Moteur culturel ou repaire de bobos, à Saint-Henri la Machine pneumatique vit sous pression
Depuis trois ans, l'association La Machine Pneumatique lutte pour se faire une place durable dans la vie culturelle des 15 et 16e arrondissements. L'an dernier, elle a investi le bar Le Régali à Saint-Henri mais peine à trouver le soutien des collectivités locales et des habitants.
Concertation publique à la Machine Pneumatique vendredi 2 juin (photo : Loïs Elziere)
Nous sommes dans le seizième arrondissement de Marseille, traverse Régali, dans le quartier de Saint-Henri. Quelques centaines de mètres au dessus du terminal portuaire de Mourepiane, se trouve un terrain de boules sur une placette bordée de platanes où siège un bar pittoresque. Un décor de film provençal. Robert Guédiguian y a d’ailleurs tourné Rouge Midi en 1985. C’est ici que l’association culturelle La Machine pneumatique a pris ses quartiers en mars 2016, et nommé l’espace Le Régali. Née il y a 3 ans dans le bassin de Séon, l’association a trouvé sa place dans un paysage culturel fragile “C’est une véritable plus-value pour nous sur ce territoire”, raconte Thomas Ghalmi, directeur du centre social du bassin de Séon. On a besoin de structures culturelles de ce type dans les quartiers Nord, parce que c’est un lieu de vie, de proximité, qui parvient à rassembler tous les publics. On en trouve peu par ici.”
Ce vendredi 2 juin au soir, la Machine pneumatique organise une concertation citoyenne qui décidera de son sort. La structure estime avoir accueilli depuis un an plus de 9 000 personnes. Elle propose des concerts gratuits tous les vendredis au Régali et des ateliers pour enfants le dimanche. En plus des rencontres, projections et expos, elle travaille avec les centres sociaux et les écoles du quartier.
“Peut-on construire quelque chose ensemble ?”
Mais depuis son installation dans ce bar de quartier, elle fait face à des obstacles en tous genres. Manque de subvention, problèmes de voisinage, bâtiment délabré. L’équipe est à bout, et la présidente de l’association, Johanne Larrouzé, souhaite savoir si son investissement vaut la peine d’être poursuivi. “Ce n’est pas une réunion de soutien mais de concertation” explique-t-elle à la centaine d’habitants et d’acteurs sociaux-culturels venus débattre. “On souhaite savoir dans quelle mesure vous estimez que la Machine pneumatique est importante pour le territoire et à quel titre ? La fermeture n’est pas une menace, on l’assumera parce qu’on ne veut pas entrer en lutte contre le territoire, mais travailler avec. La question c’est : est-ce qu’on peut construire quelque chose ensemble ?”
Une cohabitation sous tension
Le micro tourne dans le public et relaie des paroles bienveillantes d’usagers applaudies par l’assemblée. Jusqu’à ce qu’une voisine mitoyenne du Régali s’en empare. “Moi, vous risquez de ne pas m’applaudir… C’est bien ce que vous faites ici, mais j’habite à côté, et c’est pas facile tous les jours. Il y a un réel danger dans ce local. La toiture tombe, il y a des infiltrations qui se déversent chez moi. Il y a des progrès sur le tapage nocturne mais
encore trop de débordements. Les gens vomissent et pissent dans la ruelle, c’est pas des choses à faire quand même…” Une autre riveraine rebondit : “Moi aussi je nettoie tout le temps devant ma porte ! Et on ne peut plus se garer devant chez nous les soirs de concerts.” À leur surprise, elles recueillent les applaudissements du public et des membres de l’association pour avoir eu le courage de ce dialogue franc. Un bénévole de la Machine pneumatique rappelle aux usagers de se garer plus bas lorsqu’ils viennent, et de respecter le voisinage. Quant à l’état du bâtiment, l’association est en quête de fonds pour les travaux.
“Ce sont les derniers immigrés !”
Mais les problèmes d’intégration du projet auprès des habitants du quartier semblent plus profonds. Si la majorité des personnes qui se sont déplacées l’ont fait dans un esprit de soutien, au sortir des débats, on apprend que des réactions plus violentes existent. Dégradations, déversement d’ordures sur la placette, insultes, climat de suspicion. Certains y voient l’expression d’un repli communautaire, comme Philippe Summonti, président du CIQ Estaque Plage. “Ce sont les derniers immigrés !”, rit-il en montrant l’équipe de la Machine pneumatique. “Avant, je ne savais pas ce que ça voulait dire un bobo ! Il y a un climat de rejet parce qu’il y a des communautés fortes ici, depuis longtemps. À partir du moment où y a quelque chose qui se passe et que c’est pas nous qui l’avons décidé, on trouve ça pas bien… Alors que c’est très bien ce projet ! Mais le problème, c’est que celle qui le porte n’a pas l’accent d’ici…”, conclut-il ironique.
Originaire du Vaucluse et dépourvue d’accent, Johanne Larrouzé a bien conscience de l’image que renvoient les acteurs culturels lorsqu’ils s’implantent dans les quartiers. “Toute une série de fantasmes nous colle à la peau, il y a un climat de suspicion. On parle de nous comme de nantis, de parachutés, appuyés par les élus qui nous glissent des mallettes… Mais c’est normal de penser ça quand on voit comment fonctionne l’action culturelle à Marseille. Les quartiers Nord ont été une sorte de Graal pour des générations d’artistes. Comme en 2013 quand ils sont allés là-bas avec des moyens pharaoniques pour des projets temporaires, et sont repartis aussi sec après, sans rien modifier durablement. C’est violent. Les gens se sont sentis méprisés, ils en parlent encore. Il faut encore un peu de temps pour qu’ils constatent qu’on est là pour faire un travail durable.”
Lucienne Brun est une figure historique et militante à Saint-Henri. Assise sur sa chaise, sourire en coin, elle assiste silencieuse à la concertation. Elle a écrit des ouvrages sur la mémoire de ce secteur des quartiers Nord. Elle décrit cette situation avec un regard tranchant et malicieux. “L’apport de ces nouveaux-venus est très intéressant pour moi parce qu’ils n’ont pas été dressés tout petits à courber le dos. Pour eux ce n’est pas normal d’être dans un quartier où il n’y a pas de crèches, pas d’écoles, etc. Mais ils arrivent avec leurs certitudes de cultureux et un langage que les gens ne comprennent pas forcément. Les habitants ont vu pousser des projets immobiliers privés partout dans leur quartier et arriver les voitures en masse. L’ancien bar qu’a investi La Machine pneumatique s’appelait le Vincenti, et la place était un parking payant. Ces gens arrivent avec plein d’idées généreuses et disent que ce n’est plus un parking mais un espace public ! Mais ce sont des fous !”
Rôle public pour un lieu privé
Un participant à l’assemblée s’emporte. Il n’est autre que le conseiller municipal et candidat malheureux aux législatives dans la septième circonscription, le communiste Jean-Marc Coppola. “Vous faites l’inverse de la politique locale qui privatise des lieux publics. Vous avez repris un lieu privé et l’avez rendu public. Il faut défendre ça sinon on aura une résidence privée ici !” Car pour faire vivre ce lieu, la Machine pneumatique s’appuie en majorité sur l’autofinancement. Johanne Larrouzé et son mari ont acheté sur leurs propres fonds le bâtiment comprenant le bar et sa licence IV.
L’association s’appuie sur les revenus du débit de boissons, ouvert tous les jours, pour financer ses actions. Il est géré à mi-temps par un emploi aidé, le reste du temps par les bénévoles. Ils sont un trentaine engagés dans la structure culturelle. “Mais la Machine pneumatique c’est un projet d’utilité publique ici, qui mérite des aides publiques”, estime une usagère régulière. De ce côté-là, l’association ne peut compter que sur les aides à l’emploi qu’elle touche pour ses trois animateurs culturels en contrats aidés, et quelques subventions des collectivités locales pour des opérations spécifiques comme des ateliers pour enfants. “Mais elles ne couvrent pas entièrement ces opérations et on doit mettre de notre poche, précise Johanne Larrouzé. Et ça ne concerne pas le fonctionnement de l’association, le cœur du projet, qui comprend bien d’autres activités culturelles dans le quartier.” La présidente estime au final qu’un peu plus de 50% de leur budget provient de l’autofinancement, et le reste est complété par les fonds publics, sur les projets comme sur les emplois.
D’autres aides leur sont allouées par la politique de la ville, pour les travaux notamment, et proviennent donc de l’État et de la Ville. Mais la structure doit trouver des fonds propres pour compléter les subventions publiques, ce qu’elle ne parvient pas à faire. “Ces aides sont donc bloquées pour l’instant, déplore la présidente de l’association. On est en déficit. C’est normal pour une première année, mais on est loin de pouvoir avancer les sommes nécessaires pour pouvoir profiter de l’aide de la politique de la ville.” D’autres demandes d’aides publiques ont donc été déposées au département et à la région pour débloquer la situation, mais sans réponse pour le moment.
Dans l’ombre des législatives
Bien entendu, cet appel à la concertation n’intervient pas à n’importe quel moment. La plupart des candidats au premier tour des législatives a tendu une oreille attentive à la situation, à l’image de Saïd Ahamada, candidat de La République en marche qualifié pour le second tour.
La seule parmi les ex-candidats à réellement pouvoir agir est l’UDI Arlette Fructus qui cumule les casquettes d’adjointe au maire, vice-présidente de la métropole chargée notamment de la politique de la ville et conseillère régionale. Cette dernière confirme d’ailleurs que les subventions accordées au titre de la politique de la Ville ne peuvent pas “être consommées” sans fonds propres conséquents. Mais le territoire est récemment sorti de la géographie prioritaire de la politique de la ville, une partie du débat tourne donc autour de la notion de “droit commun”. Pour Arlette Fructus notamment les collectivités locales doivent venir appuyer “ce type d’initiative qui a un vrai sens dans la vie culturelle de proximité. C’est tout de même une belle existence pour une structure si jeune”.
La promesse de la candidate prend d’ailleurs un tour concret puisque celle-ci a organisé une rencontre, mercredi 14 juin, avec Mandy Graillon, membre du cabinet du président de région chargée de la culture. Mais la réunion de concertation comme cette prochaine rencontre n’ont pas complètement éloigné l’hypothèse d’une fermeture. Pour trouver les 15 000 euros qui leur manquent, l’équipe de la machine pneumatique compte effectuer une levée de fonds et, en parallèle, demander des aides aux différentes directions culturelles des collectivités pour aider au fonctionnement général de la structure. Pour continuer à fonctionner comme un moteur culturel dans le quartier, la Machine pneumatique à besoin de carburant financier, mais pas seulement.
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C’est vrai que parfois on tourne en rond entre le fameux “ILS ne font rien pour nous” et si quelqu’un fait quelque chose “il est pas d’ici” — la culture de l’autoorganisation a tellement régressé… Bon courage à la Machine, pourvu qu’elle trouve un peu d’air pour respirer.
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