[Mythes et mythos] L’avenue Ansaldi ou la voie du philosophe qui n’existait pas

Série
le 11 Août 2020
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Une des grandes avenues des quartiers Nord porte le nom d'un imposteur qui n'a rien fait d'autre de marquant que d'obtenir que son nom soit donné à des rues. Retour sur l'histoire d'Alexandre Ansaldi, escroc littéraire des coins de rue.

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L'avenue Alexandre Ansaldi dans le 14e arrondissement de Marseille. Photo : Benoît Gilles.

L'avenue Alexandre Ansaldi dans le 14e arrondissement de Marseille. Photo : Benoît Gilles.

La série

Il y a les mythes fondateurs qui offrent une légende à un territoire. Il y a de jolies histoires qui offrent du folklore mais tiennent du mensonge. Inventaire d'été des grands mythes et total mytho.

Une série d’été sur les mythes et mythos ne pouvait pas faire l’impasse sur Alexandre Ansaldi. L’homme est le prince des mythomanes et, forcément diraient certains, il a à Marseille une avenue à son nom. Pas une avenue comme on en fait ici, tortillon obscur aussi court que large. Non, une belle et grande avenue du 14e arrondissement au bord de laquelle vivent plusieurs milliers de personnes, à commencer par les habitants de la cité des Flamants.

La rénovation urbaine avançant, 13 Habitat y a même érigé un immeuble Ansaldi qui prend le nom de la voie qu’il borde. Ces habitants ne savent probablement pas qui est ce philosophe Alexandre Ansaldi qui leur sert d’adresse. Et ils savent encore moins que sa pensée philosophique ne dépasse guère les quelques centimètres carrés bleus des plaques de cette avenue.

Le prince des imposteurs

L’homme et sa supercherie sont connus. La presse y a déjà consacré plusieurs articles, partout où l’homme a sévi. L’auteur de ces lignes lui-même a mis au jour le canular voici quelques années dans La Marseillaise. Les articles de presse n’y ont rien changé. Les panneaux sont toujours là, plantés. La procédure en justice de citoyens et riverains en 2012 n’a que peu fait bouger les lignes.

À l’origine de cette procédure, Fabrice Massot travaillait alors à l’hôpital Lavéran. Épris de philosophie, il ne goûtait guère qu’un illustre inconnu puisse obtenir un honneur que d’autres, plus savants, n’ont pas. Il le formulait ainsi dans son mémoire en réplique aux arguments de la Ville :

Par ailleurs, je remarque que l’oxymore « Alexandre Ansaldi philosophe » ruine la notion d’hommage public qui est une marque interhumaine de respect et non quelque chose qui va de soi à soi, ou pour le dire autrement, qui va de Monsieur Ansaldi à Monsieur Ansaldi.

De son côté, la Ville entendait s’abriter derrière la liberté des édiles dans leur choix de dénomination, à condition qu’ils respectent les principes “d’intérêt public et de neutralité”. Son avocat entendait donc faire admettre au requérant “que cette appellation a le mérite d’être parfaitement neutre au regard des croyances et de la liberté d’opinion”. Fabrice Massot fut débouté par le tribunal. Mais il obtint des élus, la suppression du terme philosophe. “J’ai effectivement demandé aux services techniques de supprimer cette mention au moment du renouvellement des plaques de cette rue“, se souvient Garo Hovsepian, le maire de secteur jusqu’en 2014.

Ansaldi n’est plus philosophe

Marseille n’est pas la seule à avoir cédé aux sirènes mythomanes. À son actif, peu de livres donc mais beaucoup de plaques de rue. Nice, Charleroi, Perpignan peuvent revendiquer d’avoir été bernées par le même doux escroc. Et parmi les édiles qui ont décidé ces nommages intempestifs, aucun ne peut revendiquer d’avoir lu Ansaldi.

Capture d’écran du film de Radovan Tadic, consacré à Alexandre Ansaldi.

Et pour cause, il n’a pas ou peu écrit. L’ouvrage majeur serait Maximes et pensées. En cherchant bien, on trouve également une Marseillaise nouvelle, un nouvel hymne pacifique sur l’air attribué à Rouget de Lisle. L’ouvrage fait 22 pages. Il est disponible sur Ebay mais nous n’avons pas poussé les frais jusqu’à l’acquérir.

Dieu doit certainement regretter d’avoir créé notre planète, et se dire : quelle boulette!

Alexandre Ansaldi

Quant à Maximes et pensées, il est également fort rare. Heureusement, Alexandre Ansaldi lui-même en égraine les meilleures fulgurances dans le court métrage que le cinéaste Radovan Tadic a consacré à l’énergumène en 1985. On voit l’homme en short seyant, pull moutarde surmonté d’un col en pelle à tarte disserter plus d’une demi-heure sur ses exploits divers et tous sans intérêt.

Le film ressemble à un Strip-tease avant l’heure, oscillant entre la moquerie et l’empathie, dans un style proche de l’émission télé belge devenue culte. Il se finit sur la lente ascension du vieil homme dans l’immeuble parisien où l’académie qui porte son nom et sa gloire est censée se réunir. Il attend donc dans cette soupente les autres membres de l’académie qui, bien entendu, ne viendront pas.

Le film est tout de même nominé aux Césars en 1985 mais, visiblement, les élus marseillais ne sont pas suffisamment cinéphiles pour déceler la supercherie quand la demande formulée par cette même académie tombe sur le bureau de Robert Vigouroux.

Correspondances acharnées

Les archives municipales conservent précieusement la correspondance entre l’académie et le cabinet du maire. Il faudra tout de même trois ans pour que le directeur de l’académie dont le nom n’est pas lisible parvienne à convaincre le directeur de cabinet, Jean Pellegrino, de soumettre cette proposition au maire pour qu’il saisisse à son tour la commission des noms de rue.

Dans un courrier interne de mars 1989, l’adjoint à la circulation Marcel Tassy indique au directeur du cabinet que la demande de l’académie figure bien à l’ordre du jour de la prochaine commission. Il souligne que “cette appellation a déjà été proposée mais n’a jamais été retenue”. Cette fois-là sera donc la bonne, sans que l’on connaisse la teneur des débats dont les archives ne gardent pas trace.

Lettre attribuée au secrétaire de la bibliothèque de Marseille que l’académie Ansaldi joint avec succès à son courrier de demande de nommage.

En revanche, ce qui a achevé de convaincre le cabinet et le maire lui-même est une dernière lettre de l’académie. À plusieurs reprises, il est fait mention d’une présence ancienne à Marseille du prétendu philosophe qui aurait séjourné “du côté de la rue Paradis dans les années 30”. Mais s’y ajoute une information supplémentaire, Ansaldi aurait été fait “citoyen d’honneur” de la Ville après le don d’un “manuscrit autographe de la main de l’auteur” à la bibliothèque de Marseille.

“Citoyen d’honneur”

Il joint à sa lettre une missive datée du 31 janvier 1948 et signée de la main du secrétaire de la bibliothèque de Marseille, avec blason et numéro de référence.

“Il nous plaît de vous faire savoir que nous avons fait le nécessaire pour que le nom d’Alexandre Ansaldi soit porté sur la liste des citoyens d’honneur de notre Ville et qu’il est envisagé de donner prochainement son nom à une voie de Marseille afin de perpétuer chez nous le souvenir d’un auteur de talent exceptionnel qui habita notre cité et y écrivit certainement quelques unes de ses plus belles pages, ce dont nous sommes particulièrement fier”.

Robert Vigouroux ne fait donc que prolonger une volonté ancienne, 50 ans plus tard. Curieusement, ce dernier ne fait pas mention de cette distinction dans sa réponse. Mais l’affaire suit son cours et le 30 mars 1990, la proposition arrive sur le bureau du maire lors de la séance du conseil municipal.

Ce jour-là, il est surtout question de l’émission “Carnets de route” de Christine Ockrent consacré à Marseille. Guerre des cliniques, Sida, les élus crient déjà au Marseille bashing avant l’heure. Élu de la majorité Vigouroux, Maurice Di Nocéra suggère même qu’un badge aux couleurs de Marseille semblable à celui de Touche pas à mon pote soit porté par les Marseillais pour défendre l’honneur de la Ville. Les noms de rues passent comme une lettre à la poste, sans même un mot de débat.

Le maire écrit à l’académie qui se réjouit de la nouvelle et s’enquiert d’une éventuelle photo de la plaque qui remplace, désormais depuis 30 ans, celle de l’ancien chemin de Sainte-Marthe au Merlan. Jusqu’à sa mort en 2000, Alexandre Ansaldi, qui se présentait comme prince d’une lignée anoblie par le roi d’Italie Victor-Emmanuel II, peintre, inventeur, écrivain et philosophe à ses heures, devait bien rire des Marseillais qu’il avait ainsi bernés.

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Commentaires

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  1. raph2110 raph2110

    Merci pour ce moment d’histoire marseillaise. Il est des opportunités de la vie qui sont offertes à certains, M. Ansaldi a eu la sienne. Il faut tout de même lui reconnaître une solide pugnacité pour satisfaire son égo et parvenir à maintenir sa trace dans le temps

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  2. FM84 FM84

    Quel acharnement à mentir! Un mytho de première! L’avenue du Mytho!

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  3. ALAIN B ALAIN B

    Nous pourrions la remplacer par AMBROISE CROIZAT qui n’a pas de nom de rue dans Marseille

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  4. Guylaine Guylaine

    Excellent ! Bravo pour cette histoire que je découvre complètement. Quel type !Je me demande s’il ne mérite pas sa rue, quand même 🙂

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  5. Guylaine Guylaine

    Excellent ! Bravo pour cette histoire que je découvre complètement. Quel type !Je me demande s’il ne mérite pas sa rue, quand même 🙂

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      oh oui, certainement, surtout dans la ville où on montre aux visiteurs le trou par lequel Edmond Dantès s’est enfui de sa cellule du Château d’If….. (peut-être que ce n’est plus le cas, mes souvenirs étant anciens).

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  6. jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

    Y aurait tant de citoyen.nes méritant.es sur la ville plutôt que le nom de ce doux rêveur qui encombre une rue de Marseille.
    Comme quoi les beaux parleurs / écriveurs ont droit de citer dans not’bonne ville.

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  7. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Beaucoup d’autres rues mériteraient d’être débaptisées également …

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  8. Annnieday Annnieday

    Il y a tellement d’hommes et de femmes qui mériteraient cela : Louise Michel, Ibrahim Ali par exemple

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  9. PromeneurIndigné PromeneurIndigné

    En bref un émule, qui fut lui bien vivant ,du célèbre professeur BOTULE cité dans un de ses livres par BHL notre “nouveau” philosophe germanopratin

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    • Zumbi Zumbi

      Pas la peine de défigurer le nom de cet auteur imaginaire dont seul BHL (ou un nègre facétieux) a cru à l’existence : c’est de Jean-Baptise Botul qu’il s’agit.

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  10. jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

    Qui sont les membres de ”La commission des noms de rues” sur Marseille?
    Qui les contrôlent dans leur ”respect des principes « d’intérêt public et de neutralité »?
    Peuvent-ils revenir sur des décisions tel que celle de ”baptiser” une rue importante du ”rigolo” Ansaldi?
    En est-il pareil en ce qui concerne d’autres décisions?
    Toute ces questions qui mettent en œuvre non pas un idéal de gestion exempte d’erreur dans une grande commune comme Marseille mais tout simplement de travailler à un but qui associe autant élus, techniciens et citoyens de notre belle Cité!

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  11. Patrick Magro Patrick Magro

    Ça ferait une belle avenue Ibrahim Ali ! Patrick Magro. Abonné à Marsactu

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  12. ANCRAGES ANCRAGES

    Et si on renouvelait enfin le process et les membres, en 2020?
    La Commission des noms de rue a pour rôle de dénommer des voies nouvelles ou sans nom. Elle est composée d’un président qui nomme les membres (environ 36 membres). La commission est composée de : représentants des mairies de secteur, élus, historiens, Comité du Vieux Marseille, CIQ, Archives Municipales, membres de l’Académie de Marseille, etc….

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  13. Benjamin Koskas Benjamin Koskas

    “Avoir cédé”, “avoir créé”… Et non “avoir créer” , “avoir céder”. Quand on fait profession d’écrire ce serait bien d’accorder correctement le participe passé. Ou alors de changer de secrétaire de rédaction…

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    • Benoît Gilles Benoît Gilles

      Bonjour monsieur et merci pour votre vigilance. Nous faisons beaucoup d’efforts pour ne pas laisser passer de telles fautes mais nous sommes trop souvent pris en défaut. Nous travaillons à ce que ce défaut trouve une réponse durable. Merci de votre patience en attendant celle-ci.

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