Mic-macs en série dans la distribution des masques municipaux aux Marseillais

Jean-Claude Gaudin visite un centre de distribution de masques en présence du maire de secteur, Lionel Royer-Perreaut. Photo : ville de marseille

Il y a parfois loin du masque aux lèvres. C’est le désagréable proverbe qu’ont découvert les Marseillaises et Marseillais qui ont pris au pied de la lettre la volonté du maire de distribuer 1,5 millions de masques, lavables et réutilisables dès la première semaine de déconfinement. En effet, certains ont dû traverser la ville pour se voir servir les précieux masques barrières gratuitement fournis par la municipalité.

“Je me suis inscrite la semaine dernière sur le site et j’ai eu une réponse ce lundi 11 pour une convocation dans le 12e, le lendemain, explique ainsi Hélène, 67 ans et habitante du quartier Longchamp (4e). Comme je ne consulte pas mes mails régulièrement, quand je m’en suis aperçu, l’heure du rendez-vous était déjà passée. Et de toute façon, cela m’était compliqué de me déplacer aussi loin”. Comme elle, ils sont des dizaines à témoigner sur les réseaux sociaux de ces déplacements aléatoires pour rejoindre leur point de distribution. Et ce, alors qu’ils avaient bien précisé qu’ils venaient en “piéton”, une des deux possibilités offertes par le dispositif mis en place par la Ville de Marseille.

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“J’ai pu constater la même chose dans les centres de distribution que j’ai pu visiter, reconnaît Yves Moraine, maire LR des 6e et 8e arrondissements. Je crois que c’est dû à un problème informatique que la Ville est en train de résoudre mais dont je ne sais pas mesurer l’ampleur. Ce qui est clair, c’est que tout est fait pour que le point de rendez-vous se situe dans le même arrondissement où habite la personne qui vient le retirer”.

Grands écarts géographiques

À l’autre bout de la ville, la maire RN des 13e et 14e arrondissements, Sandrine d’Angio fait le même constat de grand écart entre le lieu de résidence et de retrait. “Un de mes administrés qui habite le 13e devait aller dans le 15e en transports en commun [où les masques sont obligatoires, ndlr]“, explique-t-elle. Mais le mic-mac se traduit plus directement par un arrêt des distributions dans les sites dits “piétons”. “Dans notre secteur, il n’y a plus que les drives qui fonctionnent”, assure-t-elle.

Une mise à l’arrêt que nous avons pu directement constater dans la mairie du 1er secteur où la distribution a cessé ce mercredi en attendant que le système soit ajusté. “Bientôt, on va vous envoyer au Frioul chercher votre masque”, plaisante l’agent d’accueil qui fait état de cette suspension.

“De nécessaires ajustements”

Du côté de la Ville, on reconnaît de “nécessaires ajustements” dans un dispositif “d’une effroyable complexité et complètement inédit à l’échelle de la Ville”. “Nous ajustons au fur et à mesure, explique-t-on. Nous avons par exemple supprimé la tranche de 8 h 30 à 9 h parce que personne ne venait. Cela fait partie des petites corrections auxquelles nous procédons”. On plaide donc “l’humilité” face à une situation extraordinaire.

Effectivement, une telle distribution n’a pas d’équivalent dans l’histoire de la ville. D’autant plus, quand elle s’organise dans une période où une grande partie du personnel municipal a été contraint au chômage technique et ce alors que la municipalité subit un black-out informatique dû à la cyber-attaque subie à la veille du premier tour des municipales.

À cette situation locale, s’est ajoutée une tension internationale sur les masques qui s’est illustrée jusque sur le tarmac des aéroports chinois. Or, cette raréfaction de la matière première a aussi un effet sur les protections réellement distribuées à la population. Ainsi le maire avait promis la distribution “de masques réutilisables” notamment destinés aux usagers des transports en commun. À ceux-là s’est en réalité ajouté un masque à usage unique pour former un lot de trois masques pour tout Marseillais de plus de dix ans.

Lavables cinq fois ou 20 fois?

Longtemps syndicaliste à la FSU, militant au Printemps marseillais [la liste d’union de la gauche lors des dernières municipales, ndlr] et habitant du centre-ville, Alain Barlatier a fait une virée jusqu’à la mairie de secteur de Maison-Blanche (9e) pour se voir remettre trois masques : un masque chirurgical entouré d’un prospectus de la Ville et deux masques lavables. “Mais il ne s’agit pas des masques noirs en tissu qui sont lavables vingt fois mais des masques en polypropylène qui ne sont lavables que cinq fois”, explique ce dernier qui a consacré un post de blog à son aventure masquée.

Sous couvert d’anonymat, un agent municipal affecté volontaire à cette opération de distribution confie qu’effectivement ces masques lavables de longue durée “sont aux abonnés absents. On a arrêté de les distribuer faute de stocks disponibles”. De son côté, Yves Moraine reconnaît une “vraie tension sur l’approvisionnement. Nous sommes à flux tendus mais il en arrive tous les jours”.

Des marchés passés en urgence

Cette tension est la conséquence des différents marchés passés par la Ville au cours des premiers jours de l’épidémie. Dans un premier temps, le 17 avril, des marchés ont été passés en utilisant la procédure d’urgence qui permet de passer outre la mise en concurrence. Deux sociétés sont alors choisies l’une est l’entreprise marseillaise Hom et l’autre est une entreprise d’insertion, le Fil rouge. Le tout pour un prix prohibitif de 5,50 euros l’unité, pour 250 000 masques livrés sur six mois. Or, ni la quantité, ni le prix, ni la durée ne cadrent avec l’ambition municipale d’offrir ces masques aux Marseillais dès le 11 mai.

D’autres marchés sont donc passés dans des quantités et des délais plus raccords avec les ambitions municipales. Ce sont des centaines de milliers de masques lavables qui devraient arriver dans les semaines à venir. Pas à temps pour permettre d’équiper les Marseillais qui retournent dans les transports en commun.

Le cadeau du département/métropole à la Ville

En attendant, la Ville tape donc dans les stocks de ses partenaires. En effet, le masque en polypropylène est distribué dans une enveloppe qui porte les logos mêlés du département et de la métropole. “Je trouve très étonnant que dans le cadre d’une opération municipale, on se voit remettre une enveloppe qui porte la mention de deux institutions dont la présidente est par ailleurs candidate à la mairie”, s’étonne Alain Barlatier qui y voit une opération de communication politique. Un avis partagé par Sandrine d’Angio, la maire des 13/14, installée à l’autre bord politique.

Du côté de la Ville, on balaie l’argument en reprenant une antienne maintes fois psalmodiée par le maire lui-même : “quand on vous donne quelque chose, la première des choses est de dire merci”. Il reste que depuis le début de cet épisode épidémique, les masques sont devenus un nouveau véhicule politique, gage d’une action volontariste des pouvoirs locaux à l’heure où la politique nationale est amplement critiquée. Chacun y va donc de son initiative. Ainsi la maire de secteur RN Sandrine d’Angio a annoncé au maire vouloir faire un don de 150 000 euros sur le budget de sa mairie pour concourir à l’effort municipal d’achats de masques.

Dans le même temps, elle a fait acheter 30 000 masques de masques chirurgicaux destinés “aux commerçants de [son] secteur qui, comme vous le savez, sont en première ligne”, explique l’élue, candidate à sa succession derrière Stéphane Ravier. Une manne masquée distribuée par des fonctionnaires mais surtout des élus de secteur dont la maire elle-même. Dans une élection toujours en cours, il n’y a pas de petit geste barrière.