Ma fille, son école maternelle, Roselyne et moi

Échappée
le 28 Nov 2020
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C'est une école parmi d'autres à Marseille. Jean-Baptiste Mouttet a franchi le portail en tant que parent d'élèves. Journaliste, il raconte les difficultés quotidiennes, la construction d'une petite équipe décidée à se faire entendre.

La cour d
La cour d'une école, prise à travers le portail. Photo : B.G.

La cour d'une école, prise à travers le portail. Photo : B.G.

Ma fille l’a surnommée Roselyne parce que du haut de ses quatre ans son monde est rose, à paillettes avec des licornes, des copains et des copines. Roselyne, ma fille voudrait bien l’approcher, se demande si “elle est gentille” et peu importe ses moustaches, sa longue queue visqueuse… Roselyne est le nom générique que ma petite a donné à tous les rats qui, en cette rentrée 2020, farfouillent les poubelles à quelques mètres de son école maternelle marseillaise classée REP+. Roselyne ne s’arrête d’ailleurs pas au portail d’entrée et aime bien visiter la cour de récréation.

Je n’ai pas la même empathie que ma fille pour ces rats envahissants. Cette année, je trouverai le temps d’être parent d’élève. Néo-Marseillais depuis quatre ans, j’ai appris à appeler les ATSEM (agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles) “tatas”, à jongler avec les grèves, à comprendre leurs raisons, à accepter d’amener des ramettes de papier à la rentrée, à ne plus espérer que les préfabriqués qui hébergent deux classes soient temporaires…

La ville est pauvre et l’école en pâtit. Je pensais connaître la situation. Mais devenu parents d’élève, je découvre l’ampleur de l’abandon. Le store qui ne s’ouvre plus dans la classe de ma fille est relégué au chapitre des anecdotes.

Peu de “tatas”, plus d’arbre mais des travaux hors de prix

La réalité s’est faite jour lors du premier conseil d’école. Ce 13 octobre, les sept parents d’élèves et les huit enseignants sont assis en demi-cercle face à la directrice et l’adjointe à la mairie de secteur en charge des affaires scolaires. La directrice note dans un sourire la présence de la mairie. Certains parents et enseignantes se réjouissent de la nouvelle. Je croyais que ça allait de soi. Je ne suis qu’un bleu. La précédente équipe municipale ne daignait pas se déplacer dans cette école.

C’est le moment de décrire sans fard la situation. La directrice, énergique, se lance et les enseignants et les parents complètent. On cherche dans des papiers perdus des chiffres pour soutenir le propos. Les difficultés rencontrées s’ajoutent les uns aux autres pour finalement former une montagne.

Aucune Atsem n’est présente lors de la réunion. Elles travaillent. Derrière moi, à quelques mètres, j’aperçois la tunique bleue de l’une d’entre elles.

L’école est en sous-effectif. Le médecin de la PMI [protection maternelle infantile qui dépend du département, ndlr] n’est toujours pas remplacé. Comme dans les autres écoles maternelle de Marseille, il n’y a pas une ATSEM par classe. Elles sont sept pour huit enseignantes. L’appui aux maîtresses n’est d’ailleurs qu’une partie de leur mission auquel s’ajoute le ménage, l’encadrement de la cantine tout en tentant de respecter le lourd protocole sanitaire dû au Covid. L’école bricole. Un poste de “concierge de jour“, c’est-à-dire non logé, doit une heure par jour en classe. Ce n’est pas suffisant. Les absences sont non remplacées, les “tatas” sont régulièrement envoyées dans l’urgence sur des groupes scolaires où les besoins sont encore plus criants. “L’école n’a quasiment jamais été en effectif complet depuis la rentrée“, informe la directrice.

Le 20 novembre est un jour de crise parmi d’autres. Ce jour là, il n’y avait que quatre Atsem. Une des mères présentes, une parent d’élève expérimentée que nous nommerons Marie, tente de savoir à partir de combien d’Atsem absentes la fermeture de l’école est décidée. Elle ne recevra pas de réponses. J’écoute, consterné. Comme un bon journaliste, je prends des notes. Marie, elle, n’apprend rien. Le scénario des années précédentes ne fait que se répéter. Aucune Atsem n’est présente lors de la réunion. Elles travaillent. Derrière moi, à quelques mètres, j’aperçois la tunique bleue de l’une d’entre elles. Elle nettoie les toilettes à quelques mètres alors que nous parlons en son nom.

Vient le chapitre “travaux” et le conseil d’école vire à l’ubuesque. Une porte d’entrée de l’école s’ouvre sans clef. Certains en profitent. De toute façon l’alarme ne fonctionne pas. Sandrine, une autre mère d’élève a récupéré une trottinette et deux draisiennes dans sa résidence.

Des grillages sont éventrés, des marches d’escaliers sont cassées… Les enfants se prennent les pieds dans les trous et bosses qui parsèment la cour de récréation goudronnée. Deux classes sont accueillies dans des préfabriqués alors que les appartements du concierge et du directeur, qui compte plusieurs chambres, sont inoccupés. Marie note que des travaux d’habilitation devaient être entrepris. Ce ne fut pas le cas.

L’absurdité se poursuit. L’école sollicite la construction d’une ombrière. L’an passé, un arbre, le seul qui faisait de l’ombre dans la cour, a été coupé alors qu’il avait seulement été demandé un aménagement pour que les enfants ne se prennent pas les pieds dans les racines. Les travaux, il y en a donc eu.

La représentante de la mairie, élue sur la liste du Printemps marseillais, tient à faire connaître combien ils ont été facturés à la précédente municipalité. “Remplacements des portes d’entrées : 18 000 euros“, “remplacement porte alu suite à un cambriolage : 4800 euros”, “barreaux anti intrusion : 1600 euros“, “extension de l’alarme intrusion : 650 euros” (alarme qui ne fonctionne pas donc). “La mairie ne vérifiait pas les factures“, tente d’expliquer une parent d’élèves. Moi, je me dis que ça mériterait quand même une enquête. Qui sont les entreprises employées ?

“Que pouvons-nous faire, nous, simples parents?”

Je sors du conseil abasourdi. Nos enfants ne sont pourtant pas dans la pire école de Marseille. Nous ne sommes pas les mieux lotis non plus. Bonne nouvelle : les autres parents sont aussi remontés. Parmi les quatorze parents d’élèves, il y a “nous”, les quatre papas bobos, parents des rares blondinettes de la cour. Parfois à côté de la plaque, nous découvrons l’ampleur du chantier. Il y a aussi toutes ces “mamans” qui s’engagent. Celles comme Marie ou Sandrine qui ont l’habitude d’aller chercher leurs droits avec les dents. Sandrine se qualifie elle-même comme la “casse-pied de service“. D’autres doutent. Cette mère s’interroge : “Que pouvons-nous faire, nous, simples parents face à des demandes en mairie concernant les travaux qui durent depuis des années ?” Mais pour leurs enfants, elles tentent le coup.

L’idée de protester en ne mettant pas nos enfants à l’école avec le soutien d’autres écoles a émergé. Jeudi, des parents d’élèves réunis dans un appartement ont voté, quatre pour, quatre contre. Le brainstorming se poursuit donc.

Notre petit groupe est en effet décidé à agir et parvenir à se faire entendre. Se faire entendre… Pas évident pour une école tapie dans un trou aux abords des tours d’une résidence. Au-dessus, il y a ce quartier qui s’accroche à la classe moyenne, en contrebas, un autre qui défend sa dignité. Alors que faire ? Chacun agit avec les compétences qu’il a. Cette maman, sophrologue, donnera des cours aux élèves, ce papa bricolo se propose pour réparer les défauts des bâtiments. La directrice passe une bonne partie de son temps au téléphone et tente de remonter le fil des responsabilités. Des parents l’aident dans sa quête. Moi, je suis journaliste et pas tellement doué de mes mains. J’ai un petit réseau, quelques contacts… Je m’émancipe de ma confortable neutralité professionnelle.  Mais nous voulons tous aller plus loin.

Nous en discutons sur WhatsApp. L’idée de protester en ne mettant pas nos enfants à l’école avec le soutien d’autres écoles a émergé. “Je ne veux pas que l’on soit oubliés, que l’on ne s’intéresse à nous que pendant les élections“, enrage Marie. Je doute de la reprise médiatique. Jeudi, des parents d’élèves réunis dans un appartement ont voté, quatre pour, quatre contre. Le brainstorming se poursuit donc. Un rendez-vous est pris jeudi prochain.

De timides avancées vers une école républicaine

Des coups de fils, un groupe WhatsApp, des coups de main. Tout cela peut paraître dérisoire. Et pourtant… Devant l’entrée de l’école, les années précédentes, dans la foule hétéroclite de parents en survêtements ou chemises pour les employés, peu semblaient se soucier des fermetures improvisées, de ses portes défectueuses, de cette enseignante qui a dû remplacer au pied levé la précédente directrice définitivement absente. Les mauvaises nouvelles étaient accueillies par un haussement d’épaule, avec fatalisme. Les parents étaient seulement mis à contribution pour la tombola.

Aujourd’hui, notre petit groupe tente d’insuffler un élan, encore timide. Nous ne sommes plus des parents isolés, nous sommes en train de devenir une équipe. Sandrine explique l’évolution par des “parents plus impliqués“, “une directrice motivée, qui ne fait pas de cachotteries et expose les problèmes“. La nouvelle mairie ? Peu de parents attendaient quoi que ce soit de Jean-Claude Gaudin et son équipe. Aujourd’hui, il y a l’urgence et les promesses.

Lors du conseil d’école la représentante de la mairie de secteur a rappelé le programme du Printemps marseillais: “Une Atsem par classe dans chaque école maternelle“, évoqué un vaste projet de rénovation, voire de reconstruction. Marie et Sandrine attendent de voir.

Pour le moment, nous nous réjouissons de quelques petites victoires. Cette semaine, un employé de la mairie a entrepris de réparer une porte, le portail et le grillage. Les coups de fils répétés de Sandrine et de la directrice ont eu raison de l’immobilisme de la société immobilière qui gère les résidences toutes proches. Elle a nettoyé les environs des poubelles qui attiraient les rats. Un grillage devraient être mis en place pour éviter le dépôt sauvage.

Cela fait quelques semaines, que ma fille n’a pas vu Roselyne. Il y a quelques jours, en attendant que le portail s’ouvre sur le mercredi, elle dansait avec Ibrahim, qu’elle nomme IbrahimA avec son habitude de forcer l’accent marseillais. Pour ma fille, l’école républicaine est joyeuse, c’est une école rose à paillettes avec des licornes et des copains partout.

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Le week-end, nous publions des échappées. Dans notre boîte à outils commune, cela désigne des articles qui proposent un pas de côté par rapport à l'actualité. Cette fois-ci le pas est double. Le récit que nous publions aujourd'hui est en "je". Notre journaliste, Jean-Baptiste Mouttet, y raconte une aventure très ordinaire, celle de son engagement comme parent d'élève dans l'école maternelle de sa fille. C'est une école comme une autre, inscrite dans le réseau d'éducation prioritaire d'un quartier situé à proximité du centre-ville. Nous avons à dessein maintenu l'anonymat des personnes et des lieux. Ce qui s'y raconte est vécu par des centaines de parents à travers la ville. Et c'est justement cet ordinaire qui raconte la ville et la vie collective que nous avons souhaité mettre en avant.
Jean-Baptiste Mouttet

Commentaires

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  1. Electeur du 4-5 Electeur du 4-5

    Excellent témoignage, merci.

    Choses vécues, connues, tués.
    Probablement moins visibles que dans d’autres quartiers.

    Mais a l’échelle de la ville, concernant les travaux notamment, ce qui est consternant c’est de voir que RIEN, jamais rien n’est correctement fini.

    Les prestataires sont payés (et sûrement grassement), des opérateurs (Telecom, électricité, autres, …) percent des trottoirs et des chaussées qui ne sont jamais rebouches correctement.

    Apparemment dans les services de la ville et de la Métropole (naguère même causes, mêmes effets) il semble que PER-SON-NE ne reçoive jamais la consigne de vérifier un service fait.

    Et depuis des décennies dans cette ville, on fait, on défait, on attend (longtemps), on refait et c’est mal fait etc….

    La situation dans les écoles est surement l’un des pires exemples.

    Mais tout le monde a sa part de démissions : une collectivité qui paie mal et emploie mal, des personnels qui même avec raisons abuse des jours de grève, des parents souvent démissionnaires, des entreprises et des prestataires qui se gavent, etc etc….

    L’initiative courageuse décrite ici est encourageante. La nouvelle équipe municipale est sous contrainte de ses promesses et du poids d’années de gabegie.
    Il lui faut affronter courageusement, et hors joutes politiciennes, les divers facteurs. Y compris les errements de celles ou ceux qui les ont portés au pouvoir municipal.

    C’est par ses habitants, du haut en bas et inversement (décideurs compris), que Marseille doit sortir de la culture du n’importe quoi.

    In fine on a …. Ce qu’on mérite, globalement.

    Merci pour ce témoignage en tout cas.

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  2. toto toto

    Merci pour le témoignage ! Ça fait du bien après les deux précédents articles de votre collègue que je trouvais approximatifs (il n’y a d’ailleurs pas eu de réponse à mes demandes sur les chiffres). Vous devriez aller faire un tour sur le Twitter de ce collectif : https://mobile.twitter.com/collectifcem
    Certains communiqués vous éclaireront sur les raisons de l’état des écoles et sur le manque de moyens en fonctionnement alloués par la nouvelle municipalité.

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  3. Marg Marg

    Merci pour votre témoignage.
    Nouvellement parents déléguée en maternelle, je partage tout a fait votre point de vue et votre inquiétude

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  4. Karo Karo

    Merci pour cet article qui pour moi appelle une suite je pense que nous serons nombreux à attendre un épisode 2,3,4 de vos aventures de parent engagé et démontrant que l action citoyenne est porteuse d espoir et de changement dont nous avons tant besoin….

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  5. Haçaira Haçaira

    J’espère qu’il est jouissif d’être le petit caillou dans la chaussure ! Garder courage, vous allez en avoir besoin.

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