[Marseille 1983 : retour vers le Futé] Gym tonic, le déferlement de l’aérobic

Série
par Sophie Bourlet & Timothée Vinchon
le 26 Juil 2023
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Installés ici depuis peu, Sophie Bourlet et Timothée Vinchon le savent : ils sont ce que beaucoup appellent "des néos". Bien décidés à se défaire de ce statut, mais à leur façon, ils ont mis la main sur un guide local du Petit Futé vieux de quarante ans. Tout au long de l'été, ils embarquent Marsactu dans leur exploration du Marseille des années 80.

(Illustration : Sophie Bourlet)
(Illustration : Sophie Bourlet)

(Illustration : Sophie Bourlet)

Après la matinale de Radio Galère, rien de tel pour commencer la journée en pleine santé qu’une petite séance d’aérobic, dans un club plus ou moins privé. Beaucoup ont encore en tête l’épisode de 1983 de la cultissime émission Gym Tonic au fameux générique “toutouyoutou”, à laquelle a même participé Bernard Tapie. Les années 1980, c’est le déferlement du fitness, du L.I.A. (Low Impact Aerobic) et des justaucorps en lycra roses brillants, bandeaux dans les cheveux, coupes mulets et autres guêtres multicolores. Notre Petit Futé ne l’a pas oublié.

ÉPISODE 2 : GYM TONIC

Écoute conseillée pendant la lecture : The Pointer Sisters – Jump (For My Love) (1983)

“AÉROBIC GYM. 265 avenue de Mazargues 13008 – 71 35 23. Un nombre de séances illimité pour 230 F/mois chez les adeptes de « la vie qui vient de l’air. »”

Dans le guide, plusieurs pages sont consacrées aux clubs de sport. Si l’on trouve un peu de tout, c’est pour sauter, danser et lancer les bras en l’air que les annonces et encarts publicitaires sont les plus nombreux. L’un d’entre eux existe toujours. “Aérobic gym – Une heure d’exercice non-stop sur musique rythmée”. Voilà ce que promet la petite annonce du “Set Squash Club”. Après un premier contact avec son fils Mathieu, qui tient le club de Mazargues aujourd’hui, on arrive à donner rendez-vous au père, Bernard Lagier, le fondateur, dans le club actuel. “Il y a des tonnes de clubs qui se sont créés à l’époque, avec des profs de fitness qui savaient vous faire suer, mais moins gérer une entreprise, se remémore le patriarche et businessman, qui bien qu’à la retraite, passe encore des journées entières dans son club.

Au 265, rue de Mazargues, des pancartes indiquent la direction du Set Squash Club. Installé dans les plus de 6000 m2 d’une ancienne huilerie, les dédales de salles de squash, de fitness, de tennis, de crossfit, de boxe donnent le tournis. Nous n’avions pas anticipé ça en choisissant une adresse liée à ce sport en vogue il y a 40 ans. Investir dans l’aérobic à l’époque semble avoir été un bon placement. La visite que nous fait Mathieu se termine dans le restaurant qui jouxte la luxueuse piscine extérieure où se prélassent les abonné·es après une séance. Bernard nous rejoint entouré de son petit-fils et de sa femme. Car le Set, c’est une histoire familiale, pour celui qui a récupéré le club où lui-même jouait du squash en 1985.

J’avais 25 ans, j’étais vendeur chez Porsche et comme beaucoup de jeunes, j’avais envie d’avoir ma propre affaire. C’était délabré, laissé à l’abandon. Un vrai coup de poker.” Il rachète l’entreprise alors qu’elle est en liquidation judiciaire. À l’époque, elle compte une centaine de membres. Aujourd’hui 6000 viennent s’y essayer et une trentaine d’employés y travaillent quotidiennement. Une véritable success-story. Celui qui a grandi rue Paradis se souvient de l’époque où le quartier était un coin de maraîchers. Dans les années 1980, ce quartier était presque considéré comme une autre ville !.

Squash pour les hommes, aérobic pour les femmes

À l’époque, le “Set” est un club d’initiés. Les hommes s’y retrouvent pour faire du squash, les femmes de l’aérobic. “C’était un milieu assez bourgeois. Les gens y venaient pour le contact, voir d’autres gens“, confie Bernard. Lui a une obsession, “casser les clans” : “S’il n’y a que des habitué·es et que l’endroit fonctionne comme un club privé, les autres ne viennent pas”. Ça peut sembler triste, mais le bonhomme a du flair. Fini l’entre-soi, place au sport solo et à la sculpture de son propre corps. Les abonnements explosent. Maurice Elriani en est l’un des plus fidèles clients. Il dit avoir découvert le squash en trouvant une raquette dans la neige à Avoriaz. “Elle a changé ma vie. J’ai commencé à tripoter la balle, et ça m’a permis de rencontrer ma femme, et c’est toute la vie de mon fils, qui a été en équipe de France.” À 76 ans, il n’a toujours pas raccroché la petite balle en caoutchouc. “J’y suis constamment. Je donne encore des cours, ça va, je ne radote pas encore.” Il s’aventure même parfois à des petits matchs. “Je continue à mettre des points dans le cornet aux zigomars qui me défient.

Si la vitrine est belle, Bernard nous montre les différentes brochures, celles de 1984 où l’aérobic prend beaucoup de place, ou celle de 1993, où le golf d’intérieur semble à son apogée. Au cours des décennies, il a essayé beaucoup de stratégies, tenté des paris et a suivi les variations des sports à la mode. “On a fait du badminton, du jorkyball, ou même du golf d’intérieur, s’amuse le retraité. Mais souvent c’était l’euphorie pendant trois mois, puis on se demandait ce qu’on allait faire des terrains qu’on avait construits car ils étaient désertés”. Il se remémore notamment ces longues salles de golf qui lui ont donné des sueurs froides. “Les client·es payaient des seaux de balles à 5 F, puis au lieu de racheter des balles, allaient les ramasser au fond de la salle, rigole-t-il en souriant. J’ai d’ailleurs fini par découvrir qu’un des profs de golfs organisait en secret des soirées poker la nuit dans une des salles”.

“C’étaient les plus belles années”

Fort de son emplacement en plein cœur des quartiers aisés de Marseille, le club de sport a vu passer du beau monde. L’homme n’est pas vantard. “Pour moi, chaque client est le même et c’est tant mieux s’ils viennent comme des anonymes.” Il balance tout de même quelques noms qui racontent l’attractivité de la ville et ses grandes figures. Bernard Lavilliers aimait soulever de la fonte, comme Jean-Pierre Foucault ou Benjamin Castaldi. Des joueurs de l’OM évidemment, Jean-Louis Zanon dans les années 1980, mais surtout leurs épouses qui ont souvent fréquenté les salles de musculation. Plus récemment, il semblerait que ce soient les champion·nes du Cercle des nageurs, et les stars de Plus Belle la Vie, qui y ont pris leurs quartiers. On imagine forcément que des affaires plus ou moins nettes s’y sont faites et défaites. “Il y a eu plusieurs mariages dont les rencontres se sont faites au club“, glisse Bernard. “D’autres s’y sont défaits”, s’amuse Maurice. 

Pour Bernard, Marseille dans les années 80, c’étaient les plus belles années. On se sentait libre, on pouvait tout construire, il n’y avait pas encore le sida, tout était moins craignos“. Si le club occupait ses journées et ses soirées, une fois le rideau tiré à 23 heures, la ville était à lui. Il se remémore avec nostalgie les nuits du centre-ville, où il passait de bistrot en bistrot pour voir les collègues ou “taper le carton” dans le quartier de l’Opéra puis au Stop. Car même les plus sportifs s’amusent la nuit.

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Sophie Bourlet
Journaliste indépendante basée à Marseille, Sophie illustre et écrit les histoires qu'elle entend, surtout si elles viennent de Méditerranée. Elle fait partie du collectif Presse-Papiers.
Timothée Vinchon
Ancien correspondant de presse en Tunisie, Timothée Vinchon est journaliste et membre du collectif Presse-Papiers. Il est très impliqué dans des projets d'éducation aux médias et a créé la newsletter Rembobine, qui mesure l'impact d'enquêtes un an après leur publication.

Commentaires

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  1. X Y X Y

    Plus belles années? J’en doute. La France se débattait dans une crise politique et économique interminable, le sida faisait des ravages…Quant à l’aerobic, il était là première étape du culte du corps et de ses dérives actuelles. JC

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    • Latécoère Latécoère

      J’ai eu la même réflexion, c’était une époque très dure. Le centre-ville était ravagé par l’héroïne autour du parking Shell de la place d’Estienne-d’Orves (pour qui s’en souvient, je ne sais pas si le Petit Futé en parlait). Difficile d’appeler ça « les plus belles années » ou de dire que « tout était moins craignos ». Il y avait les règlements de comptes aussi. Au 11.43, pas à la kalash, mais déjà en quantité insupportable. L’assassinat du juge Michel c’était devant le Corbusier. A 100m du Prado Squash Club.

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      C’étaient SES plus belles années… Pourquoi “c’était mieux avant?” : parce qu’il avait 36 ans et qu’il en a maintenant 76. Nos enfants et petits-enfants diront dans leur automne “c’était mieux avant !” en se souvenant d’aujourd’hui. De plus le coin de maraîchers derrière la maison du fada en 1980, ça semble un peu embelli.

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