Ne les appelez pas Segpa : la fabrique du premier podcast des 4e G
Au collège Darius-Milhaud, à Saint-Barnabé, les élèves de la 4e G, classée SEGPA, s'essaient à la radio. Marsactu s'est invité à ce premier enregistrement.
De gauche à droite, Mathias, Inès, Alham, Maroua, Aboubacar, Yanis, Mathieu et Samuel.
Rachid Zerrouki est un professeur heureux. Pour un vendredi pluvieux de début d’hiver, avec les vacances qui s’annoncent et l’excuse sanitaire, il a fait le plein. Les 4e G sont au complet. “Pour la première fois depuis le début de l’année, vous êtes tous là”, les félicite-t-il. Ils ne sont pas venus pour rien. Ce jour-là doit se faire l’enregistrement du premier podcast de la 4e G. Ils le préparent depuis des semaines et attendent avec impatience l’auteur de ces lignes, venu en “technicien”, prêter main forte au projet. En l’occurrence, il s’agira d’appuyer à intervalles réguliers sur le bouton “Rec” de l’enregistreur qui trône au milieu de la table.
“C’est quoi ce truc ?”, interroge Aboubakar en pointant la bonnette poilue qui recouvre le micro. Sur les schémas que leur professeur de français et d’histoire-géo leur avait montré, il y avait une table de mixage, de nombreux micros et des casques pour tout le monde. Ce sera donc plutôt des tables mises en carré, un bouton rouge qui clignote et une touffe de poil gris.
“Un podcast pour parler de notre ville”
“Bonjour à toutes et à tous, je m’appelle Aboubacar, j’ai 14 ans, vous écoutez le podcast Les Petits Marseillais… Bienvenue à vous ! Nous sommes la 4e G, d’un collège de Marseille. On a entre 13 et 14 ans et on a décidé de faire un podcast pour parler de notre ville“. Aboubakar ne lâche pas sa feuille des yeux. Il garde tout le même le ton fluide, concentré sur sa tâche de présentateur.
Le nom du podcast n’a rien d’usurpé. “La plupart d’entre nous sommes nés ici et nous aimons notre ville, enchaîne Inès. Mais il y a aussi des choses qu’on n’aime pas ici et on va être francs, on va tout vous dire”. Le premier sommaire comprend donc des sujets très marseillais : Noailles, les effondrements de la rue d’Aubagne, la peste de 1720, Pagnol, l’OM… Mais si le nom joue de la fibre identitaire, c’est aussi pour effacer un stigmate.
La 4e G est une classe dite de Segpa, pour sections d’enseignement général et professionnel adapté. Ces classes sont destinées à accueillir des élèves en difficulté d’apprentissage, de la sixième à la troisième. Au fur et à mesure des années, les enseignements généraux cèdent le pas à des stages de découverte en milieu professionnel. Mais quand on entre en Segpa, c’est rarement pour retourner dans la filière générale. La Segpa est vue comme une voie de garage.
Le stigmate Segpa
“Au moment du choix du nom, il y a eu un débat au sein de la classe pour savoir si on mettait Segpa dans le titre du podcast, commente Rachid Zerrouk, connu sur les réseaux sociaux sous le pseudo “Rachid l’instit”. Certains élèves revendiquaient l’idée qu’il fallait le garder pour prouver aux autres qu’on pouvait faire des choses bien en étant scolarisés en Segpa”. Au final, ce sont ceux qui voulaient effacer le stigmate qui ont eu gain de cause. Ils seront donc des petits Marseillais comme les autres pour les internautes qui découvriront cet épisode.
Vient le tour de Mathias pour ce premier tour de table. Il a littéralement le nez dans sa feuille et parle lentement pour esquiver le bégaiement qui menace de hacher ses phrases. Ça passe à l’aise. La première séquence est bouclée. Petit tour de table pour débriefer. Tout le monde est plutôt satisfait. Grand échalas vêtu de noir, Mathieu aborde la question du bégaiement de son camarade. “Finalement, c’est bien qu’il bégaie parce que comme ça, il prend le temps de parler”. Son intervention déclenche un petit tollé qui retombe bien vite quand tout le monde s’aperçoit qu’il voulait valoriser son camarade.
Son tour vient à la séance suivante. Il a le corps noué, une main qui cache sans cesse son visage. “Reprend calmement, intervient Rachid Zerrouki. Pendant les répétitions, tu étais plus fluide. Cela veut dire que tu peux y arriver sans te prendre la tête”. Mathieu opine. Effectivement, la deuxième prise coule sans peine.
Le drame Noailles
À la séquence Noailles, la tension monte d’un cran. Il y a parmi les élèves des délogés qui ont connu les nuits d’hôtel. Une des jeunes filles présentes sort en larmes au moment où le propos aborde les effondrements. Noailles, pour beaucoup, c’est chez eux.
Les classes de Segpa sont peu nombreuses et disséminées un peu partout dans la ville. Darius-Milhaud est donc la section du centre-ville même si ce collège de l’Est marseillais est plutôt loin à vol d’oiseau du “ventre de Marseille”. C’est aussi le défaut de ces sections trop rares et donc parfois trop loin pour convaincre les parents d’y mettre leurs enfants. Avec le risque que des élèves décrocheurs ne retrouvent jamais le chemin de l’école.
Maroua a le cœur qui bat
Pour cette première, ils sont assidus et franchement nerveux à l’heure de parler de leur quartier. Accroche-cœurs savamment lissés sur le front et ongles bleu ciel, Maroua a “le cœur qui bat” à l’idée d’aborder le quartier où travaille sa famille, où elle a longtemps vécu. Même si elle a raté quelques séances, elle se donne à fond. Dans le positif comme dans le négatif. “Moi la vérité c’est que je n’aime pas trop les gens de Noailles, en tout cas certaines personnes”. Elle entend par là, les “dragueurs de rue qui harcèlent les filles”. Alham aussi à son mot à dire “même s’ils ne me parlent pas trop parce que tout le monde connaît ma mère là-bas”. Justement, Zineb sera la première interviewée de ce podcast, une séquence qui devra être ajoutée après coup.
“Zineb, c’est pas une grand-mère qui est morte, tuée par les flics ?”, hasarde Mounir, qui patiente en tournant les boucles qui lui tombent sur le front. Sa sortie donne lieu à un débat où chacun apporte son fait sur le déroulé du drame. Là encore, on voit comment ce travail de l’oral peut être formateur.
Avec Nahyl, Mounir se tient un peu à l’écart du groupe des motivés, affectant une forme de détachement. Son compère sera repris plusieurs fois par son professeur et invité à “prendre l’air” dans le couloir. L’ambiance reste tout de même studieuse, loin des personnages parfois explosifs que dépeint Rachid Zerrouki dans Les Incasables (Robert Laffont), ouvrage passionnant qui mêle témoignage et point de vue pédagogique sur les classes Segpa.
Ici, pas de problème de discipline, les 4e G font preuve d’enthousiasme pour ce projet transversal qui leur permet de remettre en jeu les savoirs acquis les années précédentes. Pour aborder la peste de 1720, ils convoquent ainsi les tableaux de Michel Serre, vus lors d’une sortie au Mucem, l’année dernière.
Même Yanis a son mot à dire au cours de l’enregistrement, alors qu’il a raté la plupart des cours de préparation. Dans ces classes, le premier confinement a eu un effet dévastateur sur l’assiduité. Souvent les parents avaient peur de remettre leurs enfants à l’école. “Certains ont passés deux mois enfermés chez eux”, constate Sylvie, une professeur de la classe voisine qui a conçu le logo du podcast avec les élèves en cours d’arts plastiques.
Football et température
Après la récréation, le jeune garçon arrive en retard. “Tu étais où, Yanis?”, interroge le professeur. “À l’infirmerie”, répond le jeune homme. “Pour quoi faire ?”, réitère l’enseignant. “Prendre la température, maugrée Yanis dont le ton s’éteint peu à peu. Mais l’infirmière a encore dit que c’était de la comédie…” Son professeur a souligné en rouge quelques répliques de cette conversation de garçons sur l’OM, le but de Boli et la triche de Tapie… Ils finissent par un débat sur la gagne et les moyens de l’obtenir.
“Je veux qu’ils raisonnent comme des journalistes en allant chercher l’information pour se construire un savoir”, conclut Rachid Zerrouki. Forcément tout se finit sur une discussion sur le métier de leur invité. On passe en revue les sujets. Les 4e G maîtrisent l’actualité. Ahlam connaît même Didier Raoult, “mais oui, c’est le père Noël avec les cheveux lisses”.
Commentaires
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superbe travail, et mise en valeur de cette classe. merci Marsactu pour ce travail journalistique de proximite
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Formidable document. Merci. Sur quel média peut-on suivre l’aventure des petitsmarseillais au delà de ce podcast
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Bonjour Jb de Cérou
Le podcast sera publié sur une plateforme académique “Peertube” car le modèle économique de Youtube est a priori incompatible avec son utilisation en classe pour poster des vidéos.
Par ailleurs, Marsactu étant également sans pub, le podcast sera aussi publié dans l’Agora
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Félicitations à tout la 4eG et à Benoît Gilles qui fait connaître ce travail !
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AVS = auxiliaire de vie scolaire (pas assistante 😉)
Super de mettre ce travail en lumière !
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Chouette projet ! bravo au professeur, bravo aux élèves, et bravo à Marsactu ! On attend la suite 🙂
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Magnifique !!! Bravo !!!! Une belle contre-argumentation à tous ceux et toutes celles qui pensent que la jeunesse d’aujourd’hui vaut moins que celle d’hier !
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