Les Bouches-du-Rhône se réveillent avec six députés RN

Franck Allisio et Gisèle Lelouis le soir du second tour des élections législatives de 2022. (Photo : Emilio Guzman)

C’étaient celles et ceux que l’on n’attendait pas à pareille fête. En milieu de soirée, un à un, les nouveaux députés du Rassemblement national gagnent la fédération RN près de la place Castellane, à Marseille. La victoire est historique et les militants euphoriques : six députés dans les Bouches-du-Rhône quand le parti n’en avait pas gagné un seul dans cette configuration électorale au cours de son histoire. Un score qui le place en tête des sièges pour le département. Elle concrétise une domination enregistrée par son parti dans huit circonscriptions départementales au deuxième tour de la présidentielle.

Parmi ces nouveaux élus, on compte des cadres nationaux du parti, Franck Allisio ou l’expérimentée eurodéputée Joëlle Mélin, un parachuté, Emmanuel Taché de la Pagerie, des militants locaux du parti, Romain Baubry, Gisèle Lelouis et José Gonzalez. Pour ce dernier, c’est le couronnement de 40 ans de militantisme, une soirée que seule peut-être la qualification de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de la présidentielle 2002 peut surpasser. L’Allaudien a repris du service pour cette élection après le départ soudain de Laurent Jacobelli, porte-parole du parti retourné dans le Grand-Est pour les régionales 2021. “Ce qui m’importe, c’est que j’offre un député à Marine. J’apporte ma petite pierre à l’édifice”, explique-t-il. L’homme de 79 ans l’emporte très largement (59,7 %) devant la candidate de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes), Marina Mesure, dans la 10e circonscription qui inclut Gardanne.

“Avec la Nupes, les gens ont eu peur”

Dans la même configuration, Joëlle Mélin, Emmanuel Taché de La Pagerie et Gisèle Lelouis ont eux aussi réussi à passer le cap. “On ne s’attendait pas à une telle victoire, les conditions ne nous étaient pas favorables, mais on a brisé le barrage”, souligne Joëlle Mélin. “Avec la Nupes, les gens ont eu peur”, assure Gisèle Lelouis.

Ailleurs c’est face à Ensemble (15e circonscription, Châteaurenard) et à LR (12e circonscription, Marignane-côte Bleue) que le parti a réussi à s’imposer. Délégué départemental du parti, Franck Allisio assure qu’il avait “préparé un discours pour féliciter les députés élus”. Au lieu de ça, c’est lui qui est entré en majesté dans la permanence du parti. Dans la 12e circonscription, il a défait Éric Diard, un sortant LR ménagé par Ensemble qui ne lui avait pas proposé d’opposant. “Contre LR, c’est la configuration la plus difficile. L’emporter, c’est bien la preuve qu’il n’y a plus de plafond de verre”, commente celui qui réimplante le RN à Vitrolles et Marignane, communes conquises en 1995 par son parti et quittées dans le chaos.

Dans plusieurs circonscriptions, la gauche n’a pas pu compter sur le front républicain.

Le front républicain y était pourtant dense avec notamment les soutiens des maires de gauche de la circonscription comme le socialiste vitrollais Loïc Gachon qui avait rappelé le lourd passé de sa commune en meeting avec Diard. Las, la vague a emporté de justesse le dernier député LR en lice pour sa réélection. Ailleurs, c’est la gauche qui n’a pas pu compter sur le soutien des autres formations républicaines. Dans la foulée des candidats de la majorité sortante qui avaient offert des consignes de vote cacophoniques, la Nupes a souvent dû compter sur elle-même pour tenter de progresser entre les deux tours, sans réel succès. Il y a fort à parier qu’une part des électorats LR et Ensemble ne se sont, au mieux, pas déplacés ce dimanche. Joëlle Mélin réalise 9000 voix de plus que le total de l’extrême droite au premier tour.

Les espoirs déçus de la Nupes

Cette capacité nouvelle à franchir le second tour dévitalise mécaniquement leurs adversaires. La Nupes s’arrête ainsi à trois députés, de la Blancarde à L’Estaque. Hendrik Davi, Manuel Bompard et Sébastien Delogu concrétisent les excellents scores de Jean-Luc Mélenchon. Mais le rassemblement ne conquiert aucune des circonscriptions extérieures à Marseille. Le communiste martégal Pierre Dharréville réussit seulement à conserver son siège. De neuf députés, Ensemble tombe à six, en perdant une sortante supplémentaire avec la défaite de Cathy Racon-Bouzon face à la Nupes.

Le département se réveille ainsi avec une carte politique particulièrement bousculée que les élus locaux ont commentée différemment. Le président de la région Renaud Muselier banalise la situation et mentionne simplement “des duels qui permettent aux adversaires de la majorité présidentielle de briser le plafond de verre au second tour”. Le maire de Marseille Benoît Payan se place dans la logique inverse et déplore “une telle poussée du Rassemblement national, notamment à Marseille. Une lourde responsabilité pèse sur ceux qui ont fait l’amalgame entre le rassemblement de la gauche et l’extrême-droite, et particulièrement sur ceux qui sont restés silencieux face au Front national”. Son adjointe Samia Ghali, qui ne s’est pas impliquée dans la campagne insiste : “Aucun autre résultat ne peut être vu comme une consolation”.

Le RN rêve d’autres succès

Désormais fort de ces six parlementaires, le RN veut croire que cette soirée du 19 juin est le début d’un raz de marée politique sur la Provence. Vendredi, une dizaine de députés feront face à Renaud Muselier dans l’hémicycle du conseil régional. Dans les mois à venir, le parti va pouvoir reconstruire sereinement ses bases, lui qui a subi de plein fouet le départ vers Reconquête du sénateur Stéphane Ravier et de ses proches. En l’emportant dans le Nord-Est de Marseille, la 3e circonscription, la conseillère municipale septuagénaire Gisèle Lelouis rappelle que le parti conserve sa capacité de séduction quelle que soit son incarnation.

“La suite, c’est les européennes, les municipales et la présidentielle”, s’enthousiasme déjà Franck Allisio. Battue par Lionel Royer-Perreaut dans la 6e circonscription, la conseillère régionale et municipale Éléonore Bez se dit déjà “à la disposition” de son mouvement pour conduire une candidature à la mairie de Marseille. Avant cela, il faudra toutefois s’assurer de réussir la mandature en incarnant un groupe crédible à l’Assemblée. “Certains d’entre nous ne sont pas prêts. Mais il y aura de la formation par ceux qui ont le plus d’expérience”, assure Joëlle Mélin. Franck Allisio renchérit : “Maintenant le plus difficile commence. En 1995, ça ne s’est pas passé comme prévu”. Et c’est un nouvel élu de Marignane et Vitrolles qui le dit.

(avec Marie Lagache)

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