Culturisme

Le sanctuaire ou l’épouvantail : la culture dans les régionales

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le 24 Nov 2015
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Sur la culture comme sur les thèmes de campagne, les positions du Front national obligent les autres candidats à se positionner en défense d'un sanctuaire à préserver.

Le théâtre du Centaure lors de la capitale européenne de la culture.
Le théâtre du Centaure lors de la capitale européenne de la culture.

Le théâtre du Centaure lors de la capitale européenne de la culture.

Lancement d’un Puy-du-Fou provençal, saillies de Marion Maréchal-Le Pen contre “deux points rouge sur une toile” qui émerveillent “dix bobos” ou encore manif contre une exposition “pédo-pornographique”, cet été…  En matière de culture, le Front national aime jouer l’épouvantail et force les autres listes en lice à se positionner face à lui, voire même en rempart d’un secteur culturel menacé. Passage en revue (culturelle) de ce qui les différencie.

La culture figure en bonne place dans les programmes des quatre listes qui ont des chances d’être au second tour avec des nuances sur la place qu’elle y occupe. Le PS la range dans le “soutien aux créateurs”. Les Républicains en font un élément de “l’image de la région”. La région coopérative (Europe écologie-les Verts et Front de gauche) annonce “aucune austérité pour la culture”. Seul le site de campagne “Avec Marion” mêle dans une courte page sports et culture sous le slogan “une région qui vit et vibre”.

Pourtant la culture en tant que telle continue d’être une compétence régionale. Passée à la moulinette de la loi Notre qui resserre les compétences de la région et supprime la clause de compétence générale, elle fait toujours partie des attributions de la collectivité. La loi précise même : “Le conseil régional a compétence pour promouvoir le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région”. Il s’agit d’une compétence dite transversale que l’on peut retrouver dans le soutien à la politique de la ville, aux politiques d’éducation ou à l’aménagement et l’égalité des territoires. Avant la loi Notre, cette transversalité était déjà au cœur de la politique culturelle en Provence-Alpes-Côte d’Azur sous les trois mandatures Vauzelle.

Le sanctuaire pour tous ou presque

Les deux listes de gauche qui revendiquent en partie son bilan prônent donc le maintien voire le renforcement des budgets dédiés à la culture. “C’est difficile de promettre sans connaître les intentions de l’Etat. Nous sommes a minima pour le maintien en jouant sur les transversalités et utilisant à plein les fonds européens”, commente prudent Emmanuel Serafini, tête de liste de la Région coopérative dans le Vaucluse et directeur des Hivernales à Avignon.

Pour l’ensemble des candidats de gauche, cette sanctuarisation budgétaire relève aussi de la préservation du “vivre ensemble” en réponse à la barbarie des attentats de Paris. Tête de liste socialiste et apparenté dans les Bouches-du-Rhône, Christophe Madrolle dit multiplier les rendez-vous avec les acteurs du secteur pour défendre “la culture comme un projet politique. Ce n’est pas un projet d’animation ou un projet folklorique. Elle permet l’émancipation des citoyens et de la jeunesse. Elle porte du sens. C’est pour cette raison que nous souhaitons élargir la carte Zou à l’accès à la culture.” Chef de file avec Sophie Camard (EELV) de la région coopérative, Jean-Mac Coppola (FDG) est sur la même ligne : “S’il doit y avoir un symbole [après les attentats], ce serait la culture. On ne parle pas ici simplement de politique culturelle mais de donner du sens à la démocratie, à nos valeurs.”

Et ce n’est pas sur ce terrain là qu’il faut chercher un clivage avec la liste de droite (LR, UDI, Modem). Tête de liste dans les Bouches-du-Rhône, Renaud Muselier montre en exemple la réussite de Marseille-Provence 2013. Et quand on lui rappelle que les budgets culturels n’ont été sanctuarisés dans aucune collectivité, il se démarque. “Cela correspond à une période où je m’étais retiré des affaires. Sinon je ne l’aurais pas laissé faire”, tacle-t-il en douceur.

Son leader Christian Estrosi assure vouloir mettre 250 millions dans la sécurité tout en excluant aussitôt la culture du champ des sacrifices nécessaires. “La culture est une arme pour lutter contre le fondamentalisme, explique-t-il. Une arme qui permet à notre jeunesse de s’exprimer et de s’épanouir. C’est une impérieuse nécessité dans un pays comme le nôtre d’assurer la libre expression des créateurs. Un pays qui s’attaque à la culture est sur un chemin inquiétant.

Ingérence culturelle

Ce chemin qu’il pointe mène tout droit vers son adversaire d’extrême-droite, Marion Maréchal-Le Pen, notamment pour ses attaques contre l’art contemporain. Dans son discours de lancement de campagne, elle y dénonçait un effet de la bien-pensance “qui, dans un snobisme de l’entre-soi, voit dans l’art contemporain le plus laid et le plus outrancier, la seule culture qui vaille même si le peuple s’en désintéresse totalement”. Une opposition des élites et du peuple, assez classique des discours populistes, à l’opposé de l’art élitaire pour tous souhaité par Jean Vilar.

“Elle veut faire du flicage culturel, dénonce Christophe Madrolle. La Provence n’est pas le pays du fifre et du tambourin. C’est une terre de rencontre, loin de la culture stéréotypée et fliquée qu’elle propose.” Même s’il reprend l’idée d’un spectacle dédié à la culture provençal sur le modèle du Puy-du-Fou, Franck Allisio se défend de tout interventionnisme : “Ni sur les choix des artistes, ni sur les programmes des manifestations. Notre intention n’est pas d’orienter la culture. Notre seule limite est le respect des bonnes mœurs. C’est d’ailleurs ce que nous remettions en cause quand nous dénoncions les images pédo-pornographiques¹ de la Friche cet été”.

“Cas par cas”

En revanche, son discours se fait plus nuancé quand il évoque les subventions aux associations. Il ne revendique aucune coupe mais des études au cas par cas : “Nous ne maintiendrons pas les financements aux projets trop éloignés de l’intérêt général mais cela n’aura qu’un effet à la marge sur le niveau global des budgets.” Les aides seront donc réorientées “en direction des talents issus de la Paca. Après tout, le ministère de la Culture et celui des Affaires étrangères ont peut-être plus vocation à financer des voyages d’artistes de l’autre bout du monde”.

De quoi nourrir l’inquiétude des acteurs culturels qui appellent d’ores et déjà à la résistance. Sous la forme d’une lettre ouverte dans le journal Le Monde signé par le directeur du festival d’Avignon, Olivier Py, ou d’un appel à la résistance de celle du théâtre de La Criée, Macha Makeieff. “On fera front quotidiennement dans nos théâtres”, disait-elle sur France Culture ce lundi.

Emmanuel Serafini comprend cette inquiétude : “Je la partage en tant que citoyen, professionnel de la culture et candidat de la société civile. Mais il ne faut pas se fier forcément aux sondages. Les gens que je rencontre dans la campagne veulent que nous parlions de nos projets. Or, pour moi, l’éducation et la culture doivent être au cœur d’une société. Encore plus ici où nous sommes la porte d’entrée vers la Méditerranée”. Celle-ci est citée deux fois dans le programme du FN : une fois pour fustiger la villa du même nom et l’autre au chapitre des terroirs à préserver.

(1) Il s’agissait en fait d’une exposition de dessin interdite aux moins de dix-huit ans organisée par l’association Le Dernier cri.
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Notre dossier consacré aux régionales en PACA


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Commentaires

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  1. leravidemilo leravidemilo

    Lorsque ses ministres lui proposaient de financer une part de l’effort de guerre en sabrant dans le budget de la culture, Winston Churchill leur répondait, en substance (je n’ai pas la “célèbre” citation sous la main), que la dite culture, et ses besoins budgétaires, était précisément un des principaux motifs pour lequel son pays se battait contre A. Hitler et ses affidés. .. —- Pour ce qui concerne le front national, la réunion qui s’est tenu sur ce sujet, hier au soir et à l’initiative de “Les Têtes de l’art “, a permis le témoignage de diverses associations citoyennes des bonnes villes de Fréjus, Beaucaire, et autres Cogolin… où les maires F.N exercent déjà, en la matière, tous leurs talents (plus une petite piquouze de rappel concernant Vitrolles.). Il en ressortait un bilan sans appel sur le jeu de massacre contre les initiatives culturelles, les acteurs et les associations qui les portaient avant 2014, et de très certaines et sombres prévisions, dans le cas où ce parti gèrerait , pour les 6 ans à venir, la région et son budget…Cela peut être considéré, malheureusement, comme un fait acquis, dans cette sombre et fort possible hypothèse. —- Pour le reste, l’article pose bien le cadre général et les enjeux (très généraux) des prochains choix électoraux. Mais on ne peut pas tout traiter, ni dans le cadre d’un article, ni dans celui d’une campagne électorale, surtout celle ci, manquant pour le moins de temps et de sérénité.( et il est d’ailleurs fort regrettable, selon moi, que sous couvert du “on ne reculera pas devant le terror…” et avec quelques arrières pensées sondagières et politiciennes, ces élections n’aient pas été retardées.). Parmi les sujets , ici cités, qui mériteraient d’être abordés et traités, à défaut d’être approfondis, les trois suivants : — La capacité des élus politiques d’instrumentaliser les actions culturelles pour de toutes autres fins, politiciennes, touristico-financières., immobilières … à partir du mirifique exemple de la dite Kapitale de la “”culture””, la priorité financière constante accordée à l’évènementiel, au détriment du travail quotidien d’éducation culturelle, et la faible résistance (pour ne pas dire pire) des acteurs culturels à ce choix délétère. — Le sacrifice toujours renouvelé des pratiques amateurs, qui bien souvent n’ont pas à rougir de leurs apports, de leurs vivacités et de leurs qualités, pour “sauver” les grandes institutions culturelles en période joliment appelées de raréfaction de l’argent public. De ce point de vue, le conseil régional sortant a bien des critiques à se faire et, ceux qui en relèvent ne devraient pas plus tarder à s’interroger. –Et s’il est bien essentiel d’assurer la libre expression des “créateurs” ,Il importerait de bien savoir qui, en démocratie, à droit à ce joli label et qui ne peut pas être considéré comme tel, avec les conséquences qui en découle sur son propre droit à… s’exprimer ou à créer… allez savoir! Bon, Small is beautiful , et bien des acteurs culturels mettent la clé sous la porte quand bien des “docks des subs” brillent de leurs milles éclats… — –La relative atonie du “secteur” culturel en terme de résistance, déchiré qu’il est par ses contradictions (dont celles évoquées ci-dessus.). La seule grande victoire, l’annulation de la convention assedic mitonnée par le MEDEF,la CFDT and Co…, est le fait des collectifs d’intermittents et du syndicat CGT idoine, après une fort longue et belle lutte. Outre qu’elle protège l’ensemble des précaires, c’est peu de dire qu’elle a mis à jour nombre de ces contradictions et qu’elle semble un peu mise hors sujet… Certes, cela ne fait pas partie de compétences du CR, mais finalement pas moins que les constructions des bâtiments de la gendarmerie nationale, sujet qui s’invite gaillardement dans le débat; Cela n’ empêche peut être pas un C.R de prendre des initiatives politiques sur ce sujet, particulièrement ceux des candidats qui assure poser les questions en terme de luttes!. Bon, si certains de nos élus ont compris que la culture donnait/ portait du sens à la démocratie, il leur reste visiblement à se demander si, in fine, celle ci ne serait pas pour l’essentiel un processus culturel. A ce titre, on ne peut espérer qu’elle n’ait même pas peur, même pas mal, quand la culture se ramasse des coups, ce qui est déjà bien le cas, et atteindrait des sommets en cas d’arrivé au C.R de Marion Maréchal Nous Voila.

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  2. JL41 JL41

    Gardons-nous des analyses trop binaires, qui dérivent doucement vers une opposition entre culture régionale et FN, validant du même coup une culture régionale et ses subventionnements, motivés en arrière plan comme un moyen de faire perdre des voix au FN. Une ambigüité qui ne semble pas avoir échappé à Benoît Gilles, mais qui ne développe pas. C’est ce qui permet de valider jusqu’à la répétition, le même type de manifestations, les mêmes équipes et les mêmes réseaux de copinage.
    Je n’ai aucune sympathie pour le FN, qui prospère sur le terreau d’une certaine cécité des partis de droite et de gauche à l’égard d’une partie de la population.
    Pourtant, j’attends de consommer autre chose que les manifestations, spectacles et expositions qui nous sont servis. Il m’arrive de trouver à Lyon ou Paris (évidemment, mais je ne veux pas comparer) ce que je ne trouve pas à Marseille. Je ne ferai pas non plus d’opposition binaire entre ce que l’on peut parfois voir à la Friche (où j’ai trouvé d’excellentes choses, grâce d’ailleurs à des présentations de Marsactu) et ce qui est produit ailleurs.
    Marseille rayonne sur deux millions d’habitants. La production culturelle locale, parfois appuyée sur une communication démente et des comptages d’entrées bidonnés, ne touche qu’une part infinitésimale du public possible. Avant de parler du FN, il serait salutaire de commencer par se livrer à une autocritique pour ouvrir le champ, changer des inamovibles, renouveler les équipes et les productions.
    Mon commentaire concerne aussi : https://marsactu.fr/bref/54800/

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