Les très chers et trop nombreux conseillers de Muselier et Estrosi à la région

Info Marsactu
le 7 Oct 2020
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En inspectant la gestion de la région, la chambre régionale des comptes a mis au jour la situation particulière du cabinet de l'actuel président marseillais et de son prédécesseur niçois. Les collaborateurs y perçoivent des salaires particulièrement élevés et sont plus nombreux que ce que la loi permet. Ces découvertes pourraient avoir des conséquences pénales.

Renaud Muselier et Christian Estrosi en juin 2018. (Image LC)
Renaud Muselier et Christian Estrosi en juin 2018. (Image LC)

Renaud Muselier et Christian Estrosi en juin 2018. (Image LC)

C’est une affaire très embarrassante à quelques mois des élections régionales. Christian Estrosi et Renaud Muselier, les deux présidents LR qui se sont succédé depuis 2015, sont accusés d’avoir utilisé l’argent de la région afin de rémunérer un nombre trop élevé de collaborateurs de cabinet. C’est ce qui ressort d’un rapport de la chambre régionale des comptes (CRC), encore confidentiel, que Marsactu s’est procuré. Les magistrats financiers ont retrouvé “au moins neuf” membres de cabinet dont les fonctions ont été déguisées en postes de “chargés de mission” dans les services de la région par les deux présidents successifs.

Dans une collectivité, les emplois du cabinet s’opposent à ceux de fonctionnaires par leur caractère politique : ils tirent leur légitimité de la confiance accordée par les élus aux conseillers qu’ils ont choisi. Ils sont au service de l’élu et leur mission s’achève avec celle de ceux qui les ont recrutés. En faisant faisant passer leurs conseillers pour des chargés de mission, les deux présidents ont pu éviter d’atteindre la limite de 14 collaborateurs fixée par la loi, en restant officiellement à 13. Alors qu’une comptabilité honnête les aurait conduits à dépasser a minima la vingtaine. La CRC y voit “un détournement de procédure permettant de s’affranchir dans les faits de la limitation du nombre de collaborateurs”. La région se refuse à tout commentaire avant la présentation du rapport de la CRC en assemblée plénière vendredi 9 octobre.

Pécresse et Wauquiez inquiétés par la justice sur la même base

L’affaire, si elle peut paraître technique est en réalité grave. D’autres chambres régionales des comptes ont déjà procédé au même examen sur leurs territoires respectifs. Et leur travail a débouché au moins deux fois sur des signalements au procureur de la République. Le parquet national financier a ainsi ouvert une enquête sur des postes de chargés de mission de Laurent Wauquiez à la région Auvergne-Rhône-Alpes. Dans une autre procédure ayant suivi le même chemin et pilotée par le parquet de Paris, la brigade financière a perquisitionné fin septembre les bureaux de la région Ile-de-France dirigée par Valérie Pécresse. La qualification retenue est à chaque fois celle de “détournement de fonds publics”.

La région Provence-Alpes-Côte d’Azur pourrait être mise au même régime, quand bien même elle a depuis les premières observations provisoires, mis fin à la situation. “Au début de l’année 2020, soit leurs contrats ont pris fin, soit ils ont été repositionnés dans des services en fonction de leurs compétences”, assure-t-on dans les couloirs du conseil régional. Mais cette même source indique : “La région Île-de-France avait fait la même chose, je crois, et ça n’a pas empêché les perquisitions. On verra bien. Si des erreurs ont été faites, on les assumera.”

La chambre régionale des comptes s’appuie sur des éléments de preuve simples mais solides : les contrats de travail. Ces neuf emplois correspondent bien à des postes de cabinet, estime-t-elle. “Ils sont en réalité placés auprès de vice-présidents ou d’élus délégués, peut-on lire dans le rapport. Leur contrat […] indique explicitement que l’agent est recruté « pour exercer les fonctions de chargé de mission afin d’assister quotidiennement le vice-président en charge de […] ».” La chambre estime que, même placés auprès de vice-présidents, ces conseillers relevaient du cabinet du président.

Des contrats “fictifs” pour deux collaborateurs d’Estrosi ?

En plus d’en avoir trop, la chambre régionale des comptes estime que ceux qui sont en poste ont été particulièrement bien lotis. À la lecture des rémunérations, les magistrats financiers, tels des personnages de Tex Avery, ont vu leur yeux sortir de leur logement. Ils notent à plusieurs reprises le “caractère exorbitant” des salaires versés et même deux contrats de trois mois “fictifs” octroyés à des collaborateurs de Christian Estrosi sur le départ.

Sur ce point, les personnes visées ont été recrutées par l’actuel maire de Nice. Ceci s’explique en partie par le fait que l’examen se concentre sur les exercices 2015 à 2018, Christian Estrosi ayant présidé le conseil régional de décembre 2015 à mai 2017. Les deux contrats de trois mois jugés “fictifs” visent son directeur de cabinet et son adjoint. Tous deux ont continué à être rémunérés par la région jusqu’en août 2017 sans justification apparente.

Directeur de cabinet, Sylvain Roques est devenu à la démission de son patron en mai 2017 et pendant trois mois “directeur de projets” rémunéré 10 028 euros bruts mensuels. Une rémunération “exorbitante du droit commun”, note la CRC. Les magistrats ne semblent pas croire au “surcroît d’activité” qui justifierait une telle embauche soudaine, qui courait essentiellement sur la période estivale. En parallèle, face a ce même prétendu surcroît d’activité, son adjoint Vincent Parra a bénéficié du même régime de faveur. Pour 1000 euros bruts de moins chaque mois que son patron, lui aussi a été nommé “directeur de projets”.

Sur sa fiche Linkedin, Sylvain Roques lui-même ne fait pas état de ce passage comme “directeur de projets”. Il note au contraire être resté directeur de cabinet jusqu’à août 2017, incluant ainsi sa mission estivale, avant d’être embauché à la métropole de Bordeaux. Contacté, il n’a pas répondu à notre sollicitation dans le temps imparti à la publication de cet article.

capture d’écran du profil Linkedin de Sylvain Roques

Vincent Parra que nous avons pu joindre n’a pas souhaité faire de commentaires, laissant à son ancien employeur le soin de le faire. Dans sa réponse écrite à la CRC, la région a justifié ces contrats par une logique de tuilage entre les deux présidences.

“Si le Président Muselier a souhaité constituer son propre cabinet, il a également tenu à organiser une continuité de travail entre les deux équipes du cabinet. Il a ainsi permis à ces deux agents de contribuer activement à assurer la continuité des relations entre le politique et l’administration lors de cette période de changement.”

Les salaires “exorbitants”

Les niveaux de rémunération de ces missions douteuses correspondaient peu ou prou à leur rémunération au cabinet. Elles dépassaient ainsi allègrement les quelque 5600 euros perçus par le président de région pour ses fonctions. Leurs collègues bénéficiaient eux aussi d’un traitement conséquent. Cela n’est pas illégal en soi, rappelle la chambre, qui note que la rémunération des membres de cabinet est seulement plafonnée à 90 % du salaire du directeur général des services. Mais plusieurs embauches effectuées par Christian Estrosi et certaines évolutions de carrière lui paraissent généreuses dans leurs conditions.

De conseillère culture à directrice adjointe de cabinet, Mandy Graillon – aujourd’hui adjointe au maire d’Arles – a ainsi été recrutée 3400 euros nets en janvier 2016 pour atteindre 7200 euros nets au 1er septembre 2018. Ce dernier contrat avait fait tiquer jusqu’à la préfecture. “Le contrôle de légalité n’a ainsi pas donné suite à sa lettre d’observation après la réponse de la région”, se félicite la collectivité dans sa réponse. Comprendre : le préfet n’a pas saisi le tribunal administratif pour casser le contrat.

Pierre-Louis Cros, désormais membre du cabinet de la ministre déléguée Brigitte Klinkert après s’être présenté sous les couleurs de LREM aux municipales à Marseille, faisait aussi partie des conseillers du président de région. Le jeune homme de 27 ans, quatre de moins que Mandy Graillon, est passé en deux ans de 2500 nets pour un mi-temps à 5500 euros nets à temps plein. “Aucun critère légal de statut, de diplôme, d’âge ou de qualifications professionnelles, n’existe à ce jour pour les membres du cabinet d’un exécutif territorial, s’est défendue la région. Par ailleurs, les recrutements et les évolutions salariales ont été effectués dans le cadre d’un juste respect de [la loi] et en toute transparence.”

Enfin, le directeur de cabinet lui-même, Jean-Philippe Ansaldi, est mis sur le gril par les magistrats financiers. Ce n’est pas la rémunération de ce collaborateur expérimenté qui est mise en cause mais l’embauche de son fils comme community manager de la collectivité. “La déclaration d’emploi a été faite le 30 janvier 2018 avec une publicité faite début février soit postérieurement à la prise d’effet du contrat [le 1er février]”, note la chambre. Ainsi, le jeune homme, diplômé en communication, aurait été seul au courant de l’existence d’un tel poste alors que la règle dans la fonction publique veut qu’on le fasse savoir. Ce CDD de six mois débouche sur un autre de trois ans, avec cette fois, une procédure formelle. Mais, entre-temps, le fils du directeur de cabinet partait incontestablement avec un coup d’avance. Son contrat arrivera à échéance à l’été 2021. À cette date, nul ne sait si ses bonnes fées seront encore aux affaires.

Actualisation à 8 h : Pierre-Louis Cros travaillle désormais au cabinet de la ministre déléguée à l’insertion Brigitte Klinkert et non de sa ministre de tutelle Elisabeth Borne, comme écrit précédemment.

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Commentaires

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  1. Alceste. Alceste.

    “Le choix de l’honnêteté ” c’est le slogan de la droite départementale lors de l’une des dernières élections et nos amis Muselier et Estrosi en bien sûr faisaient partie.
    Comediante,Tragediante.

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  2. corsaire vert corsaire vert

    voilà qui devrait faire plaisir aux chômeurs en fin de droits et aux smicards !
    Détourner ainsi les fonds publics ne sera t il donc jamais puni ? La France vote toujours pour la bande de pillards la plus zélée…bê bê bê ….
    Aucune illusion à se faire sur le “destin “de ce rapport !

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      La droite qui dénonce avec constance “le cancer de l’assistanat” sait se servir : “l’assistanat” ne la dérange pas trop quand il s’agit de caser des copains et de remplir leur portefeuille.

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  3. Tarama Tarama

    Ces gens se gavent sur l’argent public et arrosent famille, amis, liaisons tout en disant que l’on dépense toujours trop pour ceux qui en ont vraiment besoin.. écoeurant (comme d’habitude).

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  4. barbapapa barbapapa

    Ce qui pourrait s’appeler tremper son museau dans l’auge de l’argent public… ça mérite pan pan sur le groin

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  5. Dark Vador Dark Vador

    “Si des erreurs ont été faites, on les assumera”… “On”?? Le contribuable évidemment, aucun Euro ne sortira de la poche de ces princes qui nous gouvernent si mal en toute malhonnêteté 😒😒😒

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    • ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

      C’est beau comme du Gaudin

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  6. vékiya vékiya

    il faut bien faire manger les amis et pallier au néant de nos deux cerveaux locaux.

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    • BRASILIA8 BRASILIA8

      apparemment pour les cerveaux il va falloir beaucoup d’autres conseillers payés encore plus cher

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    • Simon BECHELEN Simon BECHELEN

      Si encore les conseillers étaient brillants 😀
      J’en doute malheureusement.

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  7. BRASILIA8 BRASILIA8

    d’où la nécessité d’avoir beaucoup !
    il y en un même un, Louis Cros,qui est désormais membre du cabinet d’une ministre déléguée

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    • Lecteur Electeur Lecteur Electeur

      Macron protège ces soi disant “Républicains” puisqu’on en retrouve dans des cabinets ministériels de son gouvernement., C’est cela la “République en marche”.

      Plus la République est absente plus ils se gargarisent avec ce mot.

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  8. PromeneurIndigné PromeneurIndigné

    Bel exemple des dégâts collatéraux de la décentralisation, qui a consacré en moins de 40 ans le retour des féodaux dont la France avait mis plus de 10 siècles à se débarrasser. Feu Maurras, «Penseur» du royalisme ainsi que de l’antisémitisme État Avait rêve du retour aux provinces de l’ancien régime, dans les années 30. Élu Président de la République Mitterrand, le franciscain, proche de l’action française dans les mêmes années 30 avait exaucé ce rêve. Gaston Defferre, s’était dépêché, de faire adopter une législation ,qui au nom du principe de la libre administration des collectivités territoriales, rendait quasiment inopérant le contrôle de la légalité de leurs décisions par les préfectures. Dans ce cadre e clientélisme a pu prospérer Exemple : les effectifs de la fonction publique territoriale ont été multipliés par quatre en moins de 40 ans, passant de 500 000 environ à près de 2 millions d’agents. Une partie d’entre eux est rémunérée sur le budget de l’État, grâce à la dotation globale de fonctionnement. On est en droit de penser que cet argent de l’État aurait mieux été utilisé pour renforcer le personnel hospitalier, enseignant, judiciaire, de police, plutôt que de les « Contraindre » selon le terme consacré On a laissé prospérer les pléthoriques cabinets, secrétariats, service d’accueil, Parc automobile avec chauffeur, huissiers, plantons , chargés communication, qui font doublon parfois avec ceux chargés des relations avec la presse etc. etc. Ce genre d’enterrement concernant principalement certains« Grands » maires,, présidents d’intercommunalités, de conseils départementaux, régionaux, métropolitains etc. sans parler des institutions qui en dépendent : Centre De Gestion d OPAC , SIVOM, et autres organismes parapublics.
    Désormais le pli est pris on parle non plus des circonscriptions de nos « grands élus » mais de «leur »fief, de» leur» territoire, de «leur» ville.
    Et quand ça va mal c’est toujours la faute de l’État.

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  9. Karo Karo

    Petit bémol au commentaire si dessus les effectifs de la territoriale ont augmenté proportionnellement au transfert des personnels de l’état : cf le personnel administratif des collèges et lycées maintenant gérés par les départements et les régions et non l éducation nationale !
    Regardons plutôt le ratio fonctionnaires Etat et Territoriale/ population sur les 20 dernières années !

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  10. FromNow FromNow

    Mandy la cruche (une évidence pour qui l’a rencontré ne serait-ce que 10 minutes) et Pierre-Loulou son ex compagnon, qui depuis a viré sa cutie et a changé de bord, pas que politique… unis dans la magouille

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    • Manipulite Manipulite

      Exact ; Mandy la cruche,cette incompétente notoire avait le pouvoir (méchant) de trancher sur des dossiers auxquels elle ne connaissait strictement rien. Avec en ligne de mire la préparation des municipales d’Arles tout en étant au cabinet de Muselier et recrutée par Estrosi à l’origine.

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  11. kukulkan kukulkan

    une honte !!! comment peut-on accepter cela ?

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  12. Zumbi Zumbi

    Constante de ces libéraux qui n’ont de cesse de dénoncer l’État, source de tous les maux : il faut casser les statuts et les règles encadrant l’embauche et les rémunérations des personnels, au profit d’un halo indistinct de contrats à la tête du client ( ils appellent ça “gestion qualitative fine” parfois). Le seul résultat connu est la fragilisation des missions fondamentales assurée par d’innombrables précaires, et aux sommets des pyramides la prolifération des “conseillers” et autres “consultants” qui se gavent sur la bête publique tandis qu’une mince couché de “grands” élus cumule une kyrielle de “présidences” rémunérées.
    En ce sens quelques décennies de libéralisme ont le même résultat sur l’administration publique que l’immobilisme du déclin de l’URSS : la reproduction de la nomenklatura et l’annonce périodique de vastes projets dont on ne vérifie jamais les résultats. Quant à la corruption…

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  13. Alceste. Alceste.

    “Les gras , les riches de Marseille ne sont ni généreux, ni attentifs au talent , bien moins encore au génie”; “Il faut bien l’avouer la vie de l’esprit est étrangère à cette forte ville”; “Ici , tout manifeste les hasards et les violences de l’argent. Le drame ne se joue pas derrière le rideau, il perce les coulisses de Marseille, il les jette sur la rampe”.
    Voilà rien ne change dans cette ville , rien n’évolue. Les acteurs du passé sont les mêmes qu’aujourd’hui.
    Ces quelques mots tirés de MARSIHO ( André Suarès) écrit en 1931 pourraient êtres écrits dans les mêmes termes sur les mêmes gens en 2020 . Nos “élites” se servent et le font bien . Cette histoire d’emplois déguisés est symptomatique de la mentalité de ces dernières. Leur devise n’est pas “Liberté, Egalité, Fraternité” mais “Ritatem te ad nauseam” ( se goinfrer jusqu’à la nausée)

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    • Alceste. Alceste.

      Deontologie dites vous ?.
      Vous parlez de ces personnes sourdes, aveugles et muettes qui sont censées examiner les pratiques des politiques locaux ainsi que leurs conflits d’intérêts possibles.

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  14. Elric Menescire Elric Menescire

    Il faut que l’affaire soit jugée,et que les arroseurs finissent arrosés.

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  15. Manipulite Manipulite

    Dommage que cet article d’utilité publique soit relégué au fin fond des pages de Marsactu et devient difficile à trouver !

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