Les plans B alambiqués du boulevard urbain sud

Décryptage
le 29 Mar 2022
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Pour dérouler des propositions alternatives face à la métropole, la Ville de Marseille s'est appuyée sur l'AGAM, agence d'urbanisme publique. Son étude, tout juste dévoilée, est loin de tracer un itinéraire idéal, avec la contrainte d'équilibrer zéro bétonnage et mobilité améliorée.

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L'objectif est notamment d'épargner le parc de la Mathilde, au débouché actuel du boulevard. Photo Benoit Gilles.

L'objectif est notamment d'épargner le parc de la Mathilde, au débouché actuel du boulevard. Photo Benoit Gilles.

C’est un pavé de 60 pages versé dans un dossier déjà bien lourd. Il y a quelques jours, l’Agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise (Agam) a rendu publique une analyse sur le boulevard urbain sud. Trois mois après sa présentation aux élus. Ce travail, réalisé sur commande de la Ville de Marseille, explore des pistes inédites pour repenser cette rocade urbaine de 8,5 km qui doit relier l’autoroute A50 à la mer.

Depuis juillet 2020, la métropole Aix-Marseille Provence a arrêté la construction à mi-parcours, au niveau du Cabot (9e), à l’orée d’un parc public qui doit être rogné par le tracé. Depuis cette même date, la nouvelle municipalité entend obtenir une modification majeure du projet, en alternative à ce qu’elle présente comme un aspirateur à voitures. Du côté de la métropole présidée par Martine Vassal, les scénarios étudiés portent uniquement sur la longueur du boulevard, pas sur le tracé.

Les scénarios déjà étudiés par la métropole. (Extrait de l’étude Agam)

Un an plus tard, en juillet 2021, la Ville montait d’un cran dans le rapport de forces, en gelant la mise à disposition de ses terrains pour concrétiser sa volonté de coup de frein. “Quand on prend une décision politique aussi forte, encore faut-il avoir une proposition alternative, or vous n’en avez pas (…) et ça fait maintenant un an”, tançait en conseil municipal le maire des 9/10 Lionel Royer-Perreaut (ex-LR).

Souhait exaucé par l’intermédiaire de l’Agam ? Patience. Car si cette étude “relance le débat” et “montre qu’il est possible de concilier mobilité, fluidité et environnement”, s’est félicitée l’adjointe au maire de Marseille Mathilde Chaboche (Printemps marseillais), la Ville réserve encore sa communication sur le sujet. À la lecture du document, il faut dire que le débat est effectivement relancé, mais loin d’être tranché. En effet, les différentes options mêlent l’environnement, la mobilité et bien d’autres critères et aucune ne semble présenter la combinaison parfaite. Pour Lionel Royer-Perreaut, c’est même le contraire : l’étude “prouve le côté fantaisiste et irréalisable des solutions proposées”. Revue des nouveautés et des points durs.

Réduire l’espace gagné par le bitume

11 hectares, soit à peu près 16 fois la pelouse du Vélodrome. C’est la surface totale d’imperméabilisation des sols prévue par le projet initial. Avec en particulier trois lieux qui ont cristallisé la mobilisation des écologistes et des usagers : le parc de la Mathilde, les jardins familiaux Joseph-Aiguier et la pinède du Roy d’Espagne. Pour la municipalité, l’absence totale de nouvelle artificialisation des sols est une des trois conditions que devra respecter le projet recalibré.

Le parc de la Mathilde. (Photo : JV)

En décembre 2020, la métropole avait présenté à la Ville plusieurs scénarios de boulevard plus ou moins raccourci. Mais dans la version la plus limitée, la Mathilde et Joseph-Aiguier seraient toujours impactés, pour un total de 4,5 hectares. À partir de cette base minimale, en recherchant des “optimisations”, l’Agam pense pouvoir tomber à 3,5 hectares. Encore loin du zéro absolu recherché. Même la variante qui privilégie un tracé en site propre pour le bus et les vélos, sans nouvelle voie pour les voitures, ne parvient pas à éviter un grignotage des jardins de l’Opale, une voie verte en cours d’aménagement près de l’obélisque de Mazargues.

Les Jardins de l’Opale, où une voie verte est prévue. Un des scénarios y fait passer deux voies de bus en site propre.

Changement de terminus

À côté de ce raccourcissement de trois kilomètres de l’itinéraire pour les voitures, les voies de bus et de vélo ne reboucleraient plus avec la Pointe-Rouge et les 565 petits mètres réalisés au début des années 2000. À partir des jardins Joseph-Aiguier, qui seraient contournés, les variantes bifurquent vers le nord pour traverser Mazargues et Bonneveine. Le bus à haut niveau de service dit B5 prévu depuis Frais-Vallon (13e) terminerait ainsi plutôt sa course à l’escale Borély. Le quartier de la Soude serait ainsi laissé sans ligne de transport structurante. En revanche, le nouvel itinéraire croiserait davantage d’habitants et profiterait à un secteur “peu desservi” qui abrite notamment le musée d’art contemporain, note l’Agam.

Cette variante fait aboutir le bus en site propre à l’escale Borély. Le tracé d’origine apparaît en pointillés. (Extrait de l’étude Agam)

Au passage, la rocade bien droite tracée depuis des dizaines d’années, avec des réservations foncières correspondantes, virerait au slalom dans les quartiers Sud. Après un passage par le boulevard de la Gaye pour éviter le parc de la Mathilde, le bus tournerait à droite sur l’avenue Viton, cohabitant ainsi avec le… tramway qui doit y voir le jour. Plus loin, il faudrait manœuvrer sur le rond-point de l’Obélisque et la voie cyclable devrait se séparer pendant un peu plus d’un kilomètre, quitte à nuire à la “lisibilité” de la ligne 7 du plan vélo. Quant au pole d’échange multimodal prévu plus au sud, il perdrait deux de ses modes de transport.

 Nouveaux points noirs

Par rapport à la rocade ex nihilo, ce tracé alternatif qui passe par des voies existantes permet leur requalification, tout en “privilégiant les modes actifs et entraînant une diminution de la place de la voiture”, note l’Agam. Mais l’élargissement de ces voies et l’accueil d’une circulation supplémentaire ne sera pas sans impacts. L’étude évoque notamment la “dégradation de l’organisation des accès logistiques (hôpital), des accès aux copropriétés et au parking du collège Sylvain-Menu depuis le boulevard de la Gaye” et, plus loin dans le 8e arrondissement, les “impacts fonciers” et les “impacts sur l’alignement d’arbres existant, difficile à reconstituer”.

Actuellement, le boulevard de la Gaye fait entre 12 et 16 m de large. Son élargissement à 25 m permettrait d’éviter de rogner sur la Mathilde mais pose d’autres problèmes. (Extrait de l’étude Agam)

Quant à l’arrêt anticipé des voies pour voitures, il occasionnera forcément un point noir. Les voitures continueront à débouler en masse au Cabot comme c’est le cas pour le moment au débouché du boulevard ou engorgeront le sud de Mazargues si le BUS poursuit sa route jusque-là.

Une brèche pour de nouveaux recours ?

Quel bilan la Ville tirera-t-elle de cette analyse ? Et jusqu’où la métropole est-elle prête à tordre son projet ? La question est encore devant les élus, qui se retrouveront au conseil municipal ce 8 avril. En dehors de l’hémicycle, les évolutions seront aussi scrutées de près par les opposants au projet dont le Printemps marseillais s’était fait jusqu’à présent le relais. L’Agam ne cache pas que toute modification par rapport à la déclaration d’utilité publique accordée par le préfet pour la voie rapide initiale ouvre un “risque de contentieux” devant la justice. Autre risque pour la majorité municipale : si elle soutenait un projet remanié, forcément imparfait, elle devrait convaincre les opposants de son bien fondé, ou s’en faire des adversaires.

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Commentaires

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  1. Alceste. Alceste.

    La réaction de notre pétillant Lionel est remarquable,Je n’entre pas dans le débat du tracé de cette rocade ,je n’ai pas pris le temps d’étudier le sujet.Culpa,mea culpa,maxima culpa,mais plutôt sur l’attitude de nos politiques et plus particulièrement sur celle de LRP qui en terme de fantaisiste n’est pas en reste et que l’on peut qualifier d’expert.Ce garçon,hors mis sa petite vingtaine de mandats est aussi en l’occurrence dans le cas présent urbaniste,geographe, architecte,chef de travaux, bientôt conducteur d’engins.
    Et encore , nous n’avons rien vu, il serait aussi ostéopathe,tireur de carte, gynécologue,artisant chaudronnier ou Dieu sait quoi.
    Ce type de politique , comme disent les “jeunes” est vraiment “grave”.

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Le cumulard multicompétent Royer-Perreaut fait partie de cette clique qui continue désespérément à concevoir la ville et la mobilité avec les solutions des années 1970. Pendant qu’on gamberge depuis les années 1980 sur l’extension du métro vers Saint-Loup, il n’a

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      fallu qu’une poignée d’années pour réaliser la première partie de ce “boulevard urbain sud” qui est en réalité une quasi-autoroute où les excès de vitesse sont généralisés. Il faudrait se préparer au changement climatique et au renchérissement du coût de l’énergie qui vont imposer une mutation forte de la mobilité, de gré ou de force : mais ce type continue de penser que plus de place pour la bagnole et plus de bagnoles, c’est l’avenir.

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    • marie josé MATHIEU marie josé MATHIEU

      il faut continuer à travailler sur ce projet .je comprends l’impatience des habitants de Mazargues mais connaissent ils les jardins joseph Aiguiers il faut qu’ils les visitent: on ne peut pas sacrifier sur l’autel de la voiture un tel patrimoine qui protège notre santé.
      commençons déjà par exiger que les bus circulent sur le tronçon de BUS on verra comment va évoluer le flot de véhicules restant

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  2. BRASILIA8 BRASILIA8

    Parce que les voitures électriques et autres scooters et vélos ne se déplacent pas sur des routes ?
    en attendant le refus de cette voie fait le bonheur des actionnaires du tunnel du Prado : Vinci/ Eiffage et empoisonne ceux qui subissent les flots de véhicules qui viennent sur le Rond Point du Prado pour partir vers le sud et l’est
    dans le terme Déclaration d’Utilité Publique il y a publique et là on a clairement la défense d’intérêts privés ceux de ceux qui habitent le long du tracé

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  3. Olivier.h Olivier.h

    Serait-ce un poisson d’avril??

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  4. polipola polipola

    Pardon pour la question novice mais ce boulevard est-il vraiment nécessaire ? Je connais peu cette partie-là de la ville mais j’ai la sensation qu’une fois de plus on prend le problème à l’envers : plutôt que de réfléchir à comment faire circuler plus de voitures ne vaudrait-il mieux pas penser à comment en avoir moins besoin ?

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    • BRASILIA8 BRASILIA8

      ce boulevard est indispensable il y a encore deux gros projets immobiliers dans le secteur dont un sur d’ancien courts de tennis la Ville a vendu tous les délaissés et tous les terrains sont construits
      les transports en commun sont les mêmes depuis 30 ans
      et donc réduire le nombre de véhicules est totalement illusoire même si cela est souhaitable d’autant que l’ancien adjoint à l’urbanisme pour réduire le stationnement sur les voies publiques a imposé la création de deux voire trois trois places de parking dans les résidences neuves d’où l’afflux de véhicules
      au vu de l’augmentation de la circulation suite à l’urbanisation il n’y a malheureusement pas d’autre façon de prendre le problème d’autant que le BUS entre la Pointe Rouge et Delattre de Tassigny est traité comme un boulevard type Michelet ou Prado sans rond point et pas comme la L2

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      “Les transports en commun sont les mêmes depuis 30 ans, et donc réduire le nombre de véhicules est totalement illusoire” : c’est vraiment prendre le problème à l’envers. L’omniprésence de la bagnole individuelle à Marseille est précisément due à ce choix d’un autre temps : investir toujours pour lui faire de plus en plus de place, jamais pour faire de la place à ses alternatives. Peut-être faudrait-il sérieusement renforcer les transports en commun, plutôt que de constater piteusement que leur offre n’a pas bougé depuis des décennies.

      La mobilité va changer et la part des déplacements individuels motorisés va diminuer : entre l’envolée certainement durable des coûts d’énergies, la nécessité de désengorger le centre-ville, les contraintes de lutte contre la pollution de l’air, la nécessité de redonner de la place aux piétons en ville, etc., l’ère où l’on prenait sa voiture pour n’importe quel déplacement, y compris de quelques kilomètres seulement, est terminée.

      Bien sûr qu’il faut penser à comment avoir moins besoin de la voiture individuelle !

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    • Court-Jus Court-Jus

      Je confirme qu’on prend effectivement le problème à l’envers. Et pourtant je “bénéficie” de la partie existante du BUS sans en avoir les nuisances. C’est juste une horreur d’un autre temps, une quasi-autoroute urbaine comme on en fait plus ailleurs (et heureusement).
      Après pour prendre le problème à l’endroit il faut y mettre les moyens, et la métropole ne veut pas, se contentant de relier 1 ou 2 quartiers par décennie avec le tram, la plupart du temps en doublant les lignes de métro existantes.

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  5. Regard Neutre Regard Neutre

    L’analyse multicritères — technico/ économique— des scénarios et pistes de réflexion menée par l’Agam sur les différentes études de dissociation des fonctionnalités du BUS oriente nettement pour un maintien du dossier du B.U.S intégral. Les argumentaires en faveur du BUS initial portés sur les fiches dressées par l’Agam s’avèrent incontestables; les variantes quant à elles ressortent inopérantes voire infaisables sur les voies existantes notamment dans les secteurs initialement non impactés par le projet initial. Peut-être que cette analyse pourra être une aide à la décision de poursuite des travaux, ou bien un nouveau coup de frein municipal pour ne pas perdre au jeu du Mikado…

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    • Armand Louis Armand Louis

      Mais, qui est actuellement à la tête de l’AGAM ?

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  6. Alceste. Alceste.

    Vous avez une chance sur deux : le pétillant Lionel Royer Perreaut ou la très autoritaire Laure Agnès Caradec.De toutes les façons à Marseille si ce n’est point l’un c’est l’autre.
    Et bien c’est l’autre ,Caradec avec uniquement une petite dizaine de mandats.

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