Marseille Habitat signale à la justice les agissements de son ancien directeur

Enquête
par Benoît Gilles & Coralie Bonnefoy
le 14 Sep 2021
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La présidente de Marseille Habitat a saisi le parquet de Marseille en juillet dernier pour dénoncer "des dysfonctionnements au sein de la direction" de la société d'économie mixte, filiale de la Ville. Cette dénonciation vise l'ancien directeur, Christian Gil. Il lui est notamment reproché d'avoir favorisé le recrutement de son beau-fils comme syndic d'un immeuble à Kalliste.

Le bâtiment G du parc Kalliste. (Photo : BG)
Le bâtiment G du parc Kalliste. (Photo : BG)

Le bâtiment G du parc Kalliste. (Photo : BG)

Le fait est rare même lors d’une alternance politique comme celle que Marseille vient de connaître. L’affaire ne concerne pas directement la municipalité, mais un de ses satellites, Marseille Habitat. Une société d’économie mixte qui est depuis 20 ans l’un des bras armés de la Ville dans la lutte contre l’habitat indigne et, notamment, dans le redressement des grandes copropriétés dégradées.

En juillet dernier, selon nos informations, la présidente de Marseille Habitat, Audrey Gatian, a écrit à la procureure de Marseille, Dominique Laurens pour lui signaler des “dysfonctionnements au sein de la direction” de cette société d’économie mixte, dont l’actionnaire principal est la Ville de Marseille.

Toujours selon nos informations, ce signalement vise en particulier l’ancien directeur général de la SEM, Christian Gil. Celui-ci a géré Marseille Habitat pendant plusieurs décennies jusqu’à l’automne 2020. Il officie actuellement à Habitat Marseille Provence, principal office HLM de la métropole. Les faits que lui reproche la présidente de Marseille Habitat prennent pour cadre le parc Kalliste, à Notre-Dame-Limite, tout au nord de Marseille. Depuis près de 20 ans, cette grande copropriété dégradée a fait l’objet de différents plans de sauvegarde. Depuis 2012, Marseille Habitat gère une concession d’aménagement pour le compte de la métropole Aix-Marseille-Provence. À ce titre, le bailleur rachète des lots dans les bâtiments qui feront l’objet d’une démolition ou d’une rénovation. C’est dans ce contexte particulier qu’intervient le signalement de la présidente de Marseille Habitat.

“Dysfonctionnements suspectés au sein de la direction”

Sollicitée par Marsactu, celle qui est par ailleurs adjointe au maire chargée de la politique de la ville et des mobilités n’a pas souhaité divulguer plus avant le contenu de son signalement “pour permettre à la justice de travailler sereinement”. Elle a tenu à apporter la précision suivante :

“Je confirme le dépôt d’un signalement au procureur qui concerne des dysfonctionnements suspectés au sein de la direction de Marseille Habitat et qui relèvent d’infractions pénales. En tant que présidente de Marseille Habitat mon objectif est que la justice se saisisse de ce dossier au plus vite. Car la situation là-bas nous paraît très préoccupante.”

Ces “dysfonctionnements” signalés qui pourraient relever “d’infractions pénales” concernent notamment le rôle joué par Marseille Habitat dans le choix du syndic professionnel d’un des bâtiments de la copro. En effet, depuis mars 2018 et jusqu’à la prochaine assemblée générale, le bâtiment G a pour syndic professionnel Auxitime. Or, cette société est gérée par Franck-Antoine Bano, le gendre de Christian Gil.

Ce dernier déclare comme domicile une adresse au Tholonet où le même Christian Gil a transféré le siège de sa société CG Expertise en janvier 2021. Sur l’ensemble des documents que nous avons pu consulter, cette adresse du Tholonet est présentée comme celle du domicile de Christian Gil. Mais quel rôle ce dernier a-t-il joué dans l’atterrissage de son beau-fils à Kalliste ?

Marseille Habitat, concessionnaire et beau-père

À lire les documents de la copropriété, son influence a été centrale. Au printemps 2018, le syndic précédent, Jean-Marc Dominici, passe la main. Il est le syndic professionnel de plusieurs bâtiments de la cité. Pour le bâtiment G, il exerce cette fonction en tant qu’administrateur judiciaire, désigné par le tribunal. Il envisage de prendre sa retraite et propose donc aux membres du conseil syndical de choisir son successeur.

En mars 2018, le gendre de Christian Gil est devenu syndic d’un bâtiment du parc Kalliste.

Trois noms sont proposés à l’assemblée générale comme le prévoit le règlement de copropriété. “Il s’agissait d’Auxitime, Fergan et Ethelia, précise Jean-Marc Dominici. C’est le premier syndic qui a été choisi”. Ce qu’omet de dire l’ancien syndic, c’est que la candidature d’Auxitime était la seule encore en lice, le 14 mars 2018, au moment de l’assemblée générale. “Dominici nous avait bien annoncé trois candidats, mais il n’y en avait plus qu’un au final de présent ce jour-là, se souvient Rozan-Privat Suédois, le président du conseil syndical. On ne pouvait pas garder le bateau sans capitaine. Nous avons donc accueilli cette candidature positivement“.

Joint par Marsactu, Laurent Fergan, directeur du cabinet du même nom, confirme avoir fait acte de candidature. “Je ne me souviens pas être allé plus loin”, confirme-t-il. Mais 2018, cela commence à faire loin“.

Pour Rozan-Privat Suédois, les propriétaires présents n’étaient pas plus de cinq, dont Marseille habitat. En tout cas suffisamment nombreux pour constituer à eux seuls la majorité des quotes-parts des propriétaires. “Je ne me souviens plus si Marseille Habitat était déjà majoritaire au sein du conseil, tente le président. En tout cas, il n’était pas loin de l’être”.

Une assemblée générale présidée par Christian Gil

Le procès-verbal ne garde pas trace des débats. En revanche, il témoigne du fait que Christian Gil, présent en tant que représentant de Marseille Habitat, a pris une part active à cette désignation. Il est nommé président de séance par les copropriétaires. À ce titre, le beau-père signe en leur nom le contrat avec le nouveau syndic professionnel, son gendre. Il est également choisi pour assister son beau-fils lors de l’assemblée générale de l’union syndicale de l’ensemble immobilier du parc Kalliste qui réunit les différents conseils syndicaux de la cité.

Tout le monde à Marseille Habitat était informé du lien familial entre monsieur Bano et moi-même.

Christian Gil

Joint par Marsactu, Christian Gil assume parfaitement ce choix : “Tout le monde à Marseille Habitat était informé du lien familial entre monsieur Bano et moi-même, indique-t-il. J’avais tenu à en informer Arlette Fructus [ancienne présidente de Marseille Habitat, ndlr] et le secrétaire général de la société qui gérait les syndics. J’en ai également fait part aux services de l’État. Arlette Fructus m’avait indiqué n’y voir aucun problème à partir du moment où nous suivions l’avis de la majorité du conseil syndical”. Selon lui, à l’époque du choix d’Auxitime, Marseille Habitat pesait pour 15% des lots avant, au fil des rachats d’en acquérir la majorité.

La problématique de ce type d’immeuble est qu’il n’y a pas beaucoup de syndic qui sont candidats pour les gérer, poursuit l’ancien directeur. Nous avions eu des problèmes avec les syndics précédents. Il était important pour nous de travailler avec quelqu’un de confiance”. Il note en appui que le mandat d’Auxitime a été reconduit en 2019 et 2020.

Pas d’information du conseil syndical

Pour autant, à aucun moment ce jour-là ni durant les quelque trois ans de mandat d’Auxitime, le lien d’intérêt entre le patron de Marseille Habitat et le nouveau syndic n’est évoqué par les concernés auprès des membres du conseil syndical.

Au fil des mois, la situation ne cesse de se dégrader au sein de la copropriété. Le premier problème est celui de squat, un problème endémique à Kalliste. Déjà, en décembre 2017, Marsactu révélait la situation explosive du bâtiment H, quasi-intégralement racheté par Marseille Habitat et squatté dans des conditions déplorables par des ressortissants d’Afrique sub-saharienne, pour la plupart demandeurs d’asile. Or, ce problème d’occupation illégale se déplace rapidement au bâtiment G dont la société d’économie mixte souhaite acquérir la maîtrise foncière.

“Dès qu’un appartement se libérait parce qu’il était racheté par Marseille Habitat, on découvrait qu’il était squatté quelques heures plus tard à peine, explique une propriétaire du bâtiment G, qui suit de près la vie de la copro. Le problème est qu’à chaque fois qu’on a tenté de prévenir Franck-Antoine Bano, c’était sans résultat. Et quand il faisait poser une porte anti-squat, elle était démontée presque aussitôt“.

Squat endémique

Nous n’avons jamais compris pourquoi Marseille Habitat ne protégeait pas mieux sa propriété.

Une copropriétaire du bâtiment G

Peu à peu, bloc après bloc, le squat s’est installé, au point de devenir majoritaire dans les entrées 28 et 31, aux deux extrémités de la barre. Dans l’escalier où vit cette propriétaire occupante, les fils tirés depuis les placards techniques des parties communes témoignent de cette présence massive. “Nous n’avons jamais compris pourquoi Marseille Habitat ne protégeait pas mieux sa propriété en rendant les appartements impraticables”, poursuit la résidente.

Pour Christian Gil, il s’agit là d’une confusion habituelle entre “le gestionnaire, Marseille Habitat” et le syndic Auxitime “qui a en charge les parties communes”. Rozan-Privat Suédois ne partage pas cette vision. À ses yeux, “le syndic Auxitime est complice de Marseille Habitat. Ils ont tout fait pour que le bâtiment parte en vrille et permettre à Marseille Habitat de racheter les appartements moins cher”. La critique est commune dans les copropriétés qui font l’objet d’un plan de sauvegarde et d’une concession par un bailleur public. On l’entend dans les mêmes termes au parc Corot comme ce fut le cas au parc Bellevue, il y a 20 ans alors que Marseille Habitat inaugurait ce rôle.

Mais, à Kalliste, les membres du conseil syndical disent avoir poussé plus loin la dénonciation de leur syndic. “Au début de l’année, nous sommes allés en délégation au commissariat Nord pour porter plainte contre Marseille Habitat et Auxitime, assure Rozan-Privat Suédois. La police n’a pas accepté notre plainte mais nous avons rédigé une main-courante pour dénoncer la situation d’abandon dans laquelle nous nous trouvons”. D’après le président, cette démarche n’a pas eu de suites.

Démission effective

Par ailleurs, le 20 juillet dernier, Franck-Antoine Bano a écrit aux propriétaires du G pour les informer de sa volonté de démissionner de sa fonction de syndic. Soit le lendemain du signalement effectué par Marseille Habitat au procureur de la République :

“Nous nous étions engagés, le 14 mars 2018, auprès de vous et auprès des services de Marseille Habitat, de vous accompagner pleinement dans la gestion quotidienne de l’immeuble. Depuis le début de l’année dernière, la situation des squats, des guerres de clans et des points de deal n’a cessé de se multiplier rendant quasi impossible toute gestion quotidienne sereine. En l’absence du concours de la force publique, notre cabinet n’est malheureusement plus en mesure d’apporter son expertise pour la gestion de la copropriété.”

L’intéressé dit ne plus pouvoir assumer la gestion quotidienne du bâtiment. “Nous avons travaillé en bonne intelligence avec le conseil syndical pour redresser la copropriété, assume Franck Bano, joint par Marsactu. Ce que nous avons réussi à faire lors des 18 premiers mois. Depuis la situation est devenue ingérable”. Le jeune homme ne voit pas de “conflit d’intérêts” dans cette situation : “Je ne vois pas en quoi nous avons fait quelque chose de mal”. C’est désormais à la justice de s’en assurer.

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