Malgré les contrôles, les logements des travailleurs détachés agricoles restent des taudis
Suite à la découverte de nouveaux foyers de Covid-19 dans des lieux d’hébergements de travailleurs agricoles, des contrôles de la préfecture ont débouché sur trois arrêtés de fermeture entre début mai et fin juin. Marsactu s’est rendu dans plusieurs de ces exploitations pour constater que l’insalubrité y persistait, malgré les contrôles. La promiscuité, le non-raccordement à l’eau potable et des puces de lit font toujours partie du quotidien des travailleurs.
Malgré les contrôles, les logements des travailleurs détachés agricoles restent des taudis
Arrivée à 5 heures du matin, on l’a fait attendre jusqu’à 17 heures dans la cuisine d’un des bungalows, jusqu’à ce que les occupantes précédentes aient quitté le lieu et débarrassé leurs affaires. Tout juste débarquée de son petit appartement de Madrid, Irma, une travailleuse paraguayenne, nous a exposé les conditions d’hébergement dans lesquelles elle s’est retrouvée en arrivant sur l’exploitation de la famille Racamier à Saint-Martin-de-Crau.
Elle raconte par écrit que le bungalow était “très petit”. “Il y a deux chambres pour deux personnes et dans chaque chambre, moins de vingt centimètres entre les deux lits qui font moins de 80 cm de large. Le lit est une civière. La valise ne peut être placée qu’au pied ou sous le lit.” Selon elle, la saleté est omniprésente : “Cet espace n’est pas nettoyé par l’entreprise. Mon matelas était plein de pisse, de taches de sang, de merde. J’ai commencé à nettoyer pour le désinfecter et j’ai mis trois draps dessus pour pouvoir dormir cette nuit !“
Ce lieu d’hébergement a été sanctionnée par la préfecture au début de l’été, mais les conditions semblent n’avoir guère évolué depuis.
Contrairement à ce qu’affirme le gérant de l’exploitation, Patrick Racamier, elle décrit l’absence de clé pour la chambre et le bungalow. Elle déplore aussi l’absence de placards et de moustiquaires. Les rangements se résument à “seulement une sorte d’étagère à deux niveaux pour les deux personnes qui vivent dans la pièce.” Avoir de l’intimité relève de l’impossible : “Il n’y a pas de rideaux et lorsque vous vous changez, vous pouvez tout voir de l’extérieur.” En plein été, la chaleur y est insoutenable, d’autant plus qu’“il n’y a pas de ventilation et il n’y a ni arbres ni ombre et les murs sont en tôle.“
Irma est repartie en Espagne le lendemain de son arrivée, effrayée des conditions d’hébergement dans lesquelles elle allait devoir travailler plusieurs mois. Et elle a déjà dénoncé ces conditions dans un média espagnol. Comme d’autres lieux de ce genre déjà évoqués par Marsactu, ce lieu d’hébergement a été sanctionné par la préfecture au début de l’été, mais les conditions semblent n’avoir guère évolué depuis.
Quatre bungalows fermés
L’EARL Racamier est le plus gros arboriculteur de la Crau : 370 hectares de vergers, 9000 tonnes de pêches et nectarines et 1200 tonnes d’abricots par an. Selon son site internet, l’entreprise emploie jusqu’à 260 personnes en haute saison. Le quartier de la Samatane, où se trouve le siège de l’exploitation, est situé au bord du rond-point qui distribue les véhicules vers Istres, Salon-de-Provence ou Arles. Caché derrière la haie de peupliers, personne ne peut s’imaginer le camp de travailleurs agricoles.
Sur place, il y a les bâtiments administratifs, l’usine de conditionnement de 10 000 m² et les quais d’expédition. À côté de l’usine, en plein cagnard posées sur la terre sèche, des rangées de préfabriqués et de mobil-homes accueillent les travailleurs. La préfecture décrit l’endroit comme “un lieu d’hébergement collectif des travailleurs agricoles constitué de 59 bungalows“, dans l’arrêté de mise en demeure et de fermeture partielle du 10 juin dernier, signé par le préfet Pierre Dartout.
Ceux-ci ont fait l’objet d’une surveillance accrue dans le contexte de crise sanitaire et la découverte de foyers d’infection de Covid-19. De manière plus générale, les conditions d’accueil des travailleurs détachés sont scrutées depuis que Terra Fecundis, l’un des pourvoyeurs principaux de ces travailleurs, est dans le collimateur de la justice.
Lire notre article sur les foyers de covid-19 dans les lieux d’hébergement des travailleurs détachés agricoles.
Le 3 juin dernier, l’inspection du travail se rendait sur les lieux et visitait “une quinzaine de bungalows. Seuls quatre relevant du logement indigne ont fait l’objet d’arrêtés de fermeture“, indique la préfecture. Les inspecteurs des services de l’État ont trouvé des “excréments sur le dessus de la cuvette des toilettes”, des “moisissures” un peu partout et des “dépôts graisseux”. Ils notent aussi de nombreuses anomalies concernant les normes électriques, comme un “domino électrique non protégé contre les risques de contact direct” et “une plaque électrique située à 20 centimètres du robinet d’eau”. Concernant les chambres, les remarques ne sont pas meilleures : “literie présentant des moisissures”, “literie souillée”, “sommier de planche de bois”.
“Ils veulent pas de femme de ménage”
Patrick Racamier, le gérant de l’exploitation a accepté de recevoir Marsactu sur place, lors d’une visite guidée au pas de charge entre les bungalows des travailleurs. Selon lui, ils ont été fermés “parce qu’ils étaient sales. C’était des ouvriers marocains et pas des Terra Fecundis. Bon, les Marocains, vous savez comme ils sont : c’est pas les rois du ménage”, précise l’agriculteur, sans craindre les généralités et les stéréotypes.
Pourtant, au-delà de ces quatre bungalows fermés par l’inspection du travail, les 55 autres préfabriqués auraient pu faire l’objet de contrôles plus méticuleux. “Je dis pas que c’est le Club Med”, reconnaît Patrick Racamier. Des témoignages d’anciens travailleurs encore présents dans les locaux, recueillis il y a quelques jours, faisaient état d’une situation sanitaire toujours déplorable. Si certains locaux sont assez récents et relativement propres, d’autres, plus vétustes, présentent des trous dans les planchers ou des sanitaires plus ou moins propres. Dans le camp, de nombreuses portes d’entrée des logements sont défectueuses. Elles ne ferment que grâce à un parpaing ou une palette. Les pires logements sont ceux numérotés 43 à 53, dans lesquels il n’y a ni cuisine ni sanitaires, juste un frigo, une étagère, une table rudimentaire et deux lits posés à quelques dizaines de centimètres les uns des autres.
Les constats d’infraction donneront lieu à des procédures pénales ou administratives.
La préfecture des Bouches-du-Rhône
Les sanitaires collectifs, toilettes et douches utilisés par les travailleurs les moins bien logés sont sales, d’après les photos prises par des travailleurs. Des douches ont des cloisons moisies. Des flaques, de la boue, un tas d’ordure trainent dans des coins… “Ces sanitaires sont hors service, on nous a cassé la porte, qu’est-ce que vous voulez… Depuis deux ans, nous en avons des nouveaux”, balaye Patrick Racamier. Lors de cette visite des lieux début août, la porte de ces sanitaires était effectivement barrée d’une planche et marquée des lettres “HS” écrites à la craie. Pourtant, selon nos informations, seulement quelques jours avant, les locaux étaient toujours ouverts à l’usage.
Le gérant nous fait visiter une cuisine collective et cinq toilettes dans un état de propreté douteux. Aucune douche ne nous est montrée malgré notre demande de voir tous les sanitaires collectifs. Les éviers sont bouchés, les murs sont sales et les poubelles jetées sous le bungalow. Patrick Racamier ne nous répondra pas sur le nombre de personnes qui utilisent ces sanitaires. Sur la propreté, il explique qu’il a “pas envie de faire le gendarme avec [ses] employés pour qu’ils fassent le ménage”. Pour lui, les travailleurs ne “veulent pas de femme de ménage, car ils ne veulent pas qu’on rentre dans leurs logements !”
“Nous on leur donne du travail !”
Impossible de savoir combien de personnes vivent et travaillent sur place : “Je ne sais pas, ce n’est pas moi qui gère ça. Et puis bon, je les compte pas tous les jours”, balaie Patrick Racamier, gérant de l’exploitation quand on l’interroge à ce sujet. On saura seulement que “50% des personnes qu[‘il] embauche sont employées directement, sans passer par Terra Fecundis. Et ça personne ne le dit !”, s’agace l’agriculteur. Il tient aussi à rappeler son rôle d’employeur massif dans la région :
“Des travailleurs reviennent parfois depuis plus de dix ans. C’est que nos conditions ne doivent pas être si mauvaises que ça. Tous ces gens qui nous critiquent, qu’est-ce qu’ils font pour tout ces gens qui ont besoin de manger, tous ces gens qu’on fait vivre. Nous on leur donne du travail, avec des feuilles de paie à 2200 € net, on respecte les heures supplémentaires, et ça personne ne le souligne ! A part nous dire qu’on les exploite et qu’on les maltraite, qu’on donne du travail, tout le monde oublie de le dire !”
Selon les témoignages de travailleurs, il y aurait en moyenne quatre à cinq personnes par bungalow, pour 59 bungalows, ce qui représente environ 200 personnes. Chaque année, les mobilhomes font l’objet d’une déclaration d’hébergement collectif par l’EARL auprès de la préfecture.
L’exploitant estime que si des contrôles ont eu lieu chez lui, c’est parce qu’il est “le plus gros arbo [arboriculteur, ndlr] de la région“. Il dénonce un acharnement contre Terra Fecundis. Pour lui, les agents de l’inspection du travail font preuve de “mauvaise volonté“ et n’apparaissent que quand il y a “un coup médiatique à faire. Quand on les appelle pour faire des nouveaux logements, pour connaître les normes, y a personne !“, tonne Patrick Racamier, debout au milieu de ses bungalows.
Interrogée sur la situation actuelle dans l’EARL Racamier, la préfecture indique sans plus de détails que “pour les autres [logements], les constats d’infraction donneront lieu à des procédures pénales ou administratives.“
Entre vignes et oliviers, des logements insalubres
Au pied des Alpilles, c’est un autre lieu qui a été visé par un arrêté de fermeture. Cachées au bout d’un long chemin de terre, les grandes bâtisses décrépites du mas du Cast sont cachées entre tournesols et oliviers. Les camionnettes blanches de Terra Fecundis, immatriculées en Espagne, sont garées à l’ombre de grands platanes. Certaines vont et viennent au milieu de travailleurs qui mangent des glaces à l’eau en ce dimanche après-midi, seul jour de repos.
Le lieu, situé sur la commune de Maillane, appartient à Didier Cornille, important exploitant agricole, gérant pas moins de vingt entreprises agricoles et immobilières. Il produit entre autres du vin, des céréales, des melons, des salades et des tomates plein champ à grande échelle.
Ce lieu a fait l’objet d’un arrêté de fermeture signé le 5 mai 2020 par le préfet, suite à une visite de l’inspection du travail le 30 avril 2020, bien avant la découverte des nouveaux clusters le 29 mai. Le document fait état de logements insalubres, du non-raccordement à l’eau potable, de la présence de seulement 9 toilettes pour les 244 personnes que l’entreprise déclare pouvoir héberger sur place et d’absence d’évacuation des eaux usées. Il déplore également la présence de moisissures dans les douches dont il est impossible de régler la température de l’eau et l’espace insuffisant pour garantir les mesures de distanciation sociale préconisées dans le cadre du covid-19.
Le jour du contrôle, 180 travailleurs étaient logés sur place, “à 4 ou 5 personnes par chambre”, confie un travailleur. L’arrêté exige de “limiter dans un délai de 24 heures, le nombre de personnes hébergées à 40″, d’effectuer “le relogement des personnes dans des gîtes, hôtels et campings” ; ainsi que des “travaux de remise en conformité des locaux” sous 15 jours et “des travaux de raccordement à l’eau potable“ sous les deux jours. À cela s’ajoute que, toujours selon l’arrêté, le mas du Cast n’a pas été déclaré comme hébergement collectif auprès de la préfecture.
“Ici, l’eau fait mal au ventre”
Quand nous nous rendons sur place, à la fin juillet, trois mois après la publication de cet arrêté, une quarantaine de personnes vit sur place. Maliens, Sénégalais, Gambiens, Marocains, Équatoriens… Depuis leur mise en quarantaine pendant d’une vingtaine de jours au mois de juin, ils disent n’être que deux par chambre au lieu de 4 à 5 personnes auparavant. Les façades des bâtiments, contre lesquels ils se tiennent à l’ombre en plein après-midi, sont fissurées et des cartons sont placés dans les fenêtres, “pour protéger des moustiques”, précise un travailleur. Les mesures exigées par la préfecture n’ont donc été que partiellement respectées par le propriétaire des lieux.
Pour remplir les bouteilles d’eau, l’encargado [la personne responsable du lieu] tend une bouteille d’eau minérale parce qu’“ici, l’eau fait mal au ventre”, glisse un des travailleurs. En effet, l’eau n’est pas potable. Ce sont eux qui doivent acheter eux-mêmes leur eau le samedi après-midi, lorsqu’ils sont emmenés faire les courses en fourgon, dans les supermarchés de Tarascon ou d’Arles. Une autre personne décrit la présence massive de punaises de lit : “Il y en a beaucoup dans ma chambre. Hier soir, je n’ai pas dormi à cause de ça parce que je me fais piquer tout le temps”. D’autres travailleurs témoignent également de la présence de ces insectes dans les chambres et dans la literie.
Isolés, à plus de 6 kilomètres de Saint-Rémy de Provence et 2,5 kilomètres de Maillane, les travailleurs logés au Mas du Cast racontent ne pas avoir le droit de recevoir des gens sur les lieux d’hébergement et avoir l’interdiction de sortir le dimanche. Le reste de la semaine, ce sont les fourgons de Terra Fecundis qui les emmènent au travail matin et soir.
Selon un document que Marsactu a pu consulter, le lieu appartient à la SCI Mas du Cast et un contrat commercial a été conclu avec l’EARL Mauléon, qui appartient également à Didier Cornille. Il prévoit la location des bâtiments à Terra Fecundis où sont logés les travailleurs qui arrivent d’Espagne. Les 30 chambres sont louées à 180 euros par chambre et par semaine, pour un total de 21 600 euros par mois. Le Mas du Cast est un des cinq lieux d’hébergement collectif que Didier Cornille possède et met à disposition de Terra Fecundis pour y loger ses travailleurs, dont le mas de la Trésorière, situé en Camargue et lui aussi objet d’un arrêté de fermeture.
En termes d’hébergement, Didier Cornille semble pourtant avoir d’autres cordes à son arc. L’EARL Mauléon gère aussi le mas du même nom qui propose des chambres d’hôtes à Tarascon, facturées entre 210 et 285 euros la nuit, pour deux personnes en haute saison. Le site internet promet “prestige et raffinement” dans un “écrin de romantisme” au milieu des vignes et des champs de céréales. Le mas de Rey, domaine viticole réputé de Camargue est aussi une de ses propriétés. Organisateur de stages d’œnologie, de dégustation de vins et de réceptions, il est situé à moins de 500 mètres du mas de la Trésorière. C’est d’ailleurs la secrétaire de ce domaine qui nous informe que Didier Cornille “refuse de répondre aux interviews”.
Relancée après nos visites sur place au sujet d’éventuelles procédures engagées, la préfecture indique avoir effectué “au minimum deux contrôles dans la plupart des lieux d’hébergement cités“, mas du Cast et EARL Racamier. “Après plusieurs contrôles, un procès verbal sera transmis, en septembre, à Monsieur le procureur de la république de Tarascon (qui en a d’ores et déjà été informé) pour les infractions constatées suivantes : le non-respect de la réglementation et le non-respect intégral de l’arrêté préfectoral.” Ces affaires pourraient prendre désormais un tour judiciaire.
Ça paraît incroyable que l’on puisse traiter de façon aussi indigne des salariés. La relation employeur employé passe par un contrat qui ne place pas les uns au-dessus des autres : un travail, un salaire dans des conditions réglementées. L’exploitation des personnes relève d’un temps révolu et j’invite ces patrons à vivre une semaine avec leurs salariés. Une bonne pratique managériale , une forme de séminaire, pour stimuler la motivation. En fait je suis outrée et j’espère que ces patrons là seront sanctionnés comme ils le méritent. Ça en fera sûrement rèflechir d’autres qui ne se sont pas encore fait épingler.
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C’est beau de rêver !
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La belle agriculture française, si vertueuse.
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les salariés Terra Fecundis sont-ils obligés d’être logés là ? ont-ils le choix de s’auto-loger avec 180 ou 200€ ? Les “indépendants” semblent préférer ces logements peu salubres, dans quelle proportion ?
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Entre le faible et le fort la liberté opprime et la loi affranchit. La France reste un État de droit et nous pouvons en être fiers.
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Tout a fait ! C’était le sens de mon commentaire sur l’affaire “Papa Omri.” On peut toujours critiquer l’application parfois un peu trop sélective des lois par la police mais elles font de notre pays un état de droit. Si une loi ne plait pas, ce n’est pas la police qu’il faut critiquer mais la loi et donc interpeller les députés faiseurs de lois.
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