Les États généraux de Marseille oscillent entre contre-pouvoir et stratégie électorale
Samedi et dimanche, se tenaient les États généraux de Marseille, deux jours d'échanges autour des urgences sociales de la ville. Organisé par une soixantaine de collectifs et associations, ce grand forum a soulevé de nombreuses questions, y compris celle d'entrer ou non dans le jeu politique de la campagne municipale.
Ouverture des Etats généraux de Marseille le 22 juin. (Image LC)
“Quitte à mettre les pieds dans le plat je vais le dire : je veux qu’il y ait un homme ou une femme issue des États généraux à la mairie l’année prochaine !”. Dimanche matin, pour clôturer trois demi-journées de débats et d’échanges, Mohamed Bensaada, militant du syndicat des quartiers populaires de Marseille (SQPM), brise un tabou tout en faisant exploser la sono de l’amphi par sa ferveur. Un coup d’éclat, de la part de celui qui milite aussi au sein de la France insoumise, comme un coup de pied dans une fourmilière qui ronronnait un peu trop. “De quoi les États généraux sont-ils le nom ?”, s’interrogeait-il en préambule de son intervention, limitée, comme pour tous les participants, à deux minutes. Difficile au terme de deux jours, comme au terme de deux heures d’assemblée conclusive, de trancher.
Organisés dans les locaux de la fac Saint-Charles après un lancement à Air-Bel, vendredi, les États généraux de Marseille ont attiré plusieurs centaines de personnes samedi et dimanche. Un peu moins que les 900 inscrits annoncés, mais tout de même de quoi remplir, et parfois même saturer les 21 ateliers et huit forums qui se sont tenus sur des sujets aussi variés que la place des femmes dans la ville, les équipements publics, la mémoire des migrations, le logement, la rénovation de la Plaine, la gentrification, la culture, le patrimoine… Avec la consigne de porter une parole respectueuse des identités de chacun et chacune. Et à chaque fois l’objectif, pas toujours pleinement atteint, de formuler des propositions concrètes pour améliorer une situation locale que tous ici considèrent comme “un désastre”.
“Contre-pouvoir citoyen” ou tremplin électoral
Sur quoi doivent déboucher ces heures de palabres ? Cueillie à la sortie d’un atelier sur la culture, mené par l’auteure Valérie Manteau, Claude Chapiro-Renard, du collectif Brouettes et Cie est sans détours : “Je suis là pour participer à la construction d’une liste commune, pour que les choses soient dans l’esprit des propositions formulées aujourd’hui”. Les municipales sont dans les esprits de tous. Pourtant les États généraux, portés par plus de 60 collectifs et associations marseillaises dans la lignée des mobilisations citoyennes de l’hiver, ont toujours été présentés comme le lieu d’émergence d’un “contre-pouvoir citoyen” plutôt que comme un brainstorming à grande échelle destiné à noircir les pages d’un programme électoral. Et encore moins comme une réserve de noms à caler sur les listes.
Lors de l’assemblée plénière de dimanche matin, les deux stratégies se confrontent de prise de parole en prise de parole, venant de militants aguerris ou d’anonymes. “Je ne suis pas venue ici parce qu’on doit élire le maire l’année prochaine”, lâche une participante. “Le délai est trop court, en se précipitant, on va détruire cette logique de convergence des luttes de la ville, ceux qui disent qu’on est capables de prendre le pouvoir se leurrent. Il faut prolonger le travail, renforcer le rapport de force avec les élus”, appuie un autre, dont l’avis semble assez partagé. “Une société civile qui vérifie les actions du pouvoir, ça ne nous a amenés à rien”, rétorque une troisième.
Le texte voté à l’unanimité en fin de plénière pousse vers la stratégie du contre-pouvoir social, sans ignorer l’échéance électorale : “Nous sommes un pouvoir citoyen, une société civile organisée, et nous interviendrons dans les mois et années à venir pour nous réapproprier des espaces et lieux, mettre au cœur du débat l’expertise citoyenne, porter un programme politique et citoyen, avant, pendant et après les élections”.
“Tout le monde croit avoir les collectifs dans la poche”
Dernier rendez-vous social important avant l’été, les États généraux étaient pourtant guettés avec attention par les formations politiques de gauche, comme potentiel déclencheur d’une dynamique pour 2020. Avec parfois, la tentation d’instrumentaliser le mouvement. Au sein des organisateurs, dont plusieurs sont par ailleurs militants dans des partis, on assure avoir déjoué ces projets. “Tout le monde croit avoir les collectifs dans la poche, mais ça n’a pas eu d’incidence sur les États généraux”, assure Bernard Eynaud, président de la Ligue des droits de l’homme. “Des gens peuvent avoir envie de puiser leur programme ici, admet Nassera Benmarnia, membre du collectif du 5 novembre et permanente socialiste. Mais on a des profils différents qui font qu’on borde les choses, on s’autorégule, on se cadre. Ce n’est pas un strapontin pour les municipales”. Au final, le texte voté en plénière laisse les portes et le fenêtres ouvertes à ceux qui voudront entrer dans la campagne :“Nous avons débattu de façon bienveillante et en assumant certains désaccords quant aux échéances électorales de 2020. Il faut laisser chaque sensibilité s’exprimer tout en maintenant notre union”.
Les partis sont par ailleurs restés très en retrait de l’événement. On croise dans les allées de l’université l’insoumise Sophie Camard, le communiste Jean-Marc Coppola, l’écologiste Sébastien Barles, le socialiste Benoît Payan. Aucun ne prendra la parole en assemblée plénière, comme pour éloigner la suspicion de récupération. “Peut-être que certains attendaient un moment électoral, ils en sont pour leurs frais. Cette assemblée elle est mûre, ce ne sont pas des enfants à qui on peut dire : “voilà ce qu’il faut faire””, va même jusqu’à saluer ce dernier. En off, certains confirment que le quatuor serait plus que jamais au travail pour proposer l’union électorale dans la lignée de l’appel “S’unir ou subir”. Reste à savoir s’ils sauront séduire les participants des États généraux.
“900 personnes, pour Marseille, ce n’est pas beaucoup”
Se pose aussi une autre question “de qui les États généraux sont-ils le nom ?”. Quelques centaines de personnes partantes pour discuter un jour de juin forment-ils une vraie force sociale ? “On a réuni un petit millier de personnes, c’est absolument énorme. C’est une preuve de maturité. Nous sommes un 4e pouvoir citoyen”, veut croire Kevin Vacher, du collectif du 5 novembre. À la tribune, Jean-Pierre Cavalié, du réseau hospitalité, nuance cruellement : “c’est un événement politique extraordinaire, et en même temps il faut être modeste, 900 personnes, pour Marseille, ce n’est pas beaucoup”.
Représentés à travers le Syndicat des quartiers populaires de Marseille et des collectifs comme celui des “McDo”, de Maison blanche, ou de Kalliste, les habitants des quartiers Nord, par exemple, ne s’étaient pas déplacés en nombre. Et la masse des participants semblaient, à certains moments, socialement homogène : blanche, éduquée, politisée. Les organisateurs reconnaissent qu’il reste du chemin à faire. “Quand tout au long de votre vie tout, on vous a fait penser que vous n’étiez pas autorisé à prendre la parole, ça ne se fera pas d’un coup de baguette magique”, analyse Soraya Guendouz, du SQPM.
À certains moments, des mondes se rencontrent. Lors de l’atelier sur la criminalité, le récit de Céline Burgos, mère de famille qui a extirpé son fils d’un réseau de trafic bouleverse un public pas habitué à ces récits crus venus de l’autre bout de la ville. Les débats, laissés inachevés, sur la question de la dépénalisation notamment, devraient peut-être se poursuivre sous la forme d’un groupe de travail.
Des occasions pour faire mieux, les organisateurs des États généraux espèrent en créer beaucoup d’autres. Assemblée générales de quartiers, création d’un collectif culture, groupe de travail sur la criminalité donc, mais aussi sur les communs, la santé… Les promesses de se revoir sont nombreuses. Pour voir réussir les différentes luttes portées par les collectifs, la victoire sur la charte du relogement sert désormais de référence. La méthode : “être à la fois à la table des négociations et pouvoir faire des démonstrations de force dans la rue”, résume Marie Batoux, du collectif du 5 novembre et élue (PG) des 2e et 3e arrondissements. “La charte du relogement, ça a pris 7 mois, si on avait été à la mairie, ça aurait été instantané”, grince tout de même Mohamed Bensaada, pour remettre un sou dans la machine.
Commentaires
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Les collectifs continueront à secouer la prochaine municipalité, et c’est bien. Il vaudrait mieux que celle-ci soit capable de les écouter : il y a une petite chance qu’une dynamique PS-PC-EELV-LFI puisse voir le jour, il faut tout faire pour y arriver. Car le RN est haut, très haut. La maison Gaudin est en panique, mais elle est prête à vendre sa machine de guerre électorale à LREM pour conserver quelques postes. Quant à LREM, et c’est dommage, ils ont décidé de rouler à droite plutôt que représenter une possible modernité. Ce choix est lamentable, mais ils sont clairement favoris. Raison de plus pour vite sortir un groupe (pas trop compliqué), quelques priorités (c’est hélas assez facile), un début de liste (ca se complique), et une tête de liste (aïe). Ah oui, c’est tabou comme sujet, mais pourtant majeur. On peut à juste titre protester contre ce système qui personnalise la politique, les 3/4 des électeurs vont se poser la question à la rentrée de pour qui ils vont voter. Les possibles têtes de liste ne sont pas très connues, il faut en choisir une ou un qui symbolise un tournant, et ait démontré sa capacité à écouter, prendre en compte, synthétiser, arbitrer, piloter. Bonne chance.
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Rappelons que localement LREM ne veut pas entendre parler de ce “choix lamentable” et n’y souscrit pas !
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Je suis allé par curiosité à la réunion madmars il y a quelques semaines, et comme c’est dit dans cet article j’ai été choqué de voir à quel point la population était uniforme (plutôt “blanche, éduquée, politisée”), loin de marseille et de la mixité sociale dont on parle tant dans ces réunions…pas forcément étonné mais cela montre le travail à faire, et à quel point tous les efforts de rassemblements citoyens auront peu de sens si on n’arrive pas à convaincre les marseillais, et notamment ceux qui subissent la politique élitiste de la mairie en premier, à aller voter! Je rappelle que JCG s’est fait réélire en 2014 avec moins de 100 000 voix…Donc à 9 mois des élections, certes il faut que ces mouvements citoyens se fédèrent, mais sans oublier que la bataille se gagnera peut être plus en trouvant des moyens d’inscrire les gens sur les listes et les convaincre d’aller voter (bien, si possible), qu’en organisant des réunions en centre-ville entre personnes de bonne volonté déjà acquises à la cause.
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Je partage à 100 % les deux commentaires précédents, qui situent bien les enjeux. Comme disait un célèbre philosophe, Jean-Pierre Raffarin, “notre route est droite, mais la pente est forte.”
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Oui rien à ajouter non plus. Je partage le commentaires précédents.
l’essentiel étant une sorte de listage des priorités, on va dire : un programme ! le reste ( liste et tête de liste) ne viendra pas tout seul, mais sera peut être plus simple avec une plateforme de priorités communes…
Hauts les coeurs
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On a parlé de Citoyenneté à ces Etats Généraux et dans ce débat sur la notion de citoyenneté et ce que cela signifie on a parlé aussi des étrangers qui par leur travail, leur activité économique et sociale contribuent à la vie de la cité ( ils paient la TVA, des cotisations, sociales, dépensent ….) . Mais leur citoyenneté est niée à minima par le fait qu’ils n’ont pas de droit de vote . Et ceux et celles qui ont lutté pour que de ces EGM sortent des candidats aux prochaines élections européennes, ceux là donc l’ont totalement oublié… Combattre le RN, combatte la droite, ce n’est pas renoncer aussi au combat pour une égalité des droits entre tous les citoyens d’une ville. Tous les citoyens et pas uniquement ceux qui ont le droit de vote …
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oui, on en a parlé dans l’atelier Migrations & Citoyenneté et on s’est appuyé sur la Charte de Palerme
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Je suis d’accord également, j’ajoute une remarque. Mohamed Bensaada a bien raison, il faut des élu-e-s (et donc d’abord des candidat-e-s) issu-e-s des quartiers populaires et qu’ils/elles le soient sur des stratégies autonomes (c-a-d libérées des calculs clientélistes envers les communautés ou du souci -louable mais à coute vue- de “diversifier” les listes des partis).
C’est un processus de longue haleine parce que c’est un processus éducatif et expérientiel ; le travail éducatif et promotionnel via la politique, qu’ont fait les partis, syndicats et associations d’éducation populaire de gauche au coeur du XXe siècle s’est arrêté il y a 40 ans. Les nouvelles couches populaires (nouvelles en termes de génération, de proximité aux dernières vagues d’immigration et d’expérience du travail) n’en ont jamais bénéficié.
Ce qui ramènera les habitants des quartier populaires aux urnes c’est d’abord ce qui les ramènera à la politique, et c’est d’abord un long travail éducatif (qui le fera ? ce doit être la tâche que se fixent les collectifs plutôt que de gagner les élections) et d’expérience : des luttes, du militantisme, des campagnes électorales, et bien sûr de la réalité du mandat électif, de ses possibilités et de ses limites et en ce sens il ne faut pas se contenter d’être un contre-pouvoir, mais promouvoir des hommes et des femmes qui ressemblent à et qui partagent l’expérience de ceux/celles qu’ils/elles représentent.
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A noter que Samuel Joshua, conseiller d’arrondissement Insoumis, ne s’est pas gêné pour intervenir dans le forum de clôture en faveur d’un engagement politique des EGM.
Noter aussi qu’a eu lieu samedi un atelier très intéressant sur le thème « migration et citoyenneté », qui ne passionne apparemment pas plus les journalistes que les politiques.
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La journaliste passionnée de questions migratoire que je suis n’a malheureusement pas le don d’ubiquité… J’ai assisté à au moins six ateliers et forums mais pas celui-là en effet, il a malheureusement fallu faire des choix.
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Oui, j’y étais pas…alors je ne devrais rien avoir à dire, mais je vais quand même écrire un petit quelque chose qui me titille…suite à l’analyse de la première photo de l’article.
J’aimerais que ceux et celles qui ouvrent la leur en grand, soient bien sûr-e-s d’être propre sur eux-elles.
Les arrogants de première ligne qui vous parlent de haut sur les droits de l’homme et autres, j’aimerais qu’ils-elles regardent si leurs mains sont bien propres et leur éthique avec.
Certain-e-s me font quand même bien marrer.
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Merci pour cet article, porteur de nuances et surtout de contradictions, qui sont bien inévitables et même au coeur de ce genre de processus; C’est vrai dans bien des villes mais bien plus encore à Marseille, vu ce qu’on y vit, vu aussi le poids de l’histoire récente.
Pour autant, Mohamed Bensaada a bien raison, et pas qu’un peu, de mettre les pieds dans le plat, même s’il semble dans sa déclaration la jouer petit : ” un homme ou une femme issue des états généraux à la mairie l’année prochaine”. C’est bien plusieurs femmes et hommes de ces collectifs qu’il y faudrait! Lorsque l’on voit ce que représentent ces états généraux, 39 collectifs ou organisations lors de l’appel initial et 60 au moment où ils se déroulent (si j’ai bonne mémoire), si de là ne sortent pas plus que quelques grosses poignées de militants pour dessiner un liste plurielle, diverse et néanmoins citoyenne avec le regroupement des gauches, et bien le paysage politique marseillais n’aura pas été boulégué et modifié à la hauteur des enjeux de l’heure, et des espoirs et désespoirs suscités par la situation de notre ville. Et cela se payera sans doute comptant en terme de crédibilité, face au FN/RN et aux droites réunies (au 1er/2ème/3ème tour…)
Et à la question de savoir si ce mouvement bien inédit, en tous cas dans cet ampleur, doit servir à ça ou à faire face, par ses mobilisations et ses revendications, aux prochains pouvoirs municipal et métropolitain quels qu’ils soient, la réponse me semble couler de source : Les deux mon capitaine!
Il est évident qu’il fallait bien faire ce qui a été fait, même, et surtout, , si nous étions en début de mandat, et que ce n’est pas la proximité des élections qui motivait la venue des participants dans les collectifs comme dans les états généraux. Mais il se trouve qu’il y aura bientôt des élections. Et il se trouve que le politique, plus encore que la nature, a horreur du vide. Il se trouve qu’on aura besoin de citoyens porteurs de volontés de transformations face aux pouvoirs, mais aussi en leur sein, en lieu et place des martiens et zombie et toujours prédateurs qui occupent la place, depuis maintenant quelques décennies.
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Et pendant que la gauche explosee façon puzzle se tâte et palabre sans rien décider, Vassal ripoline la ville, le RN montre ses muscles et LREM compte les grands électeurs qu’une alliance avec Vassal pourrait lui donner pour les sénatoriales.
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