Nini Dogskin et François Billard, les excentriques du Non-lieu
A l'occasion du festival Jazz sur la ville, nous avons rencontré au Non-Lieu la chanteuse comédienne Nini Dogskin et son compagnon musicologue et écrivain François Billard. Ils nous ont plongés dans un univers jazzy, le leur, aussi riche que déluré.
Nini Dogskin et François Billard, les excentriques du Non-lieu
Dans sa petite robe noire, derrière le bar, Nini Dogskin danse, déhanche son corps frêle, libère un rire chaud et grave qui s’élève jusqu’au plafond bas. À l’autre bout de la petite salle du Non-Lieu, son compagnon François Billard, élégant en costume et chapeau, raconte de truculentes anecdotes sur l’étroite relation entre jazzmen et mafiosi.
Les disques vinyles achèvent de transporter le public captivé et amusé quelque part à la Nouvelle-Orléans, dans un bouge malfamé des années 20 où règne un parfum illicite. Plus tôt en ce vendredi 13 de funeste mémoire, Nini Dogskin était sur scène avec Magali Bazart et François Nicolas, deux autres comédiens, pour interpréter, dans le cadre du festival Jazz sur la Ville le polar de Michel Boujut, La vie de Marie-Thérèse qui bifurqua quand sa passion pour le jazz prit une forme excessive. Soit les tours et détours d’une oie blanche devenue la muse de gangsters dans les années 50, dans le sud-ouest de la France.
Le choix de ce lieu, ouvert voilà plus de deux ans rue de la Palud – “sorte de cabaret expérimental” – ancien restaurant nommé le jambon de Parme, puis furtivement temple bouddhiste, résulte “d’une envie, en fin de parcours, de trouver un endroit où on aimerait aller si on était de l’autre côté de la barrière”, explique François Billard. L’histoire du couple qui dit “avoir passé l’âge” de dire qu’ils quittent bientôt la soixantaine, ressemble un peu à ce lieu au parcours improbable.
“Matelas sur le dos”
Au tournant des années 60 et 70, Nini Dogskin s’embarque dans le cirque contemporain avec le FBI (Fenomenal Bazaar illimited, Paris) et les Frères Gulliver de Marseille. Dans la grande bastide marseillaise où la compagnie squatte, l’extravagante fait pousser du maïs et des lionceaux tenus en laisse s’ébrouent dans le parc. “Un jour la vieille propriétaire est arrivée à l’improviste, très tôt. J’ai fait partir en urgence mes compagnons à peine vêtus avec leur matelas sur le dos, avant d’accompagner la dame dans son tour de propriété. Les lions ont rugi, elle a dit qu’elle avait cru les entendre. Je lui ai dit que son imagination lui jouait des tours”, se rappelle Nini Dogskin, rigolarde.
Comme tout le monde à l’époque de mai 68, estime la comédienne, elle a “expérimenté la vie en communauté hippie”. Sans doute un brin lassée et surtout par goût de l’aventure, Nini Dogskin part en Australie et y reste vingt ans. Là-bas, elle adopte en plus de sa double nationalité son pseudo “qui lui a collé à la peau”, commente François Billard. Elle y crée le Nini Dogskin Ensemble, autour du chansonnier Aristide Bruant dont le nom reprend la célèbre chanson. “En plus du chant j’ai aussi expérimenté le mime, sans doute parce que ça ne le faisait pas du tout de jouer sur scène avec mon accent marseillais”, poursuit l’artiste. Rentrée à cause du mal du pays en 2000, elle fonde la compagnie Nini cabaret, fabrique de petits spectacles comme la “Chanson délirante”, pour lequel elle travaille avec François Billard.
La passion du jazz ? “Là, c’est davantage monsieur”. Ça lui colle même très tôt à la peau, ainsi que le rock, dès l’adolescence, en admiration devant ses cousins, des “blousons noirs, des titis parisiens qui passaient leur temps à se coiffer les cheveux en banane et qui écoutaient Elvis Presley, Brassens et d’autres”. Un peu plus tard, “à l’époque de cette confrontation de plein de styles de musique comme le blues américain, le jazz, la pop et Bob Dylan”, François Billard lâche sa batterie “minable” achetée trois sous pour lui préférer le saxophone, le chant et l’harmonica. Il se met à fréquenter le monde de la nuit marseillaise. “Un maquereau avait une boîte rue Vacon, il fermait sa boutique tous les mercredis après-midi et on pouvait jouer. À la tête de ses dames, je pense qu’elles préféraient faire le tapin plutôt que de nous écouter”, plaisante-t-il.
Dans le club privé Au son des guitares, le propriétaire corse dont l’oreille est égratignée le fait déguerpir lui et ses comparses. “Ça va mal se passer pour vous”, les menace-t-il. Finalement, seul un bar de prostituées et transsexuels rue Curiol leur ouvre la scène. Après mai 68, et un passage à Londres, il atterrit finalement en Belgique, joue en première partie de groupes connus. Puis revient en France, à Marseille, pour se rapprocher de son enfant. Jeune père divorcé, il n’a alors que 20 ans. “Je me suis dit qu’il fallait que je monte un groupe qui ait une audience internationale”, rien que ça. Les barricades naissent de cette ambition et se font un nom, en crapahutant de festival en festival et en dupant le magazine Rock et Folk. “On leur a envoyé des courriers qui tantôt parlaient de notre groupe en disant que ce groupe était lamentable, tantôt que c’était un groupe génial. Ça a marché! le magazine s’est intéressé à nous.”
“Fatigué de l’underground”
À la fin des années 70, le musicien se dit “fatigué de l’underground”. Il monte à Paris ou il devient jardinier, tente d’autres jobs puis se lance dans la traduction, dans le journalisme (Jazz magazine, Guitare et claviers, etc), écrit des polars, travaille pour plusieurs maisons de disque, monte la sienne, spécialisée dans l’accordéon et le jazz. “Je suis devenu le mec qui a écrit un bouquin de 600 pages sur l’accordéon [Histoires de l’accordéon, INA, 1991 pour lequel il a obtenu le prix Charles Cros – ndlr], ce qui me rend légitime sur le sujet, même si je ne sais pas en jouer”, ironise-t-il.
Au bout d’une quinzaine d’années, il revient à Marseille. “Là, – au début des années 2000 – j’ai eu la grande chance de rencontrer Nini, ce qui a changé ma vie. Nini, qui n’est pas aussi tarée que moi, est la femme que j’ai le plus aimée de toute ma vie”. Une déclaration d’amour instantanément accueillie par le rire revigorant de la chanteuse. Dès son retour, François Billard se lance dans la chanson – délirante – en solitaire sous le nom de Billard/DJpp, et travaille avec Patrick Portella, compositeur au centre de création musicale Gmem. On croise également sa silhouette à Montevidéo quand il travaille pour le Grim ou à la discothèque de l’Alcazar. “Il n’y a pas longtemps, j’ai entendu quelqu’un les qualifier d’excentriques, livre Patrick Portella de longue date. C’est un terme qui n’a plus vraiment cours mais que je reprendrai bien à mon compte pour les qualifier. Ils sont souvent inattendus, comme artistes autant que dans le quotidien”.
Ensemble, le couple monte des petits spectacles chantants, comme “La pointe d’Hawaï”, monté avec Patrick Portella et l’auteur-compositeur François Racaille autour de l’oeuvre de Bobby Lapointe et préparent également un documentaire sur le personnage. Ils animent aussi des ateliers dans les collèges marseillais. “On a souvent donné des spectacles après les ateliers, et on a été reçus comme les Rolling Stones”, décrit Nini Dogskin. “Les gamins n’ont pas l’habitude de voir du spectacle vivant, du coup c’est le déchainement”. Ils préparent cette année un spectacle sur la chanson coloniale, “un sujet dangereux”, autour d’un corpus d’une vingtaine de chansons, intitulé “Y’a bon,mirages de la chanson coloniale”, qu’ils présenteront à l’Espace Julien le 3 décembre.
S’ils ont choisi le Non-lieu pour ancrer leurs vieux jours d’artistes, ils ne semblent pas prêts à raccrocher saxo et accordéon pour se mettre au vert et boire des verres – avec glaçon pour Nini Dogskin – en écoutant de vieux vinyles. Un ami de longue date et “complice artistique” – comme il se définit lui-même – Philippe Gouix confirme d’ailleurs que leur énergie débordante et dévorante a encore de beaux jours devant eux : “même si en tant qu’ami je suis de mauvaise foi définitive, je peux dire que Nini a toute l’énergie et lui toute la retenue possible, ce qui en fait un couple harmonieux. Mais ils sont fous tous les deux, ce qui nous rapproche”.
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Elodie Crézé, lorsque le sujet vous passionne, votre style d’écriture est proche de celui du cinéma de Kusturica dont j’adore les moments d’épopée. Je me souviens encore du très bon article « Aux abords de Marseille, le Far West des terres agricoles » : https://marsactu.fr/aux-abords-de-marseille-le-far-west-des-terres-agricoles/
Encore…
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Je connaissais François Billard en tant que musicologue pour ses conférences sur le jazz à l’Alcazar, toujours très intéressantes et passionnées. Cet article donne envie de découvrir l’homme et le Non-lieu que je ne connais que de nom.
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