Logements sociaux : la crainte d’une “métropole à plusieurs vitesses”
52 communes des Bouches-du-Rhône n'ont pas rempli leurs objectifs de rattrapage pour atteindre 25 % de logements sociaux en 2025. Si le préfet ne devrait pas sanctionner Marseille ou Aix, où la dynamique est réelle, certains bilans sont faméliques et creusent les disparités entre les territoires.
La résidence Lumière de Provence à La Ciotat (Atelier d'architecture du Midi). Crédit photo : Patrick Berlan / Erilia.
Attention timing explosif. En ce mois de septembre, en pleine campagne des sénatoriales dont les maires sont les principaux électeurs courtisés, le préfet a convoqué 52 communes pour poser un sujet sensible sur la table : le nombre insuffisant de logement sociaux produits sur leur territoire. Un rendez-vous que certains connaissent bien, puisque l’État fait le point tous les trois ans sur le respect des objectifs fixés par la loi (25 % de logements sociaux en 2025, avec un rattrapage progressif). Ainsi, six communes (Allauch, Éguilles, Mimet, Peypin, Simiane-Collongue et Venelles), qui comptent entre 3,5 et 7 % de logements sociaux, ont déjà dû s’acquitter par quatre fois de pénalités financières majorées (voir encadré ci-dessous).
Avant ce couperet de l’arrêté préfectoral de “carence”, cette phase dite “contradictoire” vise à donner la possibilité aux élus de justifier leur bilan et éventuellement de faire état de leurs engagements devant le préfet. Pour certains, la procédure s’arrêtera probablement là. C’est le cas de Marseille, qui a dépassé le volume imposé en nombre (128 %), mais a légèrement traîné sur les catégories destinées aux ménages les plus pauvres (1362 sur 1830 logements dits PLAI, signifiant Prêt locatif aidé d’intégration).
La carte des communes concernées
Les nouveaux face au bilan
Ironie de l’histoire, c’est l’adjoint de Michèle Rubirola délégué au logement, Patrick Amico, qui s’est déplacé pour évoquer le bilan de la majorité Gaudin et livrer sa propre vision. Aix-en-Provence devrait également éviter les sanctions financières, à moins que le préfet se montre tatillon sur le retard de ces mêmes PLAI, un sujet qui avait déjà agité le précédent bilan.
Ailleurs, l’exercice était plus raide. Avec seulement 40 % de l’objectif rempli et un taux 2019 de 5,7 % laissé par son prédécesseur, la nouvelle maire de Cabriès, Amapola Ventron (Génération écologie), a tenté de “montrer patte blanche” sur ses intentions pour limiter les pénalités. Si elle préfère ne pas entrer dans le fond des discussions, dans l’attente de la décision préfectorale, elle dit vouloir sortir du “dénigrement” dont faisaient l’objet les HLM et les intégrer plus largement dans les permis de construire de petites opérations.
Des pénalités et une prise en main possible par le préfetL’ensemble des communes qui ne respectent pas le taux de 25 % subissent un prélèvement sur leur budget, proportionnel à sa richesse et au nombre de logements manquants. Les sommes récoltées sont reversées pour financer des logements très sociaux. Seules les communes “pauvres” qui disposent de plus de 20 % (comme Marseille) sont exonérées. Le montant est aussi plafonné à 5 % du budget.
En cas de carence, la sanction est plus lourde : le prélèvement est souvent doublé, voire multiplié par cinq et peut aller jusqu’à 7,5 % du budget. Ainsi pour une commune comme Carry-le-Rouet, un peu plus de 6000 habitants et 46 logements sociaux, cela représentait en 2016 : 370 510 euros. Mais les dépenses d’achat de terrains ou de logements sociaux sont déductibles et elle n’a ainsi rien versé.
Carnoux, Ceyreste, bilan zéro
Les fameux héros du quotidien, les aides-soignants, comment se logent-ils dans le pays d’Aix ?
Florent Houdmon, directeur régional de la fondation Abbé-Pierre
Pour Florent Houdmon, directeur régional de la Fondation Abbé-Pierre, invité à participer aux discussions, le bilan 2017-2019 est encore trop faible : “Nous déplorons qu’autant de maires n’aient montré aucune volonté de respecter leurs objectifs, d’autant plus que des permis de construire ont été délivrés dans cette période.” À titre d’illustration, il cite Carnoux et Ceyreste, qui n’ont autorisé aucun logement social. Mais aussi Eyguières et Sausset qui n’en a autorisé respectivement qu’un seul et sept. Lors de la précédente période, 24 communes avaient finalement été jugées suffisamment récalcitrantes pour justifier des sanctions.
“Cela aggrave l’écart, car d’autres communes ont produit et portent seules le poids de la solidarité. Nous allons vers une métropole à deux ou trois vitesses”, s’inquiète-t-il. Trois vitesses, car l’organisme de lutte contre le mal-logement constate un début de dynamique dans certains territoires. C’est le “bilan limité” qu’il tire des contrats de mixité sociale. Ces contrats promus par le gouvernement depuis 2016 consistent à négocier à la baisse les objectifs en échange d’engagements concrets. “Cela a fonctionné quand il y avait une volonté municipale. En revanche, c’était une erreur de croire que cela contraindrait les maires récalcitrants”. Heureusement, au-delà des instruments réglementaires ou politique, “certains maires ont bien compris le besoin. Les fameux héros du quotidien, les aides-soignants, comment se logent-ils dans le pays d’Aix ?”
“Un exceptionnalisme” du territoire
“Je ne connais pas un maire qui n’aie pas régulièrement dans ses permanences des gens qui ont des problèmes pour se loger, reconnaît Lionel Royer-Perreaut, vice-président délégué au logement du conseil de territoire Marseille-Provence, une subdivision de la métropole dont 15 des 18 communes ont été convoquées par le préfet. La question que l’on doit se poser, c’est pourquoi ont-ils ces réticences ?” Élections sénatoriales ou pas, pour lui, la responsabilité est celle de l’État : “Loi après loi, les maires finissent par perdre la maîtrise des équilibres sociaux et de la politique de peuplement.” Ce dernier terme, complexe et à plusieurs sens, peut se résumer ainsi : qui va s’installer dans ces logements ? Parmi les points de crispation récurrents, la part réservée par l’État dans chaque programme pour la mise en œuvre du droit au logement opposable (DALO), dont bénéficient les personnes les plus en difficulté.
Avec le recul national qu’offre sa structure, Florent Houdmon tient toutefois à souligner “l’exceptionnalisme” de la métropole Aix-Marseille Provence, partagé avec “une partie de l’Île-de-France et de la région Provence Alpes Côte d’Azur. Et encore, Nice a fait beaucoup mieux. Avec cette loi, on a vu des territoires se rééquilibrer.” Pour aggraver ses inquiétudes, “la métropole ne dispose toujours pas de programme local de l’habitat (PLH)”. Ce document, qui devait poser la stratégie et les objectifs du territoire entre 2020 et 2025 a été stoppé net en 2019, sous la présidence de Martine Vassal (LR) et sous l’impulsion principalement de maires du pays d’Aix et du pays salonais. Car si les maires sont en première ligne des sanctions et gardent la main sur les permis de construire, l’essentiel de la politique du logement est désormais gérée au niveau intercommunal.
Les maires en PLS
Fraîchement nommé, le vice-président de la métropole Frédéric Guinieri veut relancer les négociations avec les maires.
“Cela fait partie des documents dont on va devoir se doter, mais on peut faire des choses sans, Marseille le prouve”, note Lionel Royer-Perreaut. Avec sa casquette de président de 13 habitat, le bailleur social du département des Bouches-du-Rhône, il promeut une approche par la “relation de confiance. Quant on fait un programme à Gémenos [5,3 % de logements sociaux en 2019, dont le maire Roland Giberti est président du conseil de territoire, ndlr], on est là pour expliquer, rassurer, les élus mais aussi les voisins.”
Quant au PLH, après le gel pré-électoral, le nouvel exécutif métropolitain se dit déterminé à le remettre en route. Dans un entretien accordé au Moniteur, le vice-président Frédéric Guinieri en fait sa “première urgence”, avec l’espoir “qu’un vrai débat s’instaure entre les maires pour aboutir à un pacte de non-agression. Produire du logement, dans toutes ses composantes, est une obligation républicaine.” Au passage, il pose quelques exigences, comme celle d’aller vers plus de PLAI – les logements aux loyers bas évoqués plus haut – plutôt que PLS (prêts locatifs sociaux), moins accessibles. “Cela ne répond pas à la demande ni à la situation économique des ménages”, constate l’élu dans Le Moniteur.
Lionel Royer-Perreaut ne le nie pas, le PLS fait partie des “stratégies d’évitement” des maires, passé le refus pur et simple de construire du logement social. Ou alors, l’État fixant désormais aussi des objectifs sur le niveau de loyer, “on fait des petits PLAI, pour éviter les grandes familles à problèmes”. Pas sûr en effet que le préfet aille jusqu’à comparer le nombre de studios et de T5.
Commentaires
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à mimet toujours le refus de voir des locataires-sociaux – des gueux ? alors provocation ou mépris la commune a fait même pas une dizaine de tout petits logements qui restent vacants parfois plus d’un an et en plus il serit question maintenant d’indire le stationnement des camping car – il y en a un !!
mimet toujours aussi humain
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Cette métropole a deux vitesses n’est pas une crainte mais une réalité depuis des lustres. Volonté des maires et des habitants des communes aisées.
Cristiani leader de ce mouvement anti métropole, autrement dit je ne veux pas casquer pour Marseille et ses pauvres , se distingue dans cette pratique anti sociale..
À part cela, beau parleur, toujours très bien coiffé, cumulé les fonctions et les revenus avec. En résumé un élu du coin
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Que risque un élu qui refuse d’appliquer la loi ? rien
Que risque un citoyen dont les élus refusent d’appliquer la loi ? de voir une partie de ses impôts détournés pou payer des pénalités
Que risque un citoyen qui refuse d’appliquer la loi ? je vous laisse compléter
Les élus se prennent de plus en plus pour des chefs d’entreprise ils devraient comme tout PDG être responsable sur leurs deniers personnels
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La plupart des chefs d’entreprise ne sont pas du tout responsables sur leurs deniers personnels, tant sont nombreuses les astuces légales pour l’éviter… sans compter la fraude fiscale. D’ailleurs certains élus savent très bien faire ça, par exemple certains adjoints de la majorité sortante à Marseille. Tout en voulant légiférer contre les abus de prestations sociales.
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Où donc habitent élus et maires adjoint.e.s.??
Le niveaux d’existence
implique
le niveaux de conscience !
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Je note une certaine distorsion entre l’affichage ad nauseum “merci aux soignants” et la proportion de logements sociaux dans beaucoup de communes ; je propose donc à la municipalité des Pennes-Mirabeau (entre autres) un affichage “merci aux soignants à plus de 4000 € mensuels”.
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Le racisme latent (ou pas latent du tout, d’ailleurs, selon des déclarations publiques) d’un certain nombre d’élus locaux les amène à se tromper de cible, tant ils sont peu malins. Non seulement ils exposent leur commune à payer des pénalités aux frais de leurs administrés, mais ils interdisent aussi aux enfants de leurs propres électeurs de se loger. C’est assez peu fréquent, les jeunes qui démarrent dans la vie avec immédiatement les moyens de se loger dans des quartiers ou des villages huppés.
La métropole “à plusieurs vitesses”, elle existe déjà, ce n’est pas une “crainte” : elle existe dans la tête de ces élus qui ne travaillent pas pour l’intérêt général, pour la République dans le sens étymologique de ce mot, mais pour des intérêts catégoriels. La non-application de la loi de la République ne devrait pas seulement entraîner une pénalité payée, en dernier ressort, par tous les contribuables, mais aussi, si rien n’est mis en oeuvre pour revenir sur les rails, l’inéligibilité des individus qui croient pouvoir la bafouer.
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Tout a fait d’accord. J’ajouterai cependant que le “racisme latent” de ces élus est en fait celui de ceux qui votent pour eux. Les élus ne sont pas hors sols, ils représentent leur population (fort heureusement). Que ce soit à Allauch, Plan-du-Cuques, les Pennes Mirabeau etc., les habitant savent très bien ce qui se joue. Il savent qu’une partie des impôts sert à payer des pénalités. Ils savent que le risque à long terme, c’est que leurs enfants galèrent à se loger sur la commune, etc. Mais ils sont animés par la doctrine “pas de ça chez nous”, quitte à en payer le prix fort. Eux ils ont totalement assimilé le concept de la société à 2 vitesses, et ils font le nécessaire pour être en haut du panier. C’est triste mais c’est comme ça.
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ce qui me sidère c’est la position de l’Etat via le préfet qui négocie depuis quand négocie-t-on l’application d’une loi pourquoi pas une clause de conscience ?
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Merci pour l’article et la carte ! Est-ce que vous savez si pour Marseille on voit également un début de rééquilibrage par arrondissement sur ces trois dernières années (PLS/PLUS/PLAI confondus) ?
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Bonjour,
ces bilans ne sont pas réalisés par arrondissement pour l’application de la loi SRU et je ne dispose par ailleurs que du taux 2018.
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Ne risque-t-on pas en construisant des logements sociaux dans les « banlieues rouges », selon la carte, de priver de revenus les propriétaires habitants ces banlieues ? Ne faut-il pas craindre qu’ils ne puissent plus « donner en location » ,en échange d’un pognon de dingue, les logements insalubres, dont ils sont propriétaires, dans les « villes où banlieues vertes » figurant sur la carte ? Tout en sachant que faute de logements sociaux, en nombre suffisant certain de ces « malheureux » propriétaires, sont certains de percevoir au moins une partie de leur loyer grâce au paiement direct de l’APL par la CAF qui regarde ailleurs !
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“politique de peuplement”: expression qui sent l’administration coloniale.
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La loi SRU a, en effet, était totalement vidée de son sens (rappelons que c’est le « S » de Solidarité), dès la mise en place des pénalités. Ceux qui peuvent payer restent dans leur « vase clos » et s’exonèrent de la participation à l’effort commun.
Ceci dit, pas mal de communes en rouge sont des « cités dortoirs » qui offrent peu d’emplois à proximité des lieux de résidence (à part Ceyreste où une part importante de la population travaille à La Ciotat, et Gémenos avec son technopôle). Dès lors, il devient difficile pour des ménages modestes de financer les coûts de transport importants. De Rognes, beaucoup se déplacent vers Aix les Milles ou vers l’étang de Berre voire vers Fos.
On paie donc aujourd’hui un urbanisme anarchique commencé dans les années 60 sans réelle politique territoriale globalisée. Si la commune reste un échelon de proximité indispensable aux liens sociaux, l’Etat doit assurer son rôle de coordonnateur lors qu’il s’agit d’organiser la vie des citoyens.
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bonsoir,
merci pour l’article, super intéressant !
pourquoi certaines communes ne sont pas renseignées sur la carte, celles en blanc comme Vitrolles ou Gardanne ?
Merci merci
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