Pour les députés LREM, le difficile équilibre entre bilan national et urgences locales

Reportage
le 13 Déc 2017
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Trois députés La République en marche des Bouches-du-Rhône dressaient lundi soir le bilan de leurs six premiers mois de mandat. Passé le bilan national de la majorité, les élus se sont retrouvés confrontés aux attentes concrètes et immédiates des habitants, sur lesquelles ils n'ont que peu de prise.

Pour les députés LREM, le difficile équilibre entre bilan national et urgences locales
Pour les députés LREM, le difficile équilibre entre bilan national et urgences locales

Pour les députés LREM, le difficile équilibre entre bilan national et urgences locales

Deux mondes se sont rencontrés ce lundi soir, au théâtre Toursky dans le 3e arrondissement de Marseille. Le monde de la théorie, et celui de la pratique. Le monde de ceux qui font les règles, et celui de ceux qui doivent faire avec. Initié par les premiers, le rendez-vous est donc ce soir là orchestré par trois (sur quatre) des députés marseillais de La république en marche – Saïd Ahamada, Alexandra Louis et Cathy Racon-Bouzon -, Claire Pitollat, élue dans la 2e circonscription ayant indiqué qu’elle avait autre chose à faire. Les trois parlementaires, assis devant un bureau recouvert d’un drap rougesur la scène, font ainsi face à une salle clairsemée d’une cinquantaine de personnes parmi lesquelles, entre autres, des militants, des étudiants, des membres d’associations, quelques journalistes.

Durant la première heure, les députés présentent tour à tour les différents travaux qu’ils mènent depuis six mois à l’Assemblée dans leurs commissions respectives. Cathy Racon-Bouzon (5e circonscription) se félicite de la réussite du dédoublement des classes de CP en zone d’éducation prioritaire renforcée. Alexandra Louis (3e) lui emboîte le pas en appuyant l’intérêt de la loi sur la moralisation de la vie publique. Enfin, Saïd Ahamada (7e) [Lire notre portrait] juge nécessaire de revenir sur son rôle de député et sa volonté de porter son attention sur le nord de Marseille.

Jeu d’équilibriste

“Nous sommes les élus d’un territoire qui nous a portés à l’Assemblée. Notre rôle est celui d’un équilibriste entre les enjeux nationaux et ceux locaux, entame le député d’une partie du 14e, des 15e et 16e arrondissements de Marseille. Le territoire Nord représente l’avenir de Marseille, c’est là que ça va se jouer.” Et celui qui a grandi dans la cité du 143 de la rue Félix-Pyat de citer les atouts des quartiers : “le prix du foncier, les deux autoroutes, le port, et surtout le potentiel des jeunes, et des moins jeunes d’ailleurs”. “C’est pas pour rien si Euromediterranée se construit au nord de Marseille”, conclut Saïd Ahamada.

Voulant faire de cette soirée “une rencontre”, les trois députés proposent ensuite un temps d’échange avec le public. Ni une, ni deux, le micro se retrouve entre les mains d’une personne bien déterminée à faire passer un message et à illustrer par la même occasion toute l’ambiguïté des propos du député. “Salut Ahamada!”, lance l’homme du fond de la salle. Se redressant sur sa chaise, l’élu explique alors à l’assistance l’origine de cette familiarité. “Un ancien collègue des Olives, on boxait dans la même salle, dégaine-t-il avec un sourire un brin gêné. Depuis j’ai arrêté la boxe et j’ai bien fait.”  Les minutes qui suivent manquent pourtant bien de mettre K.O. le député.

“Oh Ahamada ! Ça urge là !”

“J’ai le cœur qui bat à cent à l’heure, reprend d’une grosse voix l’homme en s’excusant. Je travaille dans le milieu associatif, là bas, à La Castellane. J’ai déjà vu quinze jeunes mourir.” Soudain, le ton du discours devient virulent. “Les minots, ils sont armés, ils te sortent un gun comme ça. Je m’en sors pas ! Je dois aller voir un psy, nourrir ma famille. Ahamada, il est impératif de nous donner des moyens. Ils attendent que ça les jeunes, ils sont capables, tu le sais toi, t’es la preuve. Oh Ahamada, ça urge là !.” Moment de flottement. Quand les regards se tournent vers la scène, les députés proposent de passer le micro à quelqu’un d’autre, avant de répondre. Bien que souhaitant répartir la parole entre les personnes présentes et donc les différents centres d’intérêts, les députés ont bien du mal a éviter le sujet lancé, qui occupera finalement une bonne partie du débat.

“Il y en a qui ont réussi, d’autres moins, c‘est sur les réussites qu’il faut se focaliser, se lance enfin Saïd Ahamada avant de dérouler le discours qu’il a fait sien sur la politique de la Ville. Les militants associatifs ne devraient pas porter l’intégration et l’insertion. Les services publics doivent revenir dans les quartiers. Il y a le droit commun d’un côté et la politique de la Ville de l’autre. Ça, ce n’est pas possible”, se ressaisit le député sous les applaudissements, excepté celui de son ancien collègue de ring. “C’est bon les discours là ! On veut de l’action maintenant ! À 19 heures, tout s’éteint à La Castellane ! Donnez-nous au moins les clefs du gymnase qu’on puisse organiser des activités ! Honorez vos salaires un peu !”, s’énerve le jeune homme avant de quitter la salle agacé et sans réponse.  

L’illustration ne pouvait être plus parlante. Le jeu d’équilibriste est bien réel. Comment prendre en compte les enjeux locaux et nationaux à la fois ? Saïd Ahamada, député, simple conseiller des 15e et 16e arrondissements n’a évidemment pas les clefs des gymnases, pas plus que ses collègues totalement novices en politique et qui en sont encore à découvrir les arcanes de la politique locale.

La question de l’influence locale est d’autant plus délicate la nouvelle majorité a supprimé la réserve parlementaire, qualifiée lors des débats par le député Ahamada, et d’autres, de “clientéliste”. Les députés ne peuvent donc plus contribuer à financer des associations dans leur circonscription, par exemple. Le rôle du député sur son territoire local, déjà faible, a perdu son signe le plus visible, sonnant et trébuchant. “Le rôle d’un député n’est pas de distribuer de l’argent. Sur le terrain, le pragmatisme peut avoir un effet pervers, personne ne comprend les critères de répartition. Ou alors il faudrait multiplier par 10 ou par 100 la réserve parlementaire”, justifie de son côté Saïd Ahamada. Les députés, argumente-t-il, ont pour seule mission de “porter la parole du niveau local au niveau national et de contrôler l’action publique sur leur territoire”. Avant de rejoindre La Castellane, l’éducateur partage son sentiment. Il s’appelle Christian et confie être venu car “pour beaucoup, Ahamada, il représente un espoir”. “Trompe-l’œil”, est le mot qui lui vient à la bouche pour décrire son ancien camarade de punching-ball, un mot teinté de déception.

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Commentaires

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  1. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Une cinquantaine de personnes pour une réunion qui intéresse l’ensemble des citoyens de Marseille, c’est bien peu ! Il semble bien que ces députés LREM n’ait pas très envie de rendre compte devant les électeurs avant cinq ans. Qui a a été invité et comment ?

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  2. Jacques Milan Jacques Milan

    Bel article sur la contradiction entre la politique antisociale de ces députés et le terrain des quartiers populaires. Que faire dans ces conditions ? Lutter par rapport aux décideurs locaux, plus faciles à faire céder que des godillots de Macron qui votent tout ce que dit le Président sans sourciller. Agir parfois si on peut en s’organisant collectivement pour ne pas dépendre de ces personnes ( le clientélisme n’est pas une solution collective) ni de la Mairie de Marseille qui est en train de s’effondrer avec l’agonie du patriarche.

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  3. julijo julijo

    et voilà : un seul être vous manque….elle était où pitollat ????
    Sinon, ah pffffff et pffffffffff
    Pauvres députés qui ne servent qu’à servir la soupe….
    “trompe l’oeil” ça c’est sûr !! Ils devaient être sacrément déçus les gens de ce quartier pour voir en ce député “en marche” un espoir !!

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  4. LN LN

    Moi aussi, j’aurais aimé avoir l’invitation. Y en aurait eu des choses à dire.
    Surtout une réunion au Toursky, dans le ze quartier le plus… Ca fait écho (comme par hasard) à la brève sur la mosquée du même quartier.
    Et celui qui interpelle (re-comme par hasard) c’est un travailleur social des quartiers nords qui connait bien l’urgence… Ca fait écho aux chroniques sur le quotidien de l’éducateur Laurent Rigaud.
    La réalité des “territoires” où nous vivons, ne se mesure pas à leur bilan. (re-re-comme par hasard) ca fait écho aux articles sur Kallisté.
    Ces députés-là ne semblent pas mesurer le désastre, le risque que nous encourons.
    Mais il parait qu’ils ne sont là que depuis 6 mois.

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  5. Assedix Assedix

    Bon, sans vouloir défendre les députés LREM, je voudrais juste évoquer une anecdote qui expliquera peut-être leur réticence à rencontrer la population.
    Vendredi dernier, Claire Pitollat est venue rencontrer ses électeurs dans une réunion publique organisée par le CIQ Pharo-Catalans où était également présente Sabine Bernasconi.
    J’ai dû partir très vite et je n’ai donc pas pu assister à sa prise de parole ni aux questions qui ont suivi mais franchement, d’après ce que j’ai pu observer du début de la réunion, cette invitation avait tout du “traquenard” (j’entends par là une assemblée complètement noyautée par des militants LR qui n’étaient pas là pour l’écouter mais pour la chahuter). J’ignore ce qu’a donné la suite de la rencontre, mais si elle s’est poursuivie comme elle avait commencé, je comprends que ce genre de mésaventure puisse inciter à la prudence dans les rencontres avec la “population”.

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    • LaPlaine _ LaPlaine _

      Je suis bien d’accord, on peut être critique avec ces jeunes (ou moins jeunes députés) pas ou peu expérimentés pour certains et pas toujours rompus au roublardises politiques habituelles, mais je trouve assez cocasse que l’on ait un tel niveau d’exigence au bout de six mois de “règne” macronien alors que le pays subit aujourd’hui le résultat de décennies d’immobilisme et d’aveuglement. Quant au “traquenard” de LR Marseille avec Bernasconi, ces individus feraient mieux de nettoyer leurs propres écuries marseillaises avant de s’occuper de celle des autres. Pitoyable.

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Les prochaines élections municipales sont peut-être déjà dans tous les esprits à l’hôtel de ville. Bilan pitoyable, successeurs putatifs de Gaudin tou.te.s plus ou moins plombé.e.s par des difficultés diverses et variées, séisme politique qui a vu les grands partis traditionnels s’effondrer : ça doit phosphorer pour essayer de limiter la casse dans le gang nullicipal. La politique politicienne, c’est beaucoup plus sa spécialité que la gestion ou la stratégie territoriale…

      Les “intrus” que sont les députés macronistes, qui ont déboulonné quelques notables bien installés, sont certainement vus comme une menace. Je ne serais donc pas surpris que les “traquenards” remplacent les débats de fond : quand on n’a rien à dire, tous les moyens sont bons.

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    • LaPlaine _ LaPlaine _

      Que ces nullicipaux se permettent de la ramener à toute occasion montre bien à quel niveau de déni et de cynisme ils se situent…

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  6. Avé Avé

    Je suis un peu surpris de certains commentaires sur des députés nécessairement mauvais parce que macroniens, antisociaux et autres. Désolé, mais le cri de désespoir du militant associatif dans l’article ça n’est pas la politique de Macron qui fait ça, mais la politique sociale et de la ville de Hollande, Sarkozy et même Chirac et Mitterrand. Et d’ailleurs beaucoup plus concrètement, c’est la politique de Gaudin et de Deferre.
    Et malheureusement, ce militant associatif dont le désespoir semble sincère a tort : les députés ne sont pas là pour avoir les clés du gymnase ou pour verser des subventions, ils sont là pour voter les lois et tant pis si ça peut paraître abstrait à certains. A parler à un territoire au lieu de parler à des citoyens voilà les confusions auxquelles on arrive. Ces plaintes, le militant associatif devrait les formuler à tous les représentants des collectivités locales. Ce que doivent par contre porter les députés c’est une vraie rénovation de la politique de la ville qui s’est toujours perdue en France en des dispositifs mal pensés, mal appliqués et centralisés dans un ministère alors qu’ils devraient être de la compétence des territoires. Et au fond, pour téléphoné que ça puisse paraître, la réponse d’Ahamada ne manque pas de justesse : l’associatif aux associatifs, le service public et son retour dans les quartiers à l’Etat et aux collectivités. C’est avec les enjeux bien inscrits dans une loi ou un règlement que le gymnase ouvrira plus souvent.

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