Mehdi Zannad dessine la ville en architecte

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le 23 Avr 2016
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Architecte de métier, Mehdi Zannad ne construit rien, si ce n'est des dessins de villes. À Marseille, il réalise une série de dessins à main levée dans un petit carnet rempli au feutre. Ses gravures sont exposées jusqu'au 16 juillet aux éditions Parenthèses.

Mehdi Zannad dessine la ville en architecte
Mehdi Zannad dessine la ville en architecte

Mehdi Zannad dessine la ville en architecte

“Ma parole, j’vais l’buter”. Un jeune homme en colère remonte la rue d’Aubagne, téléphone en joue, au bord des larmes. Des commerces alentours, surgissent des connaissances qui tentent de calmer l’énervé. Un peu plus loin dans la rue, un autre jeune homme observe. Il tient un petit carnet noir en main et un feutre de la même couleur. Il n’a rien perdu de la scène même s’il peine à en résumer les ressorts. Il n’est pas là pour ça. Lui se tient droit, des heures durant, pour capturer des images de la ville à main levée.

Mehdi Zannad est un architecte dessinateur. Il ne construit rien si ce n’est des dessins d’architecte pour Alexandre Chemetoff ou l‘agence LAN à Paris. C’est cette seconde qualité qui l’amène à Marseille, ces jours-ci. Les éditions Parenthèses y présentent une exposition de ces gravures intitulée “Fantômes de villes” à partir du 23 avril. “Nous avons réalisé le catalogue d’exposition de Villissima !, à Toulon en septembre 2015, consacrée à la vision de la ville par un certain nombre d’artistes, explique Varoujan Arzoumanian, l’un des deux architectes et patrons des éditions Parenthèses. C’est à cette occasion que nous avons rencontré Mehdi Zannad qui faisait partie des artistes invités. Son travail nous a donné envie d’aller plus loin en proposant une exposition de ses gravures.” Prolongée sous forme de résidence, l’initiative lui permet de prendre le temps d’entamer un carnet d’images de Marseille.

Face à Homère

Ce mercredi, il est donc à l’affût de l’immobile, face à la statue d’Homère et du Y (ou du A renversé) des rues d’Aubagne et de l’Arc. Ce faisant, il reçoit la vie agitée qui continue de s’ébattre autour de lui sans que ces vivants parfois indisciplinés n’apparaissent jamais dans son travail. “Je compare souvent ce quemehdi-zannad je fais à aux daguerréotypes des débuts de la photographie, explique-t-il le temps d’une pause assise. Pour moi, le carnet fonctionne comme un morceau de verre. Mon bras doit être à la bonne distance et dans le bon angle pour que ce que je pose sur le dessin soit le plus proche possible de ce que je perçois. Je corrige sans cesse même si cela ne se voit pas”.

 

Quatre ou cinq heures durant, il saisit la ville par petites touches de feutre noir. Ce long temps de pose explique la disparition des silhouettes humaines. La ville dont il témoigne ainsi n’est pas désincarnée pour autant. “Ce n’est pas une vue apocalyptique de la ville post-armageddon, se défend-il. Elle ressemblerait plutôt à une ville idéale, enfin débarrassée des voitures.” Sur ce point-là, il triche un peu. Il élimine de son dessin les véhicules garés qui font obstacle avec son objet mais conserve en revanche, les potelets, points d’apports volontaires et containers poubelles qui encombrent l’espace public.

vignette-aubagne-zannad

Premiers traits du dessin en cours, rue d’Aubagne.

il dresse ainsi le portrait d’une ville (en apparence) sans qualité où s’additionnent les bâtiments d’âges différents, les éléments urbains disparates. Les doubles-pages du petit carnet Moleskine se succèdent au gré des pérégrinations avec des liens de forme qui subsistent d’une vue à l’autre. La colonne Homère qui donne un nom à cette placette qui en est dépourvue fait écho à la fontaine de la place Castellane où une allégorie de Marseille contemple la porte d’Aix.

L’immeuble en coin de rue est également un écho lointain de son tout premier dessin né voici 5 ans au tournant de la rue d’Endoume qui fait face à l’ancien théâtre Bompard, saillant comme une proue. “Une après-midi, pendant des vacances, j’ai décidé d’aller dessiner là. J’ai continué un peu plus tard à Sète où j’ai fait cinq dessins puis j’ai poursuivi à Montreuil où je vis”. Une procédure naît de cette première expérience, un carnet se remplit. il fait l’objet d’une exposition à la maison de l’architecture de Lorraine et d’une édition de cartes postales reprenant ses vues de Montreuil.

MONTREUIL – Carnet In Situ from mehdi zannad on Vimeo.

Face au César

La veille, il a passé cinq heures au centre de la place Castellane. À un endroit où personne ne va, où les piétons ne sont pas les bienvenus, au pied de la fontaine. En témoignent sous ses pieds, les galets pris dans le béton non pas à plat mais verticaux pour faire fuir les passants qui prendraient ce rond-point pour une aire de repos. “Finalement, ce que je fais, personne ne le fait, si ce n’est peut-être les sans-abris”, constate Mehdi Zannad. Son œil est attiré par la grille entrecroisée qui coiffe le cinéma Le César, habillant le fronton sans réellement le masquer.

Extrait du carnet "Castellane". Dessin finalisé.

Extrait du carnet “Castellane”. Dessin finalisé.

Durant ces cinq heures d’ascèse verticale, il a saisi les flux et reflux des piétons au gré de l’arrivée des tramways, le rush de voitures en fin de journée. Il a pris le mistral en biais longtemps avant que le mal de dos ne le chasse de ce lieu hostile. “Le plus fou c’est qu’il y a des gens qui traversent pour gagner du temps. Des gamins même”. Cette remarque finira peut-être en légende du dessin comme il a noté l’algarade “à la lampe taser” rue d’Aubagne dans un coin de son carnet.

Pour lui, la lumière agit comme un révélateur à effet lent. “C’est la qualité du dessin de permettre de saisir ce que le soleil éclaire d’un jour nouveau. Peu à peu apparaissent alors des détails qui n’étaient pas visibles une demi-heure avant”. Pour saisir le moment où la lumière est la meilleure, Mehdi Zannad prend une photo et ajoute ces ombrages en dernier lieu. En travaillant avec un feutre très fin, il peut dessiner par couches successives, sans repentirs, ni retour en arrière. Le tout laisse alors percevoir une vibration particulière, due au temps passé.

À Marseille, il compte passer une centaine de jours le temps d’accumuler une série de vues complètes de la ville. Il en imagine une forme de monographie urbaine pour un projet de livre toujours en discussion. “Le projet de livre est né de notre rencontre à Toulon, reprend Varoujan Arzoumanian de Parenthèses, c’est son travail au long cours qui nous intéresse ! Nous aimerions rassembler dans le même ouvrage les dessins inédits réalisés à Marseille au cours de cette année mais aussi à Los Angeles, Montreuil et ailleurs auparavant. Mais ce n’est aujourd’hui qu’un projet qui demande à mûrir”.

Face à l’architecte

Au final, c’est dans ces dessins minuscules et les aquatintes présentées à la galerie que Mahdi Zannad se bâtit un destin d’architecte. “Depuis ma sortie de l’école, je n’ai jamais construit”, constate-t-il sans trop de regret dans la voix. Il aurait pu choisir les Beaux-Arts “mais mes parents ont insisté pour que je fasse architecture, ils trouvaient ça plus sûr”. Il finit l’école d’architecture de Nancy en 1996, à une époque où l’enseignement de la pratique des logiciels de dessin n’était pas encore inscrite dans les cursus. “Cela a provoqué chez moi l’angoisse de ne pas trouver du travail. Au final, je ne regrette pas du tout”. Entre deux projets discographiques sous le nom de Fugu, il a mis ses outils manuels au service d’agences qui pratiquent encore le rendu dessiné.

“J’enseigne le dessin d’architecture dans plusieurs écoles et cela ne représente plus qu’un semestre dans tout le cursus. Les étudiants l’ont délaissé au profit des outils en 3D. Or, cela crée un vraie fracture de communication. Le dessin est un vrai medium qui crée un lieu chaleureux avec le maître d’ouvrage. Avec le dessin assisté par ordinateur, on ne sait plus où est la vérité”. Mehdi Zannad évoque avec un certaine émotion le travail avec Alexandre Chemetoff qui, de la pointe de sa plume, dessine son idée, la rehausse d’un nuage d’aquarelle pour appuyer son explication. “Il faut distinguer le pieux mensonge du dessin à la main, du pur mensonge de la 3D”, pirouette-t-il avant de retourner à son point de vue au pied d’une ancienne alimentation générale.

Dimanche 24 avril à 10 heures, Mehdi Zennad propose de le retrouver sur la Plaine, face à la rue Saint-Michel, où il compte dessiner en public si le temps le permet. Fantômes de villes, l’exposition de ses aquatintes et gravures de villes nocturnes est vernie aux éditions Parenthèses, le samedi 23 avril à partir de 11 heures, 72 Cours Julien (6e) et jusqu’au 16 juillet.

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