Un cours de langue géant pour exiger l’accès au “français pour tous”

Décryptage
le 21 Sep 2017
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Avec l'arrêt définitif d'un dispositif d'apprentissage des savoirs de base, les ETAPS, fin août, la région PACA a amorcé un virage qui laisse les organismes de formation dans le désarroi. Les professionnels s'inquiètent notamment pour les publics illettrés et étrangers.

Un cours de langue géant pour exiger l’accès au “français pour tous”
Un cours de langue géant pour exiger l’accès au “français pour tous”

Un cours de langue géant pour exiger l’accès au “français pour tous”

Un cours de français géant, en plein air. C’était le pari réussi de plusieurs associations qui ont installé bancs et tableaux, mercredi en fin d’après-midi sur le haut de la Canebière, pour plusieurs séances improvisées de cours de langue. Néo-arrivants, demandeurs d’asile ou étrangers présents sur le territoire depuis longtemps, des dizaines de personnes se sont prêtées au jeu sous le regard des passants. Un happening qui, s’il a permis à plusieurs personnes de découvrir par exemple les rudiments de la conjugaison du verbe être, était avant tout un cri d’alerte de la part des associations d’aide aux migrants, mais aussi des professionnels de la formation en langue.

“Ce qui nous rassemble, c’est la revendication du français pour tous, sans condition, et gratuit”, explique Jean-Louis Roux, professeur à la retraite et bénévole pour le collectif Migrants 13. Pour ces acteurs militants, parmi lesquels se trouvent aussi bien des associations de défense des étrangers que de lutte contre l’illettrisme, les sujets d’inquiétude portent à la fois sur les formations accordées par l’État aux réfugiés statutaires “avec des exigences toujours plus fortes mais des moyens qui ne cessent de diminuer”, mais aussi sur la disparition du dispositif régional ETAPS, qui a définitivement tiré sa révérence le 31 août dernier. Des modules de formation aux premiers savoirs qui visaient toutes les populations en difficultés, et principalement ceux ayant du mal à lire et écrire, qu’ils soient Français ou étrangers.

“On est obligé de tricoter avec du bénévolat”

“En ce moment, c’est compliqué d’orienter quelqu’un qui veut apprendre le français”, résume une professeure de français langue étrangère (FLE). Même constat du côté du CRI, le Centre ressources illétrisme, qui réunissait le 8 septembre ses partenaires. Pour Laurence Buffet, sa directrice, “le risque est de faire disparaître la question de l’accès aux savoirs de base. On est obligé de tricoter avec des actions de bénévolat”, reconnaît-elle.

Pour les personnes en situation d’illettrisme comme pour les étrangers c’est l’improvisation qui domine. Le grand cours de français improvisé sur la Canebière est en effet l’illustration d’une réalité quotidienne. Parmi ces initiatives bénévoles, des cours de français gratuits ont lieu trois fois par semaine à la Friche Belle de Mai. “Faute de mieux, beaucoup d’organismes orientent les personnes en demande vers ces cours”, constate une professeure de FLE engagée dans le collectif d’associations. “On fait ces cours, mais on ne veut pas que les bénévoles remplacent les professeurs formés”, complète Jean-Louis Roux, qui fait partie des organisateurs de ces sessions gratuites.

“Aujourd’hui, nous n’avons quasiment pas de réponse à donner à ces publics, explique Laurence Buffet. Jusqu’au 31 août, on avait les ETAPS, à l’heure actuelle, ils n’existent plus. Le dispositif qui va lui succéder est assez différent de ce qui existait avant. Moins maillé sur le territoire, avec un volume d’heure moins important. À l’heure des nouvelles technologies où l’État nous demande de passer par l’informatique, il me paraît primordial que personne ne soit laissé de côté”, pointe la directrice du CRI.

Un nouveau module à venir

Ce nouveau dispositif régional, les actions préparatoires à la certification Cléa, devraient a priori débuter dans les semaines à venir. Ces modules de 414 heures par personne auront pour visée l’obtention du Cléa, un certificat délivré par le comité paritaire interprofessionnel national pour l’emploi et la formation (Copanef).“Un diplôme pour ceux qui n’en ont pas”, a pu résumer Christian Janin, le président de ce comité. Reste que pour les professionnels de la formation linguistique, ce diplôme n’est pas à la portée de quelqu’un qui part de très loin en terme de lecture et d’écriture, et encore moins après 414 heures de formation maximum, comme le souhaite la région PACA.

“Les ETAPS prenaient en charge plus globalement. On ne forme pas quelqu’un qui a des problèmes d’illettrisme aussi vite”, rappelle Philippe Génin président de l’union régionale des organismes de formation (UROF). L’ancien dispositif fonctionnait en effet par modules de 360 heures de formation tous les trois mois, renouvelables plusieurs fois selon les situations. Un changement dont l’impact se ressent dans le volume global pris en charge : sur la région, le remplacement par les nouveaux dispositifs entraînera une perte de 2 millions et demi d’heures pour les organismes qui proposaient ces formations, selon le représentant de l’UROF.

En 2016, un rapport de l’Agence de la langue française pour la cohésion sociale pointait la difficulté pour des personnes illettrées de se présenter d’emblée à la certification Cléa. “Les personnes en situation d’illettrisme devraient pouvoir accéder à la certification « Cléa » afin de faciliter leur insertion professionnelle, mais cela peut s’avérer difficile en pratique. Pour autant, si aucun « niveau d’entrée » n’est exigé pour entrer dans la certification « Cléa », les publics les plus fragiles doivent être bien orientés et accompagnés en amont”, expliquait l’auteur du rapport, qui annonçait qu’un autre dispositif était envisagé par le Copanef pour ces publics différents des “salariés et (…) demandeurs d’emploi” classiques.

La région veut  “faire mieux avec moins”

Du côté de la région, le vice-président délégué à la formation professionnelle, Yannick Chenevard justifie son choix par le besoin d’efficacité budgétaire en période de baisse des dotations de l’État. En ligne de mire de son raisonnement, l’exigence de 70 % d’accès à l’emploi pour chaque formation financée par la région, un objectif fixé par Christian Estrosi lors de son arrivée à la tête de l’institution et repris à son compte par son successeur Renaud Muselier.

“Nous, on a l’obligation de s’interroger sur comment faire mieux avec moins, précise d’emblée l’élu. Pour le dispositif ETAPS, les sorties en direction de l’emploi étaient descendues à 8,3% en 2016Nous avons fait le constat de cette formation qui n’aboutit sur rien. C’était une situation qui n’est pas admissible car derrière ce sont des milliers de personnes en attente de solutions. On ne pouvait pas continuer à avoir des résultats aussi médiocres.” Depuis l’annonce de la fin des ETAPS, une guerre des chiffres se poursuit entre ceux, particulièrement bas présentés par la région, et les estimations plus nuancées des formateurs, qui n’ont de cesse de rappeler que le retour à l’emploi n’était pas l’objectif premier du dispositif, qui avait plutôt pour but de mener à une formation professionnelle.

Aux yeux de Yannick Chenevard en tout cas, la nouvelle équation devrait fonctionner. “C’est un dispositif qui a fait ses preuves dans d’autres régions. Avec 414 heures, on accède à 7 fondamentaux. On travaille sur le savoir faire et le savoir être”. Un aspect qui séduit particulièrement l’élu est le prix fixé à la formation : 1800 euros par personne, contre 2200 pour un cycle ETAPS. “Un volume d’heure identique, on y ajoute le savoir être, et vous avez une moyenne de 65 % de résultats positifs !”, s’enthousiasme-t-il, en oubliant au passage que si un module ETAPS pouvait avoisiner les 400 heures par trimestre, un individu pouvait cumuler plusieurs modules à la suite et donc largement dépasser ce nombre d’heures de formation quand les formateurs l’estimaient nécessaire. 

Pour les publics jeunes, au profil de décrocheur scolaire, Yannick Chenevard annonce un renforcement des écoles de la deuxième chance. “Pour y accéder, il faut tout de même passer un concours”, déplore un spécialiste du sujet. “Quand on sait que le premier budget de l’État va à l’Éducation nationale, observe néanmoins le vice-président à la formation, ces gens, à l’âge de 16 ans devraient a minima savoir écrire, compter, etc. La région voit diminuer ses attributions de l’État, tout en devant remédier à ce problème”. Hélas, l’Éducation nationale n’est pas tenue, elle, à un objectif de réussite de 70%.

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