en marge du chantier, financé par les fidèles.
Pendant que le prêche résonne dans la grande salle, il emprunte l’ascenseur pour montrer le balcon réservé aux femmes, avant de repartir en sens inverse pour une troisième salle au rez-de-chaussée où d’autres fidèles peuvent suivre le prêche par sono et vidéo interposées. Dans le petit bureau, le secrétaire de l’association, barbe blanche et calot en tête, surveille du coin de l’œil l’écran où les caméras permettent une surveillance à 360° du bâtiment. “Je vous ai suivis tout du long“, sourit pince sans rire Nasser.
Sur les murs, les tapis de prière alternent avec les cadres scintillants et les coupures de presse. Omar Messikh vante sa “mosquée moderne et ouverte“, citée par Gérald Darmanin lui-même comme une “réussite architecturale remarquable” devant le Forum de l’islam de France, nouvelle instance de représentation musulmane, initiée par le gouvernement.
“Comme lui, mes ancêtres étaient Gaulois”
La première partie de la campagne présidentielle et la large place faite aux candidats d’extrême-droite ont une nouvelle fois mis l’islam et ses pratiquants au centre de débats politiques. Avec, le plus souvent, l’absence de voix musulmane en contrepoint. Le sujet à peine posé, le nom fuse : “Zemmour”. “Qu’est-ce qu’il a de plus que moi ?, sourit Omar Messikh. Nous sommes Français. Il est juif, je suis musulman. Ses parents sont nés en Algérie, moi aussi. J’ai appris comme lui que mes ancêtres étaient Gaulois, Vercingétorix, Jeanne d’Arc, tout ça. Alors quoi ? Dans sa constitution, la France garantit la libre expression et respecte toutes les croyances”.
Le débat est lancé. Il va se poursuivre ailleurs que dans la mosquée. “Y parler politique serait une faute”, avertit-il avançant le principe de laïcité, qui n’interdit pourtant pas de parler politique dans un lieu de culte. On se précipite à sa suite pour capter des témoignages parmi la foule qui sort des salles de prière.
Le vote est rare
Il en arrête une grappe dans l’escalier qui longe le bâtiment. Ils sont quatre puis cinq, tous habillés de long pour la prière du vendredi, la cinquantaine et l’accent marseillais. À la question simple : avez-vous déjà voté ? La réponse est quasi-unanimement négative. Khamis et barbe grise, une marque sombre sur le front en signe de piété, Hamid, dit n’avoir voté “qu’une fois”, lors des dernières élections municipales. Les autres disent ne pas être inscrits. Il y a là un chauffeur de bus, deux éducateurs. “Les politiques ne tiennent pas leurs promesses”, glisse l’un d’eux en guise d’explication. Le vote est rare, presque incongru.
“J’ai voté pour le général, là parce qu’il m’a dit qu’il était bien”, justifie Nasser en pointant du doigt Omar Messikh. Et puis un général, ça changeait”. Le général en question est David Galtier, tête de liste dans le 13/14 pour les listes LR de Martine Vassal en 2020. “Ensuite, il a laissé sa place à une femme. Il fait la même chose que l’autre à la mairie”, ajoute-il faisant le parallèle entre Benoît Payan qui a succédé à Michèle Rubirola et David Galtier qui a cédé sa place à Marion Bareille. La discussion quitte vite la question électorale pour s’élargir à la place de l’islam dans la campagne.
Moi je ne regarde plus la télé. Je préfère m’informer tout seul sur internet même si je sais que tout n’y est pas vrai”.
“On a l’habitude d’être stigmatisés, souffle l’un d’eux. Pourtant, on est des citoyens français, tous nés ici“. Ils pointent Zemmour, Le Pen et les médias qui ont banalisé leurs pensées. “Moi je ne regarde plus la télé, tranche un grand gaillard qui se mêle à la conversation. Je préfère m’informer tout seul sur internet même si je sais que tout n’y est pas vrai”.
Un policier, deux éducateurs
Celui qui s’invite s’appelle Kamel, il vient en habitué depuis un arrondissement voisin. Il est policier mais préfère rester discret sur son grade et son affectation. “Ils auront trop vite fait de me repérer”, rigole-t-il. Lui dit voter France insoumise depuis longtemps. “Pour la présidentielle, ce sera Mélenchon. Il me régale”. Mais pour lui aussi, c’est l’inquiétude qui domine : “Le pays n’est pas rassurant en ce moment. Viser une communauté religieuse comme ils le font, ça ne s’est jamais vu”.
Petit à petit, les abords de la mosquée se font plus clairsemés. Des petits groupes de pratiquants discutent sur les parkings attenants. Omar Messikh tente de retenir deux jeunes femmes voilées pour qu’elles participent à la conversation, mais elles déclinent d’un sourire.
Au final, le groupe rejoint le petit bureau qui lui sert de QG. Il y a là Hamid et son frère Nasser et Kamel, le policier. Une galette à la semoule circule, ainsi qu’un plat de couscous froid. “Nos compatriotes ne savent pas à quel point on est fatigués de tout ça, reprend Kamel. Maintenant on nous reproche de ne pas répondre à Zemmour. Mais pourquoi on me renvoie à ma croyance ? Je suis un Français comme tous les autres, je ne suis pas une communauté”.
Hamid en veut aux médias et dénonce le “deux poids, deux mesures”. “Regardez Dieudonné, ce qu’il a dit sur les Juifs en Palestine, il s’est retrouvé ruiné, condamné. Et Zemmour, il peut continuer à nous insulter et tout va bien, c’est la liberté d’expression“. Un débat s’engage. Les uns rappellent les condamnations de Zemmour – “mais pour lui, ça change rien”-, un autre souligne que Dieudonné n’est pas si ruiné que cela.
Du “sale arabe” au “sale musulman”
Au-delà de la politique, le propos tourne autour de la tension identitaire entre soi et la nation. Nasser a beau inscrire son histoire en France depuis sa naissance, le doute persiste. “Je le dis franchement : quand j’étais jeune, j’étais le sale arabe. Maintenant, je suis le sale musulman parce que j’ai une tache sur le front et une barbe ? Mais c’est intime ça ! Je vous le dis au fond de moi, je ne me sens pas français“.
Kamel prolonge : “Quand on va en Algérie, on est les immigrés. Ici, on n’est pas vraiment français. On est où, nous, dans tout ça ?”. Il pense que c’est pire pour la nouvelle génération, dans la confusion des réseaux sociaux dominants, où la référence au bled devient un refuge, fantasmé. Lui voudrait que chacun porte plainte à la moindre insulte, à la moindre discrimination subie en raison de sa croyance ou de son origine. “C’est comme ceux qui disent que la police est raciste, explique-t-il. Je leur réponds toujours “mais entrez’y ! Change les choses de l’intérieur, mais c’est mieux de critiquer de l’extérieur“.
Il faut que chacun trouve son rôle dans une société fondée sur le respect des différences.
Nasser raconte comment il a fait le choix de mettre ses filles dans le privé “catholique parce que l’éducation y était cadrée”. Il est fier de leur réussite mais les sait “protégées”. Pas comme ce jeune qu’il a réussi à extraire d’un réseau et qui a fini par mourir d’un coup de couteau.
Tous ont des exemples de l’ultraviolence des réseaux, de l’emprise du narco-trafic sur les quartiers sans véritable contrepoids éducatif. Un modèle qu’ils opposent à ce qu’ils ont vécu dans une enfance, forcément teintée de nostalgie. “De notre temps, il y avait toujours un animateur pour de remettre dans le droit chemin, pour parler à tes parents”, se souvient Kamel. Tout n’est pas noir dans le tableau mais tous déplorent une société toujours plus fragmentée, “même si le Covid a montré qu’on était encore capables de s’entraider”. Kamel garde espoir : “Il faut que chacun trouve son rôle dans une société fondée sur le respect des différences. Agir tous ensemble. Et ça, c’est quoi ? Ben, c’est la politique”.
Commentaires
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Quel dommage cette abstention! Des victimes du racisme ambiant qui n’utilisent pas leur bulletin de vote et laissent la parole aux racistes… La destruction de l’éducation populaire et des structures d’animation a bien atteint son but, hélas. Des citoyens résignés.
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Article du 12 avril 2019
“Jean-Claude Gaudin lui remet la médaille d’honneur de la Ville, et Martine Vassal celle du conseil départemental.”
Article du 18 mars 2022
““J’ai voté pour le général, là parce qu’il m’a dit qu’il était bien”, justifie Nasser en pointant du doigt Omar Messikh. Et puis un général, ça changeait”. Le général en question est David Galtier, tête de liste dans le 13/14 pour les listes LR de Martine Vassal en 2020. ”
Les Médailles peuvent faire des miracles !
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“Le débat est lancé. Il va se poursuivre ailleurs que dans la mosquée. “Y parler politique serait une faute”, avertit-il avançant le principe de laïcité, qui n’interdit pourtant pas de parler politique dans un lieu de culte. ”
Pour information:
Loi du 9 décembre 1905
concernant la séparation des Eglises et de l’Etat.
Article 26
Il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte.
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Bonjour, tenir une réunion politique et y discuter politique me sembler relever d’une nuance à souligner.
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Cher Benoît Gilles,vous mettez le doigt sur les ambiguïtés des associations cultuelles .Dans l’église,la mosquée ou la synagogue on ne discute pas politique mais dans le bureau du président oui.On ne finance pas les cultes,mais les associations culturelles oui.Vous voudrez bien m’expliquer la différence,hors mis cette acrobatie juridique pour contourner la plus grande loi de notre république,celle de 1905.
Après la nuance que vous évoquez est d’une telle finesse que nous pourrions la qualifier de “florentine”.
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👍👍👍
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Ça ne contourne pas la loi de 1905, c’est très exactement son esprit et sa lettre — mais la majorité des gens qui l’invoquent ne connaissent ni son contenu, ni son histoire, ni la jurisprudence témoignant des combats autour de son application. Ce qui a plus que contourné, c’est le financement public de l’enseignement privé, majoritairement confessionnel, depuis le début de la Véme République.
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Cher Zumbi,mettez vos meilleures lunettes et jetez un oeil sur les subventions des mairies concernant les associations cultuelles couplées à des associations culturelles.Et si la Loi de 1905 n’est pas contournée dans ce cas là vous m’expliquerez, surtout pour les bâtiments construits après cette date.
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