Noailles entre colère et tristesse

Reportage
le 6 Nov 2018
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Ce lundi, trois immeubles de la rue d'Aubagne se sont effondrés. Si aucun bilan officiel ne fait encore état de victimes, plusieurs personnes vivaient à l'intérieur. Une catastrophe qui remet la question de l'habitat indigne à Marseille sur le devant de la scène.

Le 5 novembre 2018, le travail des pompiers pour retrouver des survivants commençait. (Photo : Guillaume Origoni)
Le 5 novembre 2018, le travail des pompiers pour retrouver des survivants commençait. (Photo : Guillaume Origoni)

Le 5 novembre 2018, le travail des pompiers pour retrouver des survivants commençait. (Photo : Guillaume Origoni)

“Ce matin, elle est venue nous dire qu’elle était en train de faire les démarches pour quitter cet endroit. Ce soir on n’a toujours pas de nouvelles d’elle.” Dans le local de l’association Destination familles, rue d’Aubagne, l’humeur oscille entre colère et tristesse. Ce lundi matin, aux alentours de 9 heures, deux immeubles situés aux 63 et 65 de cette rue de Noailles se sont effondrés. “Elle”, habite l’un d’eux. Elle avait l’habitude d’emmener son fils de 7 ans dans les locaux de cette association qui fait notamment du soutien scolaire. À 16 h 30, elle n’est pas venue le chercher à l’école.

Combien de personnes sont sous les décombres ? “Il y a peu de chance de retrouver des survivants, le troisième immeuble s’est effondré sur les décombres des autres. Huit personnes manquent à l’appel et il est possible que deux passants aient été touchés par l’effondrement”, indiquait ce lundi soir le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, lors d’un point presse sur place. Les opérations se sont poursuivies toute la nuit et ce mardi matin, un homme a été retrouvé mort. Le procureur de la République Xavier Tarabeux évoque également “5 à 8 personnes” manquant à l’appel. “Ce qui compte, c’est que l’on trouve le moins de morts possible, mais on pense qu’il y en aura”, prévenait Jean-Claude Gaudin, venu sur place après le drame aux côtés du préfet de région, du ministre du logement et de plusieurs élus municipaux. Si le numéro 63, propriété de la Ville, était officiellement vide, au numéro 65 se trouvait une copropriété dont neuf appartements au moins étaient habités.

“Je lui avais proposé de dormir chez moi”

“J’avais rendez-vous ce matin avec mon locataire, comme il n’est pas venu, je me suis rendue sur place, raconte, encore perturbée, la propriétaire de l’un de ces appartements devant le périmètre de sécurité mis en place par les pompiers. Je n’arrive toujours pas à le joindre.” Un peu plus loin, Adèle est en pleurs devant le spectacle des secours qui tentent de déblayer les gravats. Son amie de 26 ans, une étudiante italienne, habitait au 3e étage de l’immeuble. En fin d’après-midi ce lundi, elle n’a toujours pas de nouvelles d’elle. “Deux amis ont passé la soirée chez elle et un est resté dormir hier soir. Elle était locataire depuis un an. Ça faisait des semaines qu’elle nous disait que l’immeuble allait se casser la gueule et qu’elle devait bouger. Je lui avais proposé de venir chez moi.” 

Il y a moins de vingt jours, la Ville a pris un arrêté de mise en péril pour le n°65. Le temps d’une journée, ses occupants ont donc été évacués. “Deux jeunes qui habitaient l’immeuble ont prévenu que des fissures étaient apparues”, se souviennent des riverains. L’association Un centre-ville pour tous fait quant à elle état du “quasi effondrement de la cage d’escalier”.

Une description cohérente avec un précédent arrêté de péril pris en janvier 2017. “Un dégât des eaux ancien et continu a fragilisé le plafond de l’entrée du bâtiment au point que le bois pourrisse et tombe au rez de-chaussée. Il y a un trou dans le plafond et on peut voir les WC de l’étage au-dessus”, peut-on lire dans le document qui enjoignait les occupants à quitter les lieux. Mais après quelques travaux, les services compétents ont jugé que les occupants pouvaient réinvestir les lieux.

“L’arrêté ne concernait que le premier étage. Des travaux ont été effectué et un expert judiciaire a estimé que les occupants pouvaient réintégrer l’immeuble”, se défend Arlette Fructus, adjointe au maire en charge de l’habitat.

“Cela fait des années que l’on sait”

Quant au second immeuble, le numéro 63, il était donc propriété de la mairie depuis 2017 (lire notre article), et frappé d’un arrêté de mise en péril en 2006. “Nous avons bloqué l’accès et des gardes venaient toutes les deux semaines vérifier qu’il n’y avait personne à l’intérieur”, assure Arlette Fructus. Dans le quartier, on est beaucoup moins serein. “Il y avait des squatteurs dans cet immeuble, des jeunes sans papier”, lance quelques minutes après l’effondrement un barbier de la rue d’Aubagne.

“Dire que l’on ne pouvait pas rentrer, c’est un mensonge, cela fait des années que l’on sait que ces immeubles sont dangereux et qu’on laisse les gens y vivre”, s’agace à son tour un autre riverain. Pour Arlette Fructus, c’est la procédure judiciaire sur le n°65 qui empêchait jusque là de lancer des travaux de réhabilitation.

Dégât des eaux, trou dans le plafond et bois pourri

Ici, à Noailles, l’effondrement de ces immeubles n’est pas une surprise. “On se doutait que ça allait arriver”, se désole une bénévole de l’association Dunes qui lutte contre la délinquance et dont les locaux se situent rue d’Aubagne. “J’ai habité au 65 de 2008 à 2014, et déjà c’était en très mauvais état”, glisse encore un riverain.

Au local de Destination familles, les espoirs se réduisent à mesure que le temps passe et la colère, elle, monte parmi les membres de cette association : “Des immeubles comme ça, il y en a plein le quartier. Il suffit de rentrer chez les gens, vous verrez la misère dans laquelle ils vivent. Mais on préfère les laisser mourir et construire à leur place des hôtels de luxe.” À quelques mètres de là, les travaux de l’hôtel 4 étoiles de la rue des Feuillants se poursuivent.

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Commentaires

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  1. Dark Vador Dark Vador

    “Des immeubles comme ça, il y en a plein le quartier. Il suffit de rentrer chez les gens, vous verrez la misère dans laquelle ils vivent. Mais on préfère les laisser mourir et construire à leur place des hôtels de luxe.” Encore des “menteries” qui vont faire de la peine à Jean-Claude…

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  2. Otox Otox

    Oui, encore du “Marseille basssssshheeeeinggg”!

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  3. Tarama Tarama

    Colère et tristesse, c’est bien ça.

    Comment une telle catastrophe est-elle possible ? Comment, ailleurs, au Parc Corot ou à Air Bel, vit-on dans des conditions d’insalubrité et de précarité telles , qu’elles mettent la vie des habitants en danger.

    Tout ceci traduit l’incurie des pouvoirs publics, à tous les niveaux (national, municipal, ministères, législateurs, bailleurs sociaux, etc.).

    Marseille a ceci de particulier que les pauvres vivent dans la ville, et parfois même en son centre. La pauvreté y est donc révélée au grand jour, quand ailleurs ce serait dans des contrées lointaines du nom de Villeurbanne, Sarcelles, etc., passant souvent sous le radar médiatique.
    Marseille est un révélateur.

    Je suis infiniment triste pour les victimes et leurs proches dont la vie a subitement basculé dans l’horreur.
    Et en colère que de telles choses puissent arriver dans un des pays les plus riches du monde.

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  4. picto13 picto13

    Tristesse, colère, indignation …. C’est bien sûr à cause de la pluie que les immeubles s’effondrent. La faute à pas de chance, sacrée météo !
    Et toujours ce vieux refrain rance ” les pauvres ne votent pas, alors ça ne sert à rien de dépenser des sous pour eux”. Colère, tristesse, indignation.
    Pendant ce temps on a beaucoup d’argent à offrir aux promoteurs pour étouffer la ville sous le béton…

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  5. Luciole Luciole

    “Il y a peu de chance de retrouver des survivants, le troisième immeuble s’est effondré sur les décombres des autres.”

    Est-ce qu’il était absolument nécessaire que le troisième immeuble soit détruit au moment où il l’a été? ou n’était-ce pas possible de retarder le moment de sa destruction pour finaliser ou en tout cas poursuivre au max l’opération de secourisme des personnes présentes sous les décombres des 2 précédents immeubles?

    Mme Artaud, ou l’ensemble de Marsactu vous est-il possible svp de nous en dire plus sur la destruction du 3e immeuble, et des raisons pour lesquelles elle a été provoquée aussi tôt?

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  6. titi titi

    Votre article me rend tellement triste !

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  7. corsaire vert corsaire vert

    Tristesse et colère aussi …de ruines dangereuses dans ce genre il y en a beaucoup à Marseille et elles pourrissent sous le regard endormi de la municipalité que la mort de plusieurs personnes n’arrache qu’une larmette devant les caméras .
    Depuis des mois une maison s’effondre peu à peu , rue Eugène Potier , elle est aussi accolée à une autre habitée …
    Nous l’avons signalé aux services municipaux à plusieurs reprises et après quelques jours d’agitation , retour à la case départ = rien ….
    C’est vrai nous sommes dans le 3 ème arr !!! Rucciotti n’est pas interréssé

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  8. Jean Pierre DANIEL Jean Pierre DANIEL

    Continuer à ouvrir votre enquête vers une analyse concrète de la politique de la mairie et des autres partenaires publics. Reconquête du centre après avoir investit le littoral. Tout autour de ces immeubles martyres en effet l’hotel de luxe à la lisière de Noailles, la reprise en main de la place de La Plaine, l’a re-qualification du cours Lieutaud entamée. Il faut raconter tous ces chantiers du point de vue des victimes de la rue d’Aubagne.
    Merci.

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