Lourdement déficitaire, le festival international d’art lyrique d’Aix pique une crise

Enquête
le 9 Avr 2024
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Selon des informations recoupées par Marsactu, le festival international d'art lyrique d'Aix-en-Provence doit faire face à un déficit budgétaire de plusieurs millions d'euros. Le ministère de la culture a déclenché une enquête.

Reportage photographique sur les publics lors de la représentation de l’Opéra de Quat’Sous au Théâtre de l’Archevêché le vendredi 14 juillet 2023. Festival d’Aix-en-Provence. (Photo : Vincent-Beaume)
Reportage photographique sur les publics lors de la représentation de l’Opéra de Quat’Sous au Théâtre de l’Archevêché le vendredi 14 juillet 2023. Festival d’Aix-en-Provence. (Photo : Vincent-Beaume)

Reportage photographique sur les publics lors de la représentation de l’Opéra de Quat’Sous au Théâtre de l’Archevêché le vendredi 14 juillet 2023. Festival d’Aix-en-Provence. (Photo : Vincent-Beaume)

Parmi les rendez-vous majeurs de l’agenda culturel du territoire se trouve le festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence. Pour son édition 2023, la 75e depuis la création de l’événement en 1948, 75 000 spectateurs ont assisté aux différents concerts et spectacles d’opéras mêlant grands classiques et créations contemporaines uniques. Mais l’édition 2024, qui se déroulera du 3 au 23 juillet, risque d’être marquée par d’autres faits moins prestigieux. Selon des informations recoupées par Marsactu, les comptes présentent un déficit de plusieurs millions d’euros, au point d’inquiéter les partenaires publics.

Tout avait pourtant bien commencé. Un rapport de la chambre régionale des comptes (CRC), réalisé sur les exercices 2014 à 2020, a été publié le 10 janvier 2024. Les magistrats qualifiaient alors la gestion des comptes par l’association du festival international d’art lyrique (FIAL), structure en charge de l’organisation de l’événement, de “bien maîtrisée”. Ils estimaient également que les équipes de Pierre Audi, arrivé à la direction générale en 2018 en remplacement de Bernard Foccroulle, ont “su gérer, sans trop de difficultés, le passage de la crise sanitaire”. Trois ans plus tard, le constat n’est plus le même.

Plusieurs millions d’euros de pertes

Il y a quelques semaines, les collectivités locales ont été informées que le festival international d’art lyrique d’Aix présentait un déficit budgétaire de plusieurs millions d’euros. Du côté de l’État, qui est le premier financeur du festival, suivi par la Ville d’Aix-en-Provence, la métropole, le département et la région, on ne s’attendait pas à de telles pertes. “Ce sont plus que des petites difficultés : c’est un déficit plus que significatif””, glisse l’un des membres du conseil d’administration, sans vouloir commenter plus avant la profondeur du trou. Les rumeurs vont bon train, tant sur le nombre de millions à éponger que sur les raisons du décrochage, entre le train de vie du festival et les aléas dans la recherche de mécènes.

“La situation financière est tendue”, confirme à Marsactu Stéphanie Deporcq, la directrice administrative et financière de l’association. Cette dernière évoque des difficultés sectorielles, notamment en raison de l’inflation générale et de la guerre en Ukraine, alors qu’à l’affiche se trouvent plusieurs coproductions russes. Mais aussi structurelles, en raison d’un modèle économique très dépendant de la billetterie, alors que les capacités des sites qui accueillent les représentations sont plafonnées, ainsi que des mécènes, dont les dons sont très volatiles et sans visibilité. “Les comptes 2023 ne sont pas encore arrêtés mais nous aurons un déficit sur le budget”, reconnaît ainsi la représentante du festival.

Face à ce déficit, un “audit flash” sur la gestion des finances de l’association a été commandé. Le ministère de la Culture confirme à Marsactu, dans un courriel, ce mardi 9 avril, la “situation déficitaire” du festival et ajoute “qu’une mission a été immédiatement engagée pour analyser la situation et trouver des solutions à très court et moyen terme. Ainsi, avant l’été, le conseil d’administration sera à même de décider du meilleur scénario pour le festival”. “L’enjeu maintenant c’est de trouver des solutions, avance Stéphanie Deporcq. On va faire notre part pour assainir nos comptes.” 

Comme souvent, dans la culture, c’est le modèle économique de ce type de festival qui est interrogé, du fait de l’indispensable soutien des pouvoirs publics pour permettre l’émergence chaque année de créations de niveau mondial. Sur un budget de 28,3 millions d’euros par an en 2023, 9,9 millions proviennent de l’État, des collectivités locales et du Pasino d’Aix, principal partenaire privé. Régulièrement, note la chambre régionale des comptes, “l’État, la métropole AixMarseilleProvence et la Ville d’AixenProvence accordent des subventions exceptionnelles pour équilibrer la gestion du festival, et donc atténuer les déficits constatés“.

Réunion de crise à la drac

Du côté des partenaires, une réunion, à l’initiative de l’État, est organisée ce mardi 9 avril à la DRAC en présence des représentants des collectivités. L’occasion pour les services du ministère de présenter les premières conclusions du rapport, qui devrait être bouclé dans les prochains jours. Cette rencontre doit aussi permettre de faire un “temps d’échange sur l’avenir du festival”. “On est tous d’accord pour dire que le festival est important, mais que la situation est inacceptable”, s’insurge-t-on, parmi les collectivités partenaires. Lors de cet échange, les institutions locales attendent de savoir comment va être compensée la perte financière 2023 et les raisons du décrochage.

“Nous en sommes informés et nous espérons que ce qui est en cours ne nous donnera pas des nouvelles alarmistes”, indique Dominique Augey, l’adjointe aux finances de la Ville d’Aix-en-Provence. Une municipalité où l’on se montre très protecteur envers l’institution. “Nous défendrons toujours ce festival”, clame la maire Sophie Joissains. “Le festival et ses productions ne sont pas menacés”, affirme pour sa part la directrice administratrice et financière. Il faudra tout de même que quelqu’un mette la main au portefeuille.

Modification apportée le 9/04 à 12h30 : ajout de la réponse du ministère de la Culture.

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Commentaires

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  1. PierreLP PierreLP

    Merci à Marsactu de noter que l’on ne dit plus, depuis belle lurette, collectivités locales mais collectivités territoriales !
    A part ça, rappelons que ce festival a été créé après guerre, entre autres,par Lily Pastré

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  2. RML RML

    Oui…et donc? Qu’il ait été créé par Lily Pastré, ca change quoi???

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  3. RML RML

    On note donc :
    – que le trou s’est fait en 3 ans sous la nouvelle direction.
    – que le seul argument qu’on a , ce sont des coproductions avec la Russie. >quel festival européen international crée un partenariat avec la’Russie ces 3 dernieres années????
    – et c’est tout…

    Enfin, là les bras m’en tombent quand même…

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  4. Manipulite Manipulite

    Titre de La Provence du 10 janvier 2024 présentant le rapport de la chambre régionale des comptes : « Festival d’art lyrique, une gestion complexe sans fausse note ».
    Le sujet se prête aux jeux de mots mais quand même !
    Plusieurs millions de déficit constatés en mars 2024 !
    Même présentation lénifiante et tronquée du rapport de la CRC par l’adjointe aux finances de la ville d’Aix en Conseil municipal du 5 avril. Elle a parlé des concerts à écouter sous les étoiles…
    Personne n’a détecté la gravité de la situation ?
    La députée macroniste Petel a jeté un froid salutaire en posant la question qui fâche : déficit, départ volontaire ou forcé du directeur général adjoint, audit d’urgence par le ministère de la culture.
    L’adjointe aux finances a eu beau jouer à la naïve de service.

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  5. Mistral Mistral

    Beaucoup d’argent public pour un festival qui pratique peu la mixité sociale !

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  6. ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

    La CRC a rendu son rapport certes en 2024 mais sur l’exercice 2014-2020.
    Un rapport plus que positif pour une structure culturelle du spectacle vivant : ils ont du déboucher le champagne. Cela doit arriver une fois par siècle, et encore…

    “a su gérer sans trop de difficultés le passage de la crise sanitaire”. Pincez-moi je rêve. Le ministère de la culture et le Centre national de la musique ont largement aidé. Ça aide à gérer sans trop de difficultés.

    Cela fait des années que des co productions avec la Russie se font (du moins jusqu’en 2022), et pas qu’à Aix-en-Provence. Personne de ce petit milieu n’a voulu voir la réalité en face : la mainmise de deux chefs d’orchestre (Valery Gergiev et Teodor Currentzis) très proches de Poutine sur toute la vie musicale russe. Personne n’a voulu voir que ces deux là étaient envoyé de par le monde comme “ambassadeurs” de la glorieuse Russie, y compris sur des théâtre de guerre comme ce grand concert symphonique à Palmyre en 2016. Personne de ce petit milieu ne s’est ému qu’Anna Netrebko, chanteuse mondialement connue, pose tout sourire en 2014 (invasion de la Crimée) avec le leader séparatiste de Donetsk. Tout le monde a fait l’autruche.
    Le mur de la réalité leur est arrivé en pleine face. Bien fait.

    Que dire aussi des choix artistiques depuis 2019 ? Sinon qu’ils ont provoqué une chute de la fréquentation (en 2019 pas de COVID) et des grands donateurs. Pas d’opéra de Mozart en 2019, pour un festival dont Mozart est l’ADN, bien vu. Les mêmes metteurs en scène – de génie certes, mais aussi un génie extrêmement dépensier – réinvités chaque année. Des productions gigantesques d’oeuvres symphoniques (au cas où le répertoire lyrique soit trop réduit) mises en espace dans le bunker abandonné du Stadium de Vitrolles, qu’il a fallu réhabiliter, sécuriser et aménager à grands frais – au cas où il n’existe sur Aix ni théâtres ni Arena.
    Et après une telle gestion financière et artistique en roue libre on s’étonne du déficit. Le COVID n’a fait reculer cette catastrophe annoncée que de 3 ans.

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  7. Alceste. Alceste.

    Dingue d’opéra, Aix était pour moi chaque été un bonheur.
    Mais comme dit plus haut ,Aix sans Mozart……
    Et puis cela devient inabordable et pourtant je ne suis pas défavorisé.
    Heureusement pour ceux qui aiment le répertoire classique, il y a la Roque d ‘Antheron qui est un festival magnifique des décennies
    Moins bling-bling Air repartira ( A la grâce de Dieu)

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