Et si on apprenait aux capitaines à éviter les baleines

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le 29 Mar 2016
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Pour réduire les collisions entre les navires et les cétacés, fréquentes en Méditerranée, l'association Souffleurs d'écume propose une formation à destination des professionnels de la navigation commerciale. Distinction des espèces, signalement des collisions ou des échouages, la démarche est volontaire de la part des compagnies, jusqu'ici peu sensibles au sort des baleines qui croisent leur route maritime.

Et si on apprenait aux capitaines à éviter les baleines
Et si on apprenait aux capitaines à éviter les baleines

Et si on apprenait aux capitaines à éviter les baleines

Très discrets mais pourtant bien là, les rorquals fréquentent régulièrement les eaux de la baie de Marseille et des alentours. Le Mistral est leur allié : il déclenche une remontée d’eau, phénomène océanographique dans lequel le vent, poussant les eaux de surface au large, permet à des eaux profondes, plus fraîches, de remonter. Ce courant amène de nombreux organismes vivants dont se régalent les cétacés.

Ces derniers sont les stars du sanctuaire de Pelagos, qui s’étend de la presqu’île de Giens à la Toscane, et au Sud jusqu’à la Sardaigne. La zone, tout comme l’abord maritime du port de Marseille-Fos, voit cohabiter une grande richesse écologique et un trafic qui grimpe en flèche, tant pour les passagers que pour les marchandises. Ainsi il peut arriver que la gendarmerie maritime envoie un message indiquant la présence de rorquals entre les îles du Frioul et la côte. Mais cétacés et porte-conteneurs ne font pas bon ménage, nul besoin de préciser qui coule l’autre si leurs routes se croisent.

L’école nationale supérieure maritime de Marseille accueillait vendredi une formation à destination des professionnels de la mer en activité sur les bonnes pratiques permettant de limiter le nombre de collisions entre bateaux et mammifères marins. L’association organisatrice, Souffleurs d’écume, concentre ses activités sur la protection des cétacés. La sensibilisation des professionnels sur les collisions y participe. Une trentaine de participants ont répondu présents pour une journée entière consacrée à la fois à la connaissance des animaux et aux manières de réduire l’impact de la navigation commerciale. Ce sont principalement des marins de la marine marchande, avec en premier lieu, la compagnie Méridionale.

Souffle en plumeau

La formation commence par une longue introduction sur l’histoire du sanctuaire de Pelagos et ses actions. Un petit groupe de marins de la Méridionale chahute. À haute voix, ils se demandent pourquoi leur employeur leur impose cette formation. Aucun instrument ne détecte les cétacés, c’est donc la seule vigilance humaine qui permet de les voir et de ralentir pour les éviter. La tâche relève donc plus de la mission des officiers que de celle des marins qui, sur le pont, n’ont pas pour rôle de scruter l’horizon.

Un document circule dans les rangs très vides du grand amphithéâtre pour attester qu’ils n’ont pas séché. Les bavardages ne s’améliorent pas à mesure que l’exposé se complexifie, revenant à la formation de la Méditerranée et à ses évolutions au cours des millénaires.

On en arrive au vif du sujet : les petits et grands cétacés. Sept espèces sont présentées avec à chaque fois leurs comportements et la manière de les distinguer. “Les rorquals sont discrets, si vous n’êtes pas très attentifs, vous ne les verrez pas, expose Denis Ody, docteur en océanologie affiche-cetaces-collisionpar ailleurs membre du bureau marseillais de WWF. Dix à quinze centimètres à la surface de l’eau pour un animal pouvant atteindre 25 mètres. “Ils ont un rythme de mouvement très lent, même s’ils peuvent atteindre 15 noeuds en vitesse de pointe. Les groupes sont souvent de 7 individus”, poursuit-il, décrivant deux manières de les reconnaître. La première est le souffle “en forme de plumer montant de 4 à 6 mètres”, la seconde l’aileron “très à l’arrière”. La mâchoire est blanche d’un côté et noire de l’autre. À l’inverse, le souffle du cachalot est “vers l’avant et sur le côté”, indique l’expert qui détaillera en tout sept types d’animaux dont le peu connu Ziphius, à la drôle de silhouette, entre la baleine et le dauphin. “Tiens je vais prendre un poster pour mettre sur le pont”, s’enthousiasme un pilote. Des notices indiquent les caractéristiques précises pour les distinguer : l’aileron dorsal du cachalot forme par exemple une crête ondulée facile à reconnaître quand on en a l’habitude.

Coyote des mers

“Reconnaître les espèces sert à savoir à qui on a à faire”, argumente Jérôme Couvat de Souffleurs d’écume qui a développé un outil inédit, dénommé Repcet, permettant aux bateaux de signaler la présence de cétacés et d’envoyer le signal aux autres bateaux équipés. Le boîtier placé à bord permet de préciser l’espèce, le nombre et l’état des animaux. Une sorte de coyote des mers, comme ce boîtier qui permet aux automobilistes de signaler la présence de radars. Le coût de l’équipement est quasi marginal pour les armateurs : “350 euros par mois par navire, ce n’est rien comparé aux 50 000 euros de frais d’entretien mensuel pour un ferry pour la Corse”. 

Douze navires sont actuellement équipés de Repcet avec un bon élève, la Méridionale, qui a équipé les trois navires de sa flotte. La compagnie de transport de passagers vers la Corse a fait partie de l’expérimentation dès 2009. Même si cela représente une charge de travail supplémentaire sur le quai, le boîtier est “bien accueilli à bord, explique Emmanuelle Jarnot, commandant. Cela fait toujours plaisir de faire un signalement”.

Cent-vingt ont été réalisés en 2015, avec le passage en juillet de la barre symbolique des 500 signalements effectués depuis la mise en place des boîtiers. C’est d’ailleurs Emmanuelle Jarnot qui se charge des explications techniques sur le dispositif lors de la formation. “Nous formons notre personnel tous les ans”, promeut-elle. Souffleurs d’écume, qui propose cette formation depuis plus de dix ans, estime à une douzaine le nombre de compagnies qui ont suivi la démarche.

Des cadavres embarrassants

“Arriver avec des arguments purement écologiques est très compliqué, reconnaît Jérôme Couvat. C’est pour cela que nous avançons aussi des arguments économiques”. S’il peut arriver que le commandant ne se rende même pas compte d’une collision, cette dernière peut endommager le navire et occasionner des avaries. Or un bateau à quai, ferry ou porte-conteneurs, coûte cher à l’armateur. L’autre aspect est la communication. La CMA-CGM en a fais les frais en juillet 2012 lorsque son Mont-Ventoux, arrivant d’Algérie, est rentré au port de Marseille avec un rorqual sur le bulbe d’étrave. La photographie avait alors largement circulé. En 2000, une baleine, tuée par un bateau qui l’a ramenée vers la digue, était venue s’échouer dans le port. Début 2014, un baleineau de rorqual s’était échoué à l’entrée du port de la Pointe-Rouge.

La formation a aussi pour but d’inciter à signaler les accidents. “Certains peuvent être tenté de faire marche arrière à l’entrée du port pour débloquer le cétacé de l’étrave”, déplore Jérôme Couvat. Le groupe d’étude des cétacés de Méditerranée, qui a une antenne à Marseille, recense les échouages et dispense la marche à suivre si les bateaux éperonnent un animal ou qu’ils en trouvent un : appeler la capitainerie, transmettre les informations, surtout ne pas toucher l’animal. Quand cela est possible, des prélèvements sont effectués sur le cadavre pour essayer d’en savoir plus sur les raisons de sa mort et ses caractéristiques. Des procédures existent, encore faut-il savoir qu’elles existent. “Aujourd’hui, cela ne fait absolument pas partie de la formation des professionnels de la navigation commerciale”, déplore Jérôme Couvat.

Les élèves de l’école nationale supérieure maritime de Marseille auront la même formation concentrée sur deux heures ce mardi, non obligatoire. Dans une étude toute fraîche, recoupant données de signalement des cétacés, itinéraires maritimes, vitesse des bateaux, les experts estiment que les risques de collision sont en réalité concentrés : “Un tiers du trafic à risque est concentré sur 26 bateaux, expose Denis Ody, En équipant 84 bateaux, on couvre la moitié du trafic à risque”. Pour les 26 navires, l’enveloppe s’élèverait à 95 000 euros par an. Former les futurs officiers à reconnaître et signaler les cétacés est une chose, disposer des outils appropriés en est une autre. Individuellement, la somme en jeu est une goutte d’eau pour les armateurs.

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