[Nous, la politique] “Il n’y a pas de programme pour nous sortir de cette crise”

Série
le 18 Fév 2022
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Jusqu'au premier tour de l'élection présidentielle, Marsactu part à la rencontre de citoyens pour sonder leur relation à la politique et aux politiques. Et offre à un groupe de personnes, liées entre elles par un centre d'intérêt, un milieu social, un combat, un lieu de vie... l'occasion de débattre. Pour ce premier épisode, Marsactu se pose, à l'heure du café, avec des femmes mobilisées au quotidien dans des actions de solidarité au sein de leur cité des quartiers Nord, la Castellane.

Fadila, Soraya et les autres ont toutes très à cœur de suivre le débat de la présidentielle. (Photo : LC)
Fadila, Soraya et les autres ont toutes très à cœur de suivre le débat de la présidentielle. (Photo : LC)

Fadila, Soraya et les autres ont toutes très à cœur de suivre le débat de la présidentielle. (Photo : LC)

Il n’a pas fallu plus de quelques minutes de discussion pour que le nom retentisse au-dessus des gobelets de café et du cake marbré encore intact. “Je parle de Zemmour, évidemment !”, s’emporte déjà Chérifa. Le premier tour de l’élection présidentielle a lieu dans moins de deux mois, mais à la Castellane comme à peu près partout en France, le polémiste semble être le seul candidat dont la ligne est clairement identifiée – et en l’occurrence, rejetée.

Ce mardi après-midi de février, elles sont six femmes à avoir répondu à l’invitation de Marsactu pour parler politique. On les retrouve dans une salle du centre social, dont elles sont toutes des habituées. Leur point commun, au-delà de vivre ou d’avoir vécu parmi les quelque 7000 habitants de cette cité à la lisière du 16e arrondissement, c’est l’engagement. Soraya, Fadila, Malika, Sabrina, Cherifa et Nadia (le prénom a été modifié) sont toutes parties prenantes d’initiatives de solidarité à l’intérieur de la Castellane et au-delà. Elles organisent notamment des distributions alimentaires, des événements festifs pour réunir des fonds ou encore des ateliers couture.

Depuis des années, elles forment un noyau dur de “mamans” toujours en pointe pour mener les combats du quotidien dans un quartier difficile. Parmi elles, plusieurs prennent part à l’écriture de La Baguette magique, le magazine écrit par des femmes de la cité, qui sort une fois par an depuis 2014. Certaines sont mères au foyer, d’autres font des ménages, l’une travaille comme agent des écoles et une autre vit d’une petite pension d’invalidité.

Les musulmans, sujet de campagne

“Alors, lui, c’est une haine incroyable, reprend Chérifa au sujet d’Éric Zemmour. D’abord envers nous les musulmans. Il est né au bled pourtant, en Algérie, d’origine juive. On a vécu toute notre vie avec toutes les religions, on s’entend très bien. Le racisme avant en France on le voyait pas, maintenant oui”. Malika confirme : “Avant c’était caché, c’était tabou.” 

On ne parle pas assez des programmes et de tout ce qu’on a vécu pendant cette crise où les gens n’avaient pas de quoi manger.

Sabrina

Dans le petit groupe, certaines sont voilées, d’autres pas. Toutes sont d’accord pour dire que les musulmans vont une fois de plus être placés au cœur des débats et le regrettent amèrement. “On met beaucoup l’Islam en avant et on ne parle pas assez des programmes et de tout ce qu’on a vécu pendant cette crise où les gens n’avaient pas de quoi manger”, déplore Sabrina. Malgré sa volonté de croire encore à la politique, cette blonde d’une quarantaine d’années, encartée au Parti socialiste “depuis 18 ans”, reconnaît  avoir du mal à y voir clair pour ce scrutin, entre le grand nombre de candidats et le contexte sanitaire. Fadila lui emboîte le pas : “Pour le moment il n’y a pas de programme pour nous sortir de cette crise, personne n’a parlé de la santé correctement. Le vaccin personne n’est d’accord, mais personne ne cherche une solution pour plus tard”.

“Il faut aller voter !”

Toutes partagent avec leurs voisines et amies réunies autour de la table un sens de la citoyenneté revendiqué. Celles qui en ont le droit iront voter en avril, malgré une légère hésitation du côté de Nadia. Hésitation vite remisée devant le discours martelé par Sabrina : “Même quand on dit « c’est toujours les mêmes », « ils ont rien fait », il faut aller voter ! C’est vraiment un droit et un devoir, nos ancêtres se sont battus pour. Même si tu mets un nul, même si tu mets un blanc, si tu es pas contente, tu le mets !”. 

La discussion se prolonge autour de café et d’un gâteau marbré. (Photo : LC)

Soraya approuve chacun de ces arguments. Mais, arrivée d’Algérie en 2012, elle n’a pas encore la nationalité : “J’aimerais donner mon avis, mais je ne peux pas. Pour l’Algérie, je vote à chaque fois, au consulat. J’aime beaucoup voter”. Elle devrait prochainement démarrer les démarches pour devenir française, même si elle redoute l’examen “qui est un peu cher”. Selon les centres, il faut compter entre 120 et 160 euros.

Quelqu’un qui va vous convaincre vraiment, qui reste dans la tête, je vois pas.

Fadila

En chœur avec le reste du groupe, elle explique vouloir voter “à gauche”. L’ancrage correspond à celui de la cité qui a encore mis en tête les candidats socialistes aux dernières départementales. Mais dans le détail, pour chacune, c’est de moins en moins évident. Parmi les personnalités politiques qui les ont marquées, le premier nom à sortir parmi ces quadragénaires est celui de… François Mitterrand. François Hollande garde une certaine popularité aussi – “il parlait bien, mais après il m’a déçue, par rapport à sa vie privée”, glisse Soraya. Fadila avoue aussi avoir porté des espoirs sur Nicolas Sarkozy au moment de son élection, avant de déchanter. Et aujourd’hui, c’est le grand flou. “Ils me font tous douter, confie-t-elle. Quelqu’un qui va vous convaincre vraiment, qui reste dans la tête, je vois pas.” Elle non plus n’a pas le droit de vote, mais elle dit “accompagner” son fils dans son parcours de nouvel électeur.

Taubira, Mélenchon et les autres

Le nom de Christiane Taubira récolte quelques lauriers. “Je l’aime bien, elle parle des jeunes et des personnes âgées”, salue Malika. “Pour le moment j’hésite entre elle et la blonde toute frisette… Pécresse, voilà ! Je voudrais bien une présidente femme, pour voir ce que ça change”, appuie sa voisine. Jean-Luc Mélenchon est bien identifié, mais suscite des interrogations. “C’est un peu vague, il est pour tout à la fois ! Pour le SMIC, pour les musulmans, etc !”, ironise Sabrina. Les noms des autres candidats à gauche ne réveillent pas beaucoup d’entrain. “Fabien Roussel ? Jamais entendu parler”.

Marine Le Pen suscite quant à elle bien moins d’animosité que son rival d’extrême droite. “Quand tu regardes vraiment le programme, parfois elle est correcte. Je ne suis pas de son côté, mais si elle enlève le racisme…”, souffle Fadila, vite moquée par ses camarades. “Aaaah tu es raciste !”, taquine Nadia.

“Macron, il n’a rien fait !”

Pourtant, la même assure, sur un ton plus grave, quelques minutes plus tard : “moi je ne voterai plus jamais Macron, il n’a rien fait. Au second tour, si c’est Le Pen-Macron, je voterai Le Pen, c’est pareil”. “Moi, jamais ! Il a quand même fait les chèques énergie, tu les as reçus non ?”, tente Malika. Le plan du président sortant pour Marseille n’a pas beaucoup marqué les esprits. Il prévoit pourtant le financement du tramway jusqu’à la Castellane.

Quand le tram arrivera à la Castellane, Nous on marchera avec des cannes !

Fadila

“Oui, en 2026 il sera au lycée Nord, et en 2030 ici ! Nous on marchera avec des cannes !, raille Fadila, très au fait du calendrier. C’est un programme pour la génération future, comme l’ANRU [L’agence nationale de rénovation urbaine, qui chapeaute la rénovation du quartier, ndlr]. Nous on est enragées parce qu’on sait qu’il va y avoir du changement, mais quand ? Ici, le projet est arrêté depuis trois ans, les habitants souffrent de cette situation. Qui a bloqué le projet ? Les politiciens, entre eux”.

Des querelles autour de la rénovation, les habitantes de la Castellane en ont vu passer. Elles gardent tout de même une forte reconnaissance pour deux élus socialistes du quartier, Samia Ghali et Henri Jibrayel. Ce dernier n’a plus de mandat et plusieurs condamnations, mais elles continuent de le solliciter. “Les autres ne viennent que quand il y a un vote. Lui, on dirait qu’il est vraiment du quartier”, souligne Malika.

Nadia envisage de voter Marine Le Pen au second tour, par rejet d’Emmanuel Macron. (Photo : LC)

L’emploi pour les jeunes, priorité numéro un

Autour de la table, les femmes passent en revue les thématiques incontournables à leurs yeux. “L’emploi des jeunes”, formulent-elles d’abord quasiment à l’unisson. Si elles souhaitent mettre en avant les réussites du quartier – “il y a un avocat, une ingénieure, un dentiste, des sportifs” – chacune a aussi en tête la discrimination à l’embauche dont ses enfants ont pu faire l’objet, dès le stage de troisième. Pour elles, la clé de beaucoup de leurs problèmes se trouve dans la possibilité pour leurs enfants de s’insérer sur le marché du travail. Loin devant les questions de sécurité.

Même si, en miroir, se reflète la problématique des trafics. “La Castellane c’est pas pire qu’ailleurs, c’est les médias qui racontent des histoires qui font peur”, posent-elles en premier lieu. Les services de police ne diraient pas exactement la même chose. Chérifa, elle, a perdu son fils, disparu en 2014 sans qu’on n’ait jamais retrouvé son corps, “à cause du réseau”. Aujourd’hui, elle aborde le sujet fermement mais calmement : “Quelle maman peut être contente de voir son fils guetter ? Mais les jeunes devant la situation, ils se découragent. On dit que nos enfants guettent, mais il n’y a rien d’autre. Est-ce qu’on est complices ? Jamais de la vie.”

Des politiques, elle en a vu défiler dans le quartier : “Cazeneuve, Valls, Ayrault, le préfet Nuñez”. Sans jamais se sentir entendue, sans jamais voir le dossier de son fils évoluer. Quand Chérifa aborde ce sujet douloureux, le silence se fait. Le mot “abandon” surgit. Un abandon global, du quartier, qui démarre avec le départ de nombreux services publics. Alors elles pallient, s’entraident autant que faire se peut. Sans avoir l’impression d’être dans l’action politique, Fadila, Soraya, Chérifa et les autres ne cessent d’en faire par leurs initiatives au quotidien. Pour la politique politicienne, on verra bien le jour du scrutin.

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Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    Merci beaucoup Marsactu de donner à entendre la voix de ces femmes courageuses et dignes, ces Marseillaises que l’on écoute rarement (mais sur lesquelles tant de gens fantasment).
    On ne dira jamais assez que les “zones de non-droit” et “territoires perdus de la République” sont des quartiers et des habitants laissés à leur triste sort, abandonnés de la République, dont les droits ne sont pas respectés, dont la parole n’est pas prise en compte, par manque de moyens et de volonté politique, par racisme et mépris social.
    Savoir que seul Jibrayel reste une référence politique pour ces dames est bien triste.
    Merci Lisa Castelli pour ce reportage bien écrit.

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    • Alceste. Alceste.

      Oui très bien ,mais les devoirs?

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  2. Jeanne 13 Jeanne 13

    Merci Lisa pour ce sujet
    Le discours des habitants est bien plus précieux que celui véhicule par les médias officiels et les sondages
    L analyse politique de ces femmes des cités fait un peu peur malgré tout …
    Belle initiative à continuer marsactu

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  3. Patafanari Patafanari

    Il faudrait proposer aux fils de ces dames les emplois de gardiens de musée occupés par les employés municipaux « invalides « de la Gaudinerie, qui, de ce fait, ne peuvent effectuer parfaitement leur mission et sont cause de la fermeture fréquente des dits établissements . Leur jeune âge, leur expérience de « chouf « et la garantie de l’emploi seraient garant d’une surveillance efficace de nos lieux de culture et d’une espérance de vie accrue.

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