Nos objets de confinés essaiment au Mucem
Le Mucem entrouvre les portes de ses réserves où viennent d'entrer les objets collectés durant le premier confinement. Ces témoins du quotidien des confinés racontent à leur manière un moment d'histoire partagée par une bonne part de l'humanité. Le travail de conservation commence.
Nos objets de confinés essaiment au Mucem
Dans ce musée idéal, la Joconde côtoie la vague d’Hokusai. À l’étage, une salle africaine “et une petite caméra” permet de surveiller ces trésors. Le concepteur, Arsène, 11 ans, explique dans un petit mot aux jolies lettres déliées : “Comme tous les musées étaient fermés pendant le confinement, j’ai fabriqué mon propre musée miniature à visiter”. Le musée tout en carton ondulé peint à la main tient dans une grande boîte protégée au papier bulle. Arsène a pris le temps de concevoir un “dehors, avec un espace pour manger, des fontaines, des arbres et une sculpture”.
Le musée d’Arsène fait son entrée au musée. Il est pour l’heure, posé sur une étagère d’une des salles du centre de conservation et de ressources où se logent les réserves du Mucem, à la Belle-de-Mai. L’ère du confinement fait son entrée au musée. Cela semble faire un siècle et pourtant la menace est encore là, planante sur nos vies amputées d’une bonne part des interactions sociales.
Appel à participation
Dès avril 2020, ce musée de société – comme il aime à s’appeler – a lancé une campagne participative pour faire remonter dans ses filets collecteurs les premières traces de cet enfermement volontaire qui touche d’un seul coup la moitié de l’humanité. La Bibliothèque nationale de France, les archives de Marseille et bien d’autres musées de par le monde ont formulé le même type d’appels. Pour celui du Mucem, l’objet est simple : envoyer une ou plusieurs photos d’un objet représentatif de cette période de confinement, accompagnés d’un texte justifiant ce choix.
D’un peu partout en France, les enveloppes ont commencé à tomber dans la boîte aux lettres du centre de conservation. “Au final, nous avons reçu 616 contributions d’un peu partout en France et quelques-unes de l’étranger”, raconte Aude Fanlo, responsable du département de la recherche et de l’enseignement au Mucem qui nous guide dans le beau bâtiment dessiné par l’architecte Corinne Vezzoni.
Passage par “l’appartement témoin” des réserves
Conservés dans l’appartement témoin des réserves du Mucem, un cercueil, plusieurs fourches, les bananes de la ceinture de Josephine Baker et des planches de skate par centaines forment les miettes de pain du petit Poucet qui guident nos pas vers “la salle de préparation” où les objets du confinement attendent d’être traités.
À l’arrière d’une grande table, une bête étagère porte une partie des trésors demandés. Les 616 courriers n’ont pas tous donné lieu à une demande d’envoi d’objet. “Dans certains cas, cela n’était pas possible, explique la responsable du département recherche et enseignement. Une personne nous a envoyé une photo de ses clefs en témoignant du fait qu’elles étaient devenues à ses yeux un objet inutile. C’est la même chose pour ce soignant qui nous a envoyé la photo de ses chaussures. En rentrant du travail, chaque soir, elles étaient au cœur d’un rituel de passage entre le dedans et le dehors“.
L’objet en ce qu’il raconte l’expérience personnelle du quotidien du confinement
“Le catalyseur, c’est l’objet en ce qu’il raconte l’expérience personnelle du quotidien du confinement”, poursuit la chercheuse. Mais tous les objets aussi forts soient-ils ne sont pas transposables, voire même transportables dans un musée. Il en va ainsi de cette dame qui a envoyé une photo de la marelle dessinée à même le parquet. “On n’allait pas lui demander de l’arracher”, sourit-elle. Chaque sollicitation pour une donation directe fait donc l’objet d’une discussion collégiale.
Foule de masques
“Il faut que cela soit représentatif de la diversité des propositions, dans le respect de l’argent du contribuable. L’objet conservé aura le même statut juridique qu’un Giotto“. De quoi donner le vertige face à la sélection de masques faits-main, avec tutoriel façon origami ou très chic avec petite pochette rose à boutons-pression dorés.
Sur les étagères, des petits Post-it de couleur différencient les catégories sous lesquelles se rangent les différents objets : “Do-it-yourself, ritualisation du quotidien, voisinage et correspondance…” Les masques jouxtent les blouses faites-mains, en soutien aux soignants. Ils surplombent les diverses pancartes, banderoles et mots d’amour offerts dans des cœurs aux “élus municipaux et du 13, livreurs, routiers, agents d’entretiens, marins et mariniers, gendarmes, facteurs, agents des pompes-funèbres, chercheurs et banquiers ?” avec le point d’interrogation intégré. Tout ceci renvoie au rituel des applaudissements de 20 heures et à la fenêtre comme mode d’expression.
Dans cette foule d’objets parlants, les conservateurs du Mucem retiennent les objets les plus signifiants, avec souvent une dimension esthétique : il y a cette magnifique tyrolienne pour maintenir le contact entre voisins ou cet instrument de musique qui mixe des “clochettes africaines et une fourchette de cuisine”. Dans la même veine “Do-it-yourself”, ou fait-maison, en nettement plus sophistiqué, on note cette machine à stériliser les masques réalisée au moment où ceux-ci étaient une matière rare.
Enquête complémentaire pour deux ans
Bien entendu, la démarche de la collecte participative présente des biais vis-à-vis de la démarche habituelle de collecte scientifique d’un musée. Un sociologue du LEST (laboratoire d’économie et de sociologie du travail relié à AMU et au CNRS), Simon Le Roulley va donc travailler deux ans en post-doctorat pour combler les manques, interroger et “réfléchir d’un point de vue scientifique sur les catégories d’usage de ces objets, approfondir et documenter auprès des différents donateurs”.
Les témoignages de colère ou d’extrême précarité manquent à l’appel.
Les chercheurs du Mucem ont ainsi découvert qu’ils n’avaient pas reçu d’objets provenant des personnes engagées au quotidien, parfois également dans une démarche de désobéissance vis-à-vis des règles du confinement. Peu d’objets revendiquant une colère ou de la révolte alors que celle-ci étaient bien présente. De la même façon, les personnes vivant à la rue ou dans la promiscuité ne se sont pas mises à documenter leur quotidien.
“C’est ce que va faire Simon Le Roulley, explique Aude Fanlo. Il a prévu d’aller à la rencontre des collectifs, notamment celui du McDo de Saint-Barthélémy et un autre dans le 3e”. Elle-même se souvient des boîtes d’échanges de denrées croisées dans son quartier. “J’aurais adoré la prendre”, sourit-elle. Sur l’étagère, un faux colis alimentaire vient documenter de manière satirique l’élan de solidarité qui a traversé la société.
Biffer les jours
La collection qui commence à grossir raconte aussi les effets d’hyperacuité aux détails du quotidien, “comme cette personne qui comptabilisait tous les êtres vivants de son intérieur et cette autre qui inventoriait les micro-plantes dans les espaces publics autour de soi”.
Par l’effet loupe du confinement, le train-train de la vie domestique, l’actualité qui filtre du dehors devient la matière même d’objets partagés ou intimes comme ce scrapbook du confinement où se mêlent extraits d’articles, photos et recettes, cet emploi-du-temps partagé “aux jours biffés comme sur un mur de prison”. “Ces objets qui parlent de soi ont aussi une profondeur autobiographique. Cette dame qui compte les jours utilise une méthode qu’elle a découvert en chimiothérapie”, commente Aude Fanlo.
De l’art dedans
Le travail de collecte scientifique va venir compléter les objets de la collecte participative. Viendront ensuite, au bout du processus, un comité des collections interne au musée puis une commission d’acquisition qui rassemble les représentants de l’équipe scientifique et ceux des tutelles ministérielles. “Le processus est long, mais ces objets entrent dans les collections pour l’éternité. Cela ne peut pas être fait à la légère”, reprend la responsable.
Dans l’immédiat, il est trop tôt pour évoquer une exposition thématique. Mais une première évocation pourrait prendre la forme d’une carte blanche à un artiste qui s’installerait dans la petite salle d’exposition des réserves et permettrait de faire dialoguer le regard d’un artiste avec les créations de ses contemporains.
Déjà dans la sélection du Mucem, certains confinés glissent vers l’œuvre artistique. Comme ce photographe qui a dépeint une chasse aux œufs de Pâques sur rouleaux de papier hygiénique ou cette dame qui a fait une maquette minutieuse de son intérieur. L’abîme n’est jamais loin. Si loin déjà, si proche encore.
Commentaires
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Je pensais que le jour où on pourra enfin retourner dans un musée (ce lieu non essentiel et à haut risque de contamination…), la dernière chose que j’aurais envie de voir serait un masque anticovid… Mais cet article joliment écrit et cet aperçu de l’inventivité de certains de nos camarades de confinement pourraient me faire changer d’avis !
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