“Notre seul outil, c’est la parole”, la prévention fait sa fête au pied de Félix-Pyat

Reportage
le 26 Oct 2023
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Ce mercredi, au pied des tours de la cité Félix-Pyat, dans le 3e arrondissement marseillais, les acteurs de la prévention de la délinquance organisaient une journée de sensibilisation. L'occasion, entre jeux de ballons et musique, de rappeler le rôle crucial du travail de terrain.

Le podium prévention au pied des tours de Felix-Pyat. (Photo : BG)
Le podium prévention au pied des tours de Felix-Pyat. (Photo : BG)

Le podium prévention au pied des tours de Felix-Pyat. (Photo : BG)

La sono hurle et pourtant les minots la couvrent sans mal en reprenant “Zumba cafew”, par-dessus Bande organisée. L’après-midi est bien entamée et enfin, les stands de la journée de prévention et de protection de la jeunesse commence à faire le plein. Derrière le bus Podium qui offre un karaoké géant sur les airs les plus connus du rap français, des policiers de la municipale organisent un circuit d’initiation de prévention routière, avec vélos et trottinettes. “Freine, y a un feu rouge !”, lance Mohamed, 45 ans, en couvant des yeux son fils aîné qui a failli griller son premier feu.

Habitant du parc Bellevue, rue Félix-Pyat (3e), depuis quelques mois, il est plutôt satisfait de cette journée d’animation qui entend célébrer la prévention de la délinquance, à l’initiative de la maison pour tous de Saint-Mauront. Même si, derrière “le bus de la jeunesse marseillaise” qui symbolise la volonté de l’équipe municipale de placer ces questions en priorité, une silhouette habillée de noir fait des allers-retours, en mode guetteur. Le point de deal n’a pas interrompu son action, malgré la présence policière massive à quelques mètres de la tour au pissenlit où ils ont pris racine.

Le stade gris accueillait des activités ludiques pour les plus petits. (Photo : B.G.)

Une journée de prévention sous l’œil des dealers

Au moins, on sait que l’activité de la journée sera nulle”, sourit Yannis Bouzar, directeur de cabinet de la préfète de police, venu représenter celle-ci lors de cette journée. “Pour nous, c’est essentiel de montrer que nous sommes présents, au côté des institutions, car la prévention est un axe majeur de notre action, développe le représentant de l’institution policière. Il faut savoir marcher sur ses deux jambes : assurer la sécurité et participer à la prévention en renforçant le lien entre la police et la population”.

Il y a quelques mois, les mamans de Félix-Pyat avaient organisé une manifestation inédite pour protester contre le climat de terreur qui régnait alors au pied des tours. Depuis, d’autres jeunes sont tombés au gré d’une guerre des territoires qui ne semble pas avoir de fin. Cette journée festive aux allures de kermesse a avant tout une portée symbolique : il s’agit de montrer que le terrain n’est pas abandonné au profit des seuls acteurs du narco-trafic.

Quand j’ai pris ma délégation, le service se contentait de financer quelques associations, raconte Zoubida Meguenni, l’adjointe marseillaise chargée de la prévention et la protection de la jeunesse. Il y a 20 ans, quand j’en faisais moi-même partie, on faisait sans cesse du terrain. C’est ce que je cherche à initier aujourd’hui, en allant sur le terrain et en ciblant les axes prioritaires“. Axes qui sont, sans surprise : la prévention des conduites à risques, l’entrée dans le trafic, la prostitution des mineurs et la lutte contre la radicalisation.

Éviter des destins tragiques

Chacun dans leur champ, les différents acteurs travaillent à la même cause : éviter que les plus jeunes ne glissent vers un destin tragique. Ici, ce n’est pas une formule toute faite, trois jeunes du quartier sont tombés sous les balles, il y a quelques mois à peine. Et l’hiver dernier, les rafales ont résonné au pied des tours, blessant ou tuant.

De temps en temps, une sirène fait sursauter tout le monde : les marins-pompiers s’amusent à tester les klaxons des engins proposés à la démonstration. Sur le stade Gris (qui est vert), l’essentiel des structures ont posé leur stand. Les policiers du Centre loisirs jeunesse rencontrent un certain succès, avec leur distribution de t-shirts. Leurs collègues en uniforme font soupeser leurs gilets pare-balles, où découvrir le menottage à un jeune de dix ans, guère rassuré de sentir les pinces se serrer sur ses poignets.

Initiation aux pompes par les marins-pompiers. (Photo : B.G.)

“Le lien s’est distendu”

Avec l’unité de prévention urbaine (UPU), elle est un des rares services de la police nationale qui ne relève pas du seul champ sécuritaire. “Notre travail est de créer du lien avec la population, décrit le major Marc Foyer. Aujourd’hui, le lien s’est distendu, car on a eu trop tendance à diaboliser la police. Notre fonction est donc de renouveler ce lien, notamment en intervenant dans les établissements scolaires où en proposant des stages de formation au brevet national de sécurité et de sauvetage aquatique”.

Ce n’est pas parce qu’on est ici, qu’on cesse d’être policier. Et ce n’est pas parce que j’ai une arme qu’un jeune doit avoir peur de me parler.

Marc Foyer, major de police

Les policiers du CLJ consacrent encore 50% de leur temps à l’opérationnel, au sein de la brigade nautique de la police nationale. Et même dans cette journée festive, ils gardent leurs armes de service à la ceinture. “Ce n’est pas parce qu’on est ici, qu’on cesse d’être policier, poursuit Marc Foyer. Et ce n’est pas parce que j’ai une arme qu’un jeune doit avoir peur de me parler“.

Ravitailleur du réseau à 14 ans

Au stand d’à côté, des éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse proposent un jeu de questions-réponses censé informer les plus jeunes, de ce qui est permis ou réprimé par la loi. Pour l’heure, les jeunes ne se bousculent pas. “On n’aurait pas dû se placer juste à côté des flics“, rigole Saad, un bob enfoncé jusqu’aux yeux.

S’ils se prêtent volontiers à cette kermesse partenariale, les priorités de leur quotidien s’éloignent grandement de l’atmosphère bon enfant. Saad montre à sa collègue Florence une photo prise le matin même. Elle montre la bouille enfantine d’un des 25 jeunes qu’il suit. À 14 ans, il sort d’un mois de prison après des fugues à répétition des centres éducatifs fermés où il était placé. Après deux mandats d’arrêt, il a fini en prison. Le matin même, l’éducateur le ramenait chez sa tante, dans les tours juste derrière.

Suivi depuis ses 13 ans par la PJJ, le jeune garçon a fait sa “carrière” dans le stup. “Il est guetteur/ravitailleur et il se fait des sommes considérables depuis son très jeune âge”, détaille Saad. Il est rentré calmé de son mois à l’ombre et l’éducateur espère avoir réussi à l’accrocher pour le faire sortir de la spirale du trafic. “J’ai réussi à convaincre le juge qu’il ne fallait pas à tout prix l’éloigner de Marseille où il a ses seules attaches. Je l’ai inscrit dans une école, j’ai bon espoir. Après, rien n’est jamais gagné”.

“On oublie que c’est notre société qui est malade”

Les trois collègues constatent avec un brin de désarroi que tout s’est considérablement durci. “C’est moins facile pour nous d’accrocher les jeunes, analyse Florence. C’est d’autant moins simple que notre seule arme, c’est la parole“. Ils découvrent parfois, dans un entrefilet de journal, que les jeunes qu’ils suivent depuis des mois ont fini sous les balles d’un assassinat. “Il n’y a jamais leur nom, à peine leur âge. On oublie trop vite que ce sont des victimes, poursuit l’éducatrice. Sous prétexte qu’ils font chier le monde, on oublie que c’est notre société qui est malade“.

Parmi le public qu’il suit, Saad a un autre jeune, tombé sous les balles d’un guet-apens. “Il a des séquelles physiques avec un bras qui ne fonctionne plus et surtout des séquelles psychologiques. Il est en profonde dépression, ne sort plus de chez lui”. Selon l’éducateur, 80% des jeunes suivis en milieu ouvert à Marseille ont au moins une condamnation en lien avec les stupéfiants, pour du trafic ou de la consommation.

Une partie des acteurs de l’éducation populaire a oublié d’aller vers les jeunes.

Dimitri Fassone, Familles en action

Pour éviter d’en arriver là, subsistent encore les acteurs de terrain. Avec son association Familles en action, Dimitri Fassone défend un suivi serré, au plus près des populations concernées. “Le problème est qu’une partie des acteurs de l’éducation populaire a oublié d’aller vers les jeunes, explique ce spécialiste de la prévention à Saint-Lazare et Saint-Mauront. Notre doctrine est d’être là tout le temps, dès la sortie de l’école et du collège. L’association est ouverte même le dimanche pour éviter qu’un jeune trouve portes closes“.

Sur le stade Gris (mais vert), Familles en action a fait réaliser des grands panneaux explicatifs sur les méfaits des conduites à risque. “Pour nous, l’activité, le loisir, ne sont qu’un prétexte au travail éducatif“, reprend Dimitri Fassone. Un groupe d’une quarantaine d’adolescents débarquent sur le stade, un peu méfiants. L’un d’eux en passant, montre du doigt son prénom parmi les auteurs d’un panneau que tout le monde a pu voir. Il sourit, timide et fier. Pour cette fois, mission accomplie…

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Commentaires

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  1. Fp Fp

    20 ans après la suppression de la police de proximité par Sarkozy on en est là. Il faut espérer que tous ces personnes mobilisées n aient pas uniquement des mots pour lutter contre les maux mais aussi des moyens.

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  2. Marc13016 Marc13016

    Je crains qu’on ait perdu 20 ans, en effet. Un clown en manque de voix a prononcé quelques bons mots qui lui ont permis de rebondir dans les sondages … et les initiatives de présence de la Police au milieux des populations ont été gelées. On a vu la dégradation de la sécurité qui s’en est suivie.
    “Karcher”, “police pas là pour jouer au foot” … Il nous a “salopé” l’action des polices, ce cher communiquant.

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  3. Jeanne 13 Jeanne 13

    On est tous d accord sur ces constats tout ne cesse de se dégrader depuis la politique de Sarkozy le tout sécuritaire tout en baissant le nombre de fonctionnaires de police
    Le tout sécuritaire les effets d annonce les politiques qui surfent sans cesse sur la voie de la sécurité sans jamais rien résoudre….
    La prévention de la délinquance devrait être prioritaire pour les politiques publiques mais nécessite d y consacrer un important budget beaucoup plus important qu aujourd’hui et une coordination renforcée des institutions et des associations et de contrôle des deniers publics
    Acheter des voitures des motos et des équipements dernier cri pour la police municipale ou renforcer le budget de la prévention de la délinquance ?
    Tout est une question de choix et de courage politique

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