Noailles, l’avenir inconnu d’un quartier meurtri

Reportage
le 5 Nov 2019
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Retour à Noailles, un an jour pour jour après les effondrements. L'angoisse n'a pas quitté le quartier où chaque épisode de pluie fait renaître l'inquiétude. Les projets annoncés de rénovation de certaines parties du quartier ne suffisent pas à écarter le spectre de l'habitat indigne.

La rue d
La rue d'Aubagne et le centre-ville de Marseille, en 2019. (Photo : BG)

La rue d'Aubagne et le centre-ville de Marseille, en 2019. (Photo : BG)

L'enjeu

Depuis les effondrements de la rue d'Aubagne, Noailles est devenu la priorité des politiques de lutte contre l'habitat indigne. Les habitants vivent dans l'angoisse de nouveaux effondrements.

Le contexte

Le projet sans cesse relancé puis enterré de rénovation du quartier est une nouvelle fois suspendu à l'avancée de la nouvelle stratégie portée par la métropole dont les contours restent flous.

“Noailles, c’est fini”. Cette phrase plane comme une menace sur le quartier. Comme si, à tout moment, des immeubles pouvaient encore tomber. Comme si avec les immeubles 63, 65 et 67, une partie de l’âme du quartier s’en était aussi allée.

Quelques jours après les effondrements, la rue Jean-Roque est fermé à la circulation, les immeubles sont évacués les uns après les autres. Ce jour-là, Bintou Cissé est devant sa petite échoppe de couture, Zakra Couture. C’est elle qui prononce cette phrase sur un ton qui mêle le constat à l’interrogation.

Un an plus tard, elle est toujours à la même place. La rue Jean-Roque est rouverte aux voitures mais la plupart des immeubles qui l’entourent sont toujours cadenassés. La petite artère qui relie le cours Lieutaud à la place Homère n’est pas sortie du cauchemar et la tailleuse africaine n’en démord pas : “À chaque pluie, tout le monde tremble. Les habitants se demandent si le toit va tenir, si l’immeuble ne va pas se retrouver en bas. À Noailles, rien n’est aux normes : ni les logements, ni les commerces”.

La jeune femme en a la preuve dans son téléphone. Lors du dernier épisode pluvieux, fin octobre, l’eau coulait à flot dans son magasin. “Ici, cela fait propre mais tout est en carton. Quand vous tapez, ça sonne creux”. En appui à sa démonstration, elle montre un vidéo où l’on voit effectivement l’eau sourdre de manière continue des plinthes, en fond d’échoppe.

Pourtant la tailleuse est au premier rang des visites ministérielles. “Julien Denormandie, il sait tout ce que je vous ai dit. Avec lui, je ne mâche pas mes mots”. La dernière fois, il a même poussé la porte de l’échoppe. “Édouard, je dois te présenter quelqu’un. Il a dit en entrant”, se souvient Bintou Cissé. Il était avec le Premier ministre, Édouard Philippe. “Ils sont restés un moment. Ils écoutent mais cela ne veut rien dire. Personne ne sait ce qu’ils vont faire du quartier”.

Opacité sur les projets à venir

De “projet urbanistique” en “îlot démonstrateur”, personne ne peut dire de quoi le projet Noailles sera fait. Rien ne filtre des projets municipaux, ou désormais métropolitains. Même le trou laissé par les effondrements n’a pas encore trouvé de destination. Un an après, la seule certitude est que la puissance publique entend acquérir la surface des immeubles disparus et de ceux qui l’entourent. Est-ce pour démolir encore ? Pour rebâtir ? “C’est encore trop tôt pour le dire, estime Xavier Méry, conseiller métropolitain (LR) en charge du suivi des politiques de lutte contre l’habitat indigne. Nous sommes encore en cours d’acquisition. Les plus fragiles seront démolis, d’autres rénovés“. Quant au projet et à la stratégie qui le porte, l’un et l’autre sont inconnus.

“Moi, je pense qu’il faut raser ce qui ne tient plus debout et faire du neuf à la place”. Alain, le patron du grand bar Vacon, n’y va pas avec le dos de la truelle quand il est question de faire de l’urbanisme de comptoir. Le repreneur du bar du bas de la rue d’Aubagne n’était pas encore en place au moment où les immeubles sont tombés. Ce bar où se croisent les anciens comme les nouveaux habitants, il l’a repris en “location gérance il y a sept mois”. Avant, il tenait la Rascasse sur le Vieux-Port. Mais après 18 mois de retraite, il se faisait “trop chier” alors il est venu là où il a commencé dans les années 1960. “J’étais serveur chez Antoine, dans une pizzeria au 35 rue du Musée, toutes les vedettes qui logeaient au grand hôtel de Noailles y passaient. C’était pas aussi délabré”, veut-il croire.

Alors du coup, le patron de bar voudrait du “propre” et voir démolis les immeubles de la place Halle-Delacroix toute proche. La métropole, via la Soleam, la société publique locale qu’elle partage avec la Ville, y a déjà acquis plusieurs immeubles. La place où les fruits exotiques occupent une grande part de l’espace public est un des deux “îlots démonstrateurs” inscrits dans le projet partenarial d’aménagement (PPA). Avec le domaine Ventre voisin, la place sera traitée en priorité par la future société publique locale d’aménagement qui doit porter le projet global pour le compte de la métropole et de l’État (lire notre décryptage sur les différents dispositifs mis en place).

Les projets de rénovation se succèdent

Même si les outils sont nouveaux, le choix de ces deux pans du quartier ne l’est pas. Déjà, à l’issue du plan-guide commandée par la Soleam pour porter son projet de rénovation du quartier, la Ville et la métropole avaient opté pour cette méthode “par îlot” pour traiter les “portes du quartier”. Le domaine Ventre et la place Halles Delacroix y figuraient déjà. “Nous n’aurions pas forcément fait ce choix, constate Sandra Comptour, architecte, qui a travaillé sur ce plan-guide pour le cabinet Territoires & Habitat. Notre stratégie était plutôt de cibler les poches d’indignité en traitant en priorité les immeubles repérés comme les plus dégradés, par exemple ceux du haut de la rue d’Aubagne.” Précisément là où ont eu lieu les effondrements.

Pour des raisons de visibilité de l’action publique et de travail “à l’échelle de l’îlot“, les pouvoirs publics avaient opté pour une autre stratégie. Avant que le projet Noailles soit enterré par la Soleam (lire notre article de janvier 2018 sur la concertation du projet) puis qu’il resurgisse en priorité absolue après les effondrements. Pour de nouveau, repartir dans les limbes technico-administratives.

À la sortie de cette boîte noire de la décison politique, personne ne peut dire comment sera utilisé le plan-guide commandé par la société publique locale. “Nous partons de l’ensemble des études déjà réalisées sur le quartier, affirme Xavier Méry. D’autres vont suivre pour compléter celles qu’on a déjà“.

Du côté de l’État, le plan-guide Noailles n’est pas encore arrivé sur le bureau de Muriel Joer Le Corre, directrice du projet de rénovation du centre-ville. Lors du premier comité de pilotage du projet partenarial d’aménagement, le préfet s’est dit très attentif à la stratégie qui serait portée par la métropole et à la manière dont les habitants seraient associés au projet.

“Une vraie concertation, et pas une consultation”

Pour l’heure, une fin de non recevoir a été opposée aux associations qui souhaitaient directement être associées à la gouvernance des politiques de lutte contre l’habitat indigne. “Nous souhaitions qu’ils créent un collège destiné aux représentants associatifs, aux différents collectifs pour que nous soyons associés à la stratégie et que cela soit une vraie concertation et pas une consultation, explique Hervé Trémeau, le directeur de l’association Destination familles, dont les locaux se situent rue d’Aubagne. Cela n’a pas été accepté. Nous espérons être étroitement associés à la rénovation de Noailles“.

L’État a fait plusieurs fois cette promesse mais, pour l’heure, la métropole n’a pas fait un pas en ce sens. “Nous avons très peu d’interactions avec eux, reconnaît le directeur. On voyait beaucoup Xavier Méry, il y a un an mais plus du tout depuis qu’il est en charge de ce sujet à la métropole”. Pour l’heure, les rares nouvelles qui tombent ne sont pas toutes bonnes. Le chantier de la future Maison pour tous qui devait voir le jour à Noailles est sans cesse remise à plus tard.

L’élu répète à l’envi que les habitants seront “pleinement associés au titre de leur maîtrise d’usage” du quartier, c’est-à-dire de leur expertise en tant qu’usagers quotidiens. Pour l’heure, seule l’existence de futures “maisons du projet” transparaît des annonces. Cela ne suffit pas à battre en brèche la désespérance qui repeint en noir l’avenir du quartier. “Nous avons une chance peut-être historique de peser sur les décisions, estime pour sa part Hervé Trémeau. D’imposer du logement très social à Noailles, des espaces publics et des équipements pour les habitants. Il faut qu’on reste vigilants et qu’on le soit longtemps”. Désormais le projet partenarial d’aménagement, porté par les différentes collectivités, se donne 15 ans pour réussir. 15 ans.

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