Manifestation du 8 mars : les syndicats devant, les féministes derrière

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le 9 Mar 2023
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Le défilé marseillais du 8 mars au matin entendait faire converger les luttes et porter les revendications des femmes autant que la voix des syndicalistes qui réclament le retrait de la réforme des retraites. Les collectifs féministes représentés ont, de ce fait, dû céder la tête de cortège à l'intersyndicale. Pas de gaité de cœur.

Manifestation du 8 mars, journée internationale des droits des femmes. Les organisations féministes défilent derrière les organisations syndicales. (Photo C.By.)
Manifestation du 8 mars, journée internationale des droits des femmes. Les organisations féministes défilent derrière les organisations syndicales. (Photo C.By.)

Manifestation du 8 mars, journée internationale des droits des femmes. Les organisations féministes défilent derrière les organisations syndicales. (Photo C.By.)

La longue banderole bleue clame : “Le 8 mars, journée internationale de lutte pour le respect des droits de toutes les femmes.” Porté par une dizaine de manifestantes, le message avance lentement sur la Canebière, entre le cortège de l’intersyndicale qui réclame le retrait de la réforme des retraites et la camionnette bleue des électriciens et gaziers CGT. Dans les autres villes, Paris en tête, les femmes ouvraient les marches de cette “grève féministe” à laquelle appelaient plusieurs dizaines d’associations et syndicats.

La cinquantaine, gansée dans une doudoune sombre, un drapeau SNES-FSU sur l’épaule, une enseignante du lycée hôtelier marseillais ne cache pas son étonnement. En cette journée du 8 mars, les femmes des associations féministes battent le pavé derrière les syndicats : “C’est la première fois que je vois ça et je le regrette”, dit-elle. Cette année, ce défilé matinal organisé par l’intersyndicale rassemble quelques milliers de personnes et vise un double objectif : faire résonner la voix des femmes et leurs revendications d’une part, et prolonger l’élan de lutte contre la réforme du système des retraites de l’autre. Le soir-même, à 17 h 30, un autre défilé, uniquement féministe s’élançait depuis le Vieux Port. Mais le matin, puisqu’il fallait bien une tête au cortège, ce sont les syndicats qui ont pris le pas sur les féministes. Comme un symbole, cruel, d’une lutte qui en a supplanté une autre.

Bataille de la visibilité

Dans la sono, les Femmouzes T chantent que “les femmes qui travaillent / n’ont pas gagné la bataille”. Ce mercredi, à Marseille, elles avaient perdu celle de l’image et de la visibilité. Devant la banderole bleue des féministes, un méga-phone à la main, Isabelle, membre du collectif Les Rosies, scande des slogans et fait lever les poings. Lutte pour le droit à l’avortement, pour l’égalité salariale, ou contre toutes les formes de violences faites aux femmes… chacune ici porte des revendications fortes.

Vous ne croyez pas que c’est notre place, tout devant ?

Simy, une manifestante

Elles réclament aussi une retraite décente pour toutes et tous. “Je ne vois pas en quoi les deux seraient contradictoires, vu que la réforme des retraites impactera d’abord les femmes”, glisse l’une d’elles. À quelques pas, Isabelle soupire d’autant plus de les voir reléguées au second plan :” J’ai l’impression que certains, dans les syndicats, ont oublié ce qu’est cette journée !” Bonnet phrygien orné de badges cégétistes sur la tête, Simy abonde : “Vous ne croyez pas que c’est notre place, tout devant ?” 

“Que des camarades en lutte”

La décision établissant l’ordre du défilé marseillais a été prise “démocratiquement en intersyndicale”, répondent les organisateurs. “Les arcanes des négociations syndicales sont parfois complexes”, reprend l’enseignante du SNES-FSU. Pas de quoi émouvoir Olivier Mateu. Aux avant-postes du défilé, le secrétaire de l’union départementale de la CGT reste stoïque sous la charge des militantes mécontentes. “Ici il n’y a que des camarades en lutte pour l’égalité, dit-il en montrant ses troupes. Si les féministes voulaient organiser une manifestation, elles pouvaient le faire ! Il n’y a pas de sujet.”

Manifestation du 8 mars, journée internationale des droits des femmes.

La tête du cortège constituée majoritairement de femmes comme souvent dans les cortèges CGT, mais sans mot d’ordre féministe. (Photo C.By.)

Il y a un sujet pourtant, aux yeux d’Hélène. Au volant du camion jaune de Solidaires, cette membre de Sud Éducation insiste : “Nous souhaitions avoir une banderole avec une tête de manif non-mixte. Mais ça n’a pas été retenu.” Un autocollant rose fluo frappé du slogan “grève féministe” scotché sur son sac-à-dos, Alex embraye : “Tous les jours de l’année, les hommes sont en tête des cortèges ! Et finalement ce sont encore des hommes qui prennent des décisions pour les femmes”, s’agace-t-elle en dénonçant une “représentativité gâchée dans l’espace public”. À ses côtés, une autre militante s’inquiète que “la parole féministe soit peu entendue dans les syndicats, notamment au sein de la CGT.”

Cette invisibilisation des femmes aujourd’hui, conséquence d’une position viriliste classique, c’est typiquement ce que nous rejetons.

Christelle Rabier

“La CGT au niveau national, telle que nous la vivons, c’est un syndicat qui porte de façon très radicale les questions féministes. Mais c’est moins le cas au niveau local”, déplore Christelle Rabier, co-secrétaire du syndicat CGT à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). “Cette invisibilisation des femmes aujourd’hui, conséquence d’une position viriliste classique, c’est typiquement ce que nous rejetons”, pointe encore la chercheuse.

Monde syndical macho

Au sein du défilé, des syndicalistes de la CGT tempèrent. “Le monde syndical est macho, convient Christine. Mais il n’y a pas de problème avec les femmes à la CGT.” Delphine, militante de la même centrale syndicale, relève que son organisation place systématiquement un cordon de femmes au début des manifs, comme c’est le cas ce mercredi. “Oui mais ça c’est historique, c’est pour que les flics tapent moins fort ! Ça ne traduit pas forcément un profond engagement féministe”, ironise une manifestante, un poing épinglé sur la poitrine.

À quelques mètres de là, plusieurs élues et élus de la majorité municipale défilent. Au diapason de nombreuses manifestantes, Sophie Camard, maire des 1er et 7e arrondissements, décoche une pique : “Ce n’est pas féministe de ne pas mettre les féministes en tête de cortège.” Elle ajoute qu’elle est là “parce [qu’elle] a bon cœur”, dans un petit sourire mi-figue mi-raisin comme pour dire qu’elle offre la possibilité aux organisations syndicales de faire mieux la prochaine fois. Derrière elle, la voix de Bertrand Cantat résonne soudain, L’Homme pressé de Noir Désir s’échappe de la sono perchée sur la camionnette bleue des gaziers. Froncements de sourcils dans l’assistance. Il y a encore du travail.

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Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    Dommage de ne pas avoir couvert aussi la manif du soir, c’était impressionnant ! Beaucoup de monde, de tout âge, beaucoup d’énergie, des slogans combatifs. Une marée humaine cours pierre puget, c’est rare !

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  2. zaza zaza

    Ce qu’oublie aussi de dire Mateu, c’est que l’intersyndicale a reçu un courrier le 15 février des asso pour une rencontre afin de discuter sur l’organisation de la manif du 8 mars, seule la FSU a fait savoir son accord. L’UD CGT a envoyé un message le 4 mars intitulé : proposition de la CGT, le pb c’est qu’une proposition à ma connaissance, cela se discute. En fait de proposition, c’était une décision que l’on ne pouvait remettre en cause et par ailleurs, il paraitrait que nous devions même être en fin de cortège juste devant les partis politiques. Martinez a dit à juste titre “La CGT n’est pas machiste, mais il y a des machistes dans la CGT”

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  3. Alceste. Alceste.

    Au moins cette manisfestation nous éclaire vis à vis des forces dites de Gauche et d’extrême gauche : les femmes derriére.

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  4. barbapapa barbapapa

    Cantat et Mateu, ça jette un froid glacial

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    • julijo julijo

      oui carrément polaire, même.
      d’autant que le choix de la chanson est particulier, texte ironique, certes, mais la position “viriliste” correspondrait bien, dommage pour eux.
      sans parler de l’auteur.

      l’intersyndicale qui prend une décision “démocratique” c’est possible, c’est aussi très dommage pour les syndicats d’avoir loupé l’occasion de privilégier la lutte pour le respect des droits des femmes.
      ca ne suffit pas d’en parler, il faut agir aussi.

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  5. celine benois celine benois

    Quelle honte ! Cantat le 8 mars !
    En tout cas la manif du soir était une très belle manif ! Dynamique, mixte, recueillie autour des féminicides, revendicatrice envers la justice et la police…et enfin solidaire avec les femmes du monde entier !
    La fontaine devant le palais de justice teinte en violet c était impressionnant.

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  6. Ludovic Tomas Ludovic Tomas

    La relève féministe, depuis plusieurs années, c’est à la manif du soir que ça se passe. De plus, cet article est très éclairant sur la ligne qui vise à prendre la tête de la CGT…

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  7. Kitty Kitty

    Effectivement, il y a encore du boulot ! ….et ça , dans toutes les strates sociales, et tous les milieux !

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