La prise en charge défaillante des mineurs isolés étrangers

Décryptage
le 4 Déc 2017
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Entre le 21 et le 23 novembre, 65 jeunes mineurs étrangers ont occupé l'église Saint-Ferréol sur le Vieux-Port. La mobilisation a mis au jour une situation particulièrement préoccupante, avec de nombreux jeunes à la rue, dont beaucoup bénéficiaient pourtant d'une ordonnance de placement de la justice. Décryptage d'une prise en charge défaillante.

La prise en charge défaillante des mineurs isolés étrangers
La prise en charge défaillante des mineurs isolés étrangers

La prise en charge défaillante des mineurs isolés étrangers

Il y a deux semaines, 65 migrants occupaient l’église Saint-Ferréol et contraignaient le département à leur proposer un hébergement. Après ce coup d’éclat militant, retour sur le fonctionnement de l’accueil des migrants mineurs qui arrivent dans les Bouches-du-Rhône, notamment depuis l’Italie.

En tant qu’enfants, ils doivent bénéficier de la même protection que des ressortissants français du même âge. Ils dépendent ainsi du conseil départemental, responsable de la protection de l’enfance. En revanche, un protocole établi en 2013 prévoit une procédure d’évaluation et d’orientation préalable à la prise en charge effective, également gérée par le département (voir le schéma ci-dessous).

Schéma représentatif du parcours d’un mineur isolé étranger dans les Bouches-du-Rhône tel qu’il est censé se dérouler. (Infographie LC)

La phase d’évaluation

L’association Addap 13 est missionnée pour procéder à la période d'”évaluation” des jeunes qui se présentent à elle comme étrangers, mineurs et isolés. Elle a la charge de déterminer si la personne remplit bien ces trois critères. “Il y a une trame d’évaluation, à partir de la personne, de son comportement, du discours, des papiers d’acte civil qu’il a, et, non, pas de contrôle osseux”, expliquait ainsi David Le Monnier, en charge de la prise en charge des mineurs non-accompagnés (l’appellation officielle) pour l’Addap 13, alors qu’il venait à la rencontre des jeunes qui occupaient l’église.

Un jeune qui ne serait pas reconnu mineur – ils sont minoritaires selon des chiffres rendus publics par le département (voir à la page 44 du document) – doit, après avoir déposé des recours auprès du parquet, rejoindre le parcours des adultes dans le droit commun : demander un titre de séjour ou l’asile. Mais s’il continue à clamer qu’il est mineur, il reste dans une zone grise, et risque de se voir refuser l’accès aux lieux d’hébergement d’urgence.

Les délais

La loi prévoit cinq jours, et une prolongation éventuelle de huit jours, pour l’évaluation. Là aussi, dans les faits, à Marseille, ce n’est pas le cas, confirme David Le Monnier. Au delà de cette durée, le mineur peut saisir directement la justice pour demander une mesure d’assistance éducative pour être mis à l’abri. “Des jeunes se présentent à nous la plupart du temps quand ils se sont présentés à l’Addap et qu’ils voient que rien n’avance”, décrit Me Kiymet Ant, avocate qui défend plusieurs des jeunes présents dans l’église. “Certains arrivent après 4 mois sans avoir été évalués”.

Durant cette période d’évaluation, le département, et son prestataire l’Addap 13, sont tout de même tenus de mettre à l’abri ces jeunes, de les nourrir et de s’assurer de leur bonne santé. Dans les faits, l’Addap 13 reconnaît ne disposer que de très peu de lits pour mettre à l’abri ces personnes mineures, qui se retrouvent ainsi à la rue. “J’ai rencontré l’Addap il y a un mois et demi, mais depuis je dors à la gare Saint-Charles”, confiait ainsi Ibrahim, un Gambien de 16 ans réfugié dans l’église Saint-Ferréol. L’ouverture de l’ancienne maison de la solidarité Préssensé in extremis vient donc pallier en partie cette absence d’hébergement d’urgence pour les mineurs. Le département n’a, pour l’heure, pas indiqué si le lieu a vocation à rester ouvert une fois que chacun des membres de ce groupe aura été orienté.

Durant la phase d’évaluation, aucun accès à la scolarité n’est prévu, quand bien même la période puisse s’étirer sur plusieurs mois. Anne Gautier, militante du réseau éducation sans frontières (RESF) a accompagné les jeunes durant l’occupation de l’église et continue à les suivre de près depuis qu’ils sont hébergés. “Leur grande demande, c’est l’école. L’Addap 13 leur explique que ce n’est pas possible avant leur placement en foyer, mais chez RESF, c’est quelque chose qu’on a l’habitude de faire”, déplore-t-elle. “La vraie scolarité elle commence quand on est dans un foyer, mais en attendant, je fais appels aux bonnes volontés…”, avait répondu David Le Monnier devant les demandes répétées d’accès à l’école.

Le 29 novembre, plusieurs syndicats de l’Education nationale (CFDT, Sud, FO, UNSA, FSU, CGT) ont réclamé au préfet et au recteur d’académie de scolariser systématiquement ceux qui se déclaraient mineurs.

 

Le passage devant le juge

Après évaluation de la minorité du jeune par l’Addap 13, ou après qu’il l’ait saisi directement, le juge des enfants est appelé à prononcer une OPP, une ordonnance de placement provisoire. Il se prononce à partir des éléments fournis par le jeune et du dossier monté soit avec l’Addap, soit avec un avocat. Une fois l’OPP prononcée, le conseil départemental est tenu de placer le jeune en foyer éducatif jusqu’à ses 18 ans, cadre dans lequel il sera scolarisé, nourri, blanchi, soigné, etc.

Parmi les mineurs présents dans l’église Saint-Ferréol, au moins une trentaine disposait déjà d’une OPP et vivait tout de même à la rue. “Pour ceux qui ont déjà des OPP, ils seront rapidement orientés vers des foyers et tant qu’il n’y a pas de places en foyer, on les garde”, a ainsi promis David Le Monnier de l’Addap 13. Le département a quant à lui déjà été condamné pour ne pas avoir respecté ses obligations.

Un mineur isolé peut-il demander l’asile ?

Pour demander l’asile à Marseille, il faut impérativement passer par la plateforme asile, chargée par l’État d’enregistrer les demandes et d’accompagner les personnes dans leurs démarches. Or celle-ci n’a pas dans ses prérogatives de prendre en charge les mineurs, et n’est donc pas habilitée pour. Les mineurs souhaitant demander l’asile à Marseille doivent donc se rendre directement en préfecture, et suivre un parcours particulier. Une démarche peu connue et plus fastidieuse que la mise à l’abri par le département. Le nombre de mineurs demandant l’asile en France est particulièrement bas.

Et après 18 ans ?

Après avoir été pris en charge en foyer, le jeune retrouve son statut d’étranger à sa majorité, et doit faire les démarches pour obtenir un titre de séjour, qui reposent notamment sur le fait qu’il soit engagé dans une formation ou qu’il ait été diplômé. “De fait, on continue à suivre le jeune même après sa mise à l’abri, car à ses 18 ans il faut faire la demande d’un titre de séjour, et ce n’est pas automatique du tout”, confirme Me Kiymet Ant. “Quasi systématiquement, à 18 ans, ils sont mis à la porte de leur foyer, note plus abruptement Anne Gautier de RESF. Sauf s’ils obtiennent un contrat de “jeune majeur” qui permet de poursuivre une formation pour une durée précise. Mais on en voit de moins en moins et ils sont de plus en plus courts”.

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