L’école du micro d’argent ? “Non, je connais pas”

Actualité
le 16 Nov 2017
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Le groupe IAM célèbre avec une tournée anniversaire les 20 ans d'un album qui a irrémédiablement marqué le rap français. Il sera ce jeudi soir sur la scène du Dôme. L'occasion pour Marsactu de s'interroger sur le présent du rap à Marseille, deux décennies après une époque souvent qualifiée d'âge d'or.

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L'Adjoint, ingénieur du son à la Savine tente de faire passer les valeurs du hip-hop aux nouvelles générations.

L'Adjoint, ingénieur du son à la Savine tente de faire passer les valeurs du hip-hop aux nouvelles générations.

Derrière sa table de mixage, celui qu’on appelle l’Adjoint navigue entre ses divers claviers et boutons. De l’autre côté de la vitre, un jeune aspirant rappeur “pose” un texte de sa plume. “T’es une folle tu t’prends pour qui, t’es pas Katy Perry”, envoie la voix autotunée sur un rythme aux basses rapides, presque techno. Entre deux prises, le débutant échange – très sérieusement mais toujours avec le même effet métallique sur la voix – sur le rythme à donner, les effets à ajouter avec celui qui a débuté dans le hip-hop “il y a 21 ans”.

“Ça va faire trop brouillon si tu ajoutes ça”, conseille par exemple ce “grand frère” qui officie comme ingénieur du son depuis onze ans dans ce studio de la Sound musical school, structure associative située à la Savine et dédiée au hip-hop. Les rappeurs en herbe de toute la ville se pressent pour pouvoir enregistrer leurs morceaux pour quelques sous chez l’Adjoint, qui collabore aussi avec des grands noms de la scène rap française.

Lorsque Mourad, alias L’Adjoint a commencé dans le hip-hop, les idoles du genre étaient marseillais, s’appelaient IAM et s’apprêtaient à sortir l’album le plus vendu de l’histoire du rap français : L’école du micro d’argent. Aujourd’hui, il observe chaque jour à quel point le temps a pu filer depuis. Est-ce que ses “clients” du jour connaissent au moins l’album ? “Non, je connais pas”, reconnaît celui dont le pseudo est Gambino, âgé de 24 ans.

Et IAM ? “Aah, IAM, c’est un classique, ça fait partie des grands frères”, salue-t-il avec révérence, en citant le Mia, puis… Laisse pas traîner ton fils, en réalité un tube de leurs concurrents parisiens, NTM, ce que L’Adjoint lui fait remarquer avec une pointe d’agacement.

“À notre époque, on écoutait que du rap, eux sont beaucoup plus ouverts”, note-t-il cependant après que Gambino a assuré qu’il pouvait écouter aussi bien “UB40, Otis Reading” que “France Gall”“Et la Fonky family, c’était après, c’est ça ?”, demande le jeune rappeur qui saisit l’occasion de revoir ses classiques, lui pour qui les références ultimes sont “Jul et PNL”, l’ovni de Saint-Jean-du-désert, et le groupe phénomène né en banlieue parisienne il y a quelques années.

Du micro d’argent à l’autotune

Qui n’a pas jeté un oreille au rap marseillais depuis l’heure de gloire d’IAM et consorts doit s’attendre à être secoué d’un sacré choc s’il découvre d’un seul coup ce qui fait aujourd’hui la tendance. Là où il y a 20 ans les mélodies étaient mélancoliques, marquées par le rap “classique” à l’américaine et le verbe ciselé, la musique a aujourd’hui pris les influences afro, techno ou encore électro de l’époque, et les voix autotunées chantent autant qu’elle rappent, selon l’humeur et le style. Car c’est la première chose à dire : le rap marseillais s’est démultiplié, ou divisé, selon les observateurs, en des myriades de variantes dont il est parfois difficile de retrouver le point commun.

“Y a du rap marseillais aujourd’hui ? Moi je crois qu’il y a des raps …”, ironise Hassany Ibrahim, un des piliers de la Sound musical school. Mais il est pourtant formel, “c’est assez atypique ce qu’ils font les Marseillais, c’est vraiment différent des autres …”. À l’heure où le succès se mesure à la fois par le nombre d’albums achetés, téléchargés ou en comptant les vues et les like accumulées en ligne, deux noms rayonnent cependant sur la planète rap marseillaise, ceux de Soprano, qui a rempli le stade vélodrome en octobre dernier, et de Jul, aux dix disques de platine, et même un disque de diamant, qui salue les albums vendus à plus de 500 000 exemplaires.

Le nom de ce dernier revient dans toutes les discussions dès lors qu’on évoque l’actualité du rap marseillais, quels que soit les goûts et l’âge de l’interlocuteur. Ses mélodies survoltées et ses refrains entêtants, voire parfois enfantins, se sont imposés d’eux-mêmes. “C’est impossible de faire abstraction du phénomène”, concède Julien Valnet, qui a publié en 2013 M.A.R.S. histoires et légendes du hip-hop marseillais et travaille pour l’AMI, association “d’aide aux musiques innovatrices” résidente de la Friche Belle de mai. “Pour moi, ce qu’il fait c’est plus de la variété, c’est le Joe Dassin de son époque, nuance-t-il au passage. Mais quand on anime des ateliers avec des jeunes qui n’écoutent que ça, notre boulot c’est pas de leur dire que c’est nul, mais de provoquer un débat, avec des éléments de la culture hip-hop, les valeurs de la culture hip-hop”.

“Jul, il a un héritage marseillais, estime de son côté L’Adjoint qui lui reconnaît également une place centrale. C’est un ovni, mais il produit les petits jeunes de son quartier, il est assez simple, il est pas en mode star. Il a repris un héritage, ça a fait du bien à Marseille, il a ramené un style, et ça a permis à d’autres Marseillais de percer”L’Adjoint, qui se considère, malgré ses 34 ans, comme “un ancien”, salue en tout cas l’esprit d’équipe de Jul.

À l’heure où, à ses yeux, “le business” et “le nombre de vues” obnubilent les jeunes rappeurs, et où se perdent les “valeurs du hip-hop” défendues notamment à la Sound musical school. En revanche, pour ce qui est de l’engagement politique cher aux MCs des années 90, ce n’est ni chez Jul ni chez ses concurrents au sommets des ventes qu’on pourra le retrouver. “Le côté politique, je ne sais même plus s’il existe…”

Un son “ensoleillé”

Comment définir alors la touche marseillaise au goût du jour ? “Avant il y avait un son marseillais … mais c’est toujours le cas aujourd’hui, pose l’ingénieur du son de la Savine. Les sons “ambiancés”, c’est nous. À Paris c’était plutôt lugubre froid. Et nous on a apporté des trucs plus ensoleillés, plus dansants, le sourire. On a ouvert une brèche. La différence c’est la même que pour New York et Los Angeles”.

Si beaucoup estiment que “l’âge d’or” est derrière les Marseillais, pour L’Adjoint – qui a vu des stars du rap français, comme Sofiane ou Lacrim, demander ses services, à la recherche d’une certaine “fraîcheur” marseillaise – “la coupe, elle est en train de revenir à Marseille. Elle était chez nous, elle est partie un bon moment à Paris, mais là elle revient. Les Parisiens s’inspirent beaucoup de nous, ils commencent à s’habiller pareil, à venir tourner leurs clips à Marseille, à utiliser des mots marseillais, c’est un tout”. Lui défend ses poulains, qui répondent aux noms de Soso Maness, Sidou ou encore Nikken.

Une scène toujours en difficultés

Mais en dehors des stars – et de quelques chanceux qui profitent de leur élan – la scène marseillaise reste à la peine, malgré sa diversité et son énergie. “On vend du rappeur comme de la boîte de conserve, analyse Julien Valnet. Mais après, pour le rap underground, il n’y a plus que quelques valeureux comme Les crevards de la Plaine, et d’autres dont on attend depuis longtemps qu’il parviennent à percer comme La Méthode…”

À ses yeux, la carence en professionnels de la musique – producteurs, labels, tourneurs – à Marseille pèse toujours sur les jeunes pousses du cru. “Le contre-exemple c’est Chinese man, qui est purement dans du développement local, que l’on peut croiser tous les jours à Marseille et qui a créé son label avec son premier gros chèque. C’est ça l’enjeu : créer un écosystème autour des artistes”.

Il n’empêche qu’à l’heure où chacun peut enregistrer ou tourner ses clips à la maison, la place du hip-hop dans la ville patine toujours, et rares sont les lieux où les amateurs peuvent se retrouver. “J’ai l’impression que c’est encore pire qu’avant, lâche L’Adjoint. Au plus ça va, au moins on est reconnus, au moins il y a de subventions pour le travail social qu’on fait ici, pourtant il y en a beaucoup plus besoin”. L’auteur du livre M.A.R.S. rêve de son côté d’une “grande maison du hip-hop”, pour réunir les énergies, mais désespère de voir le genre reconnu enfin comme une culture à part entière, encore au delà de l’aspect social. “Il y a eu un cycle au Mucem, l’expo au Mac, une battle à la Criée, mais il n’y a toujours pas la place dans cette ville pour les cultures populaires, en général. La musique classique et savante reçoit toujours la plupart des subventions quand elle ne concerne que 5% du public…”

 

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Commentaires

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  1. mrmiolito mrmiolito

    le rap marseillais d’il y a vingt ou 30 ans ans semble en tout cas bien figé, dans son exposition au MAC. Tout y est bien rangé en vitrine, le jeune visiteur repart sans avoir manipulé un micro, une bombe de peinture, une table de mixage (même fausse), sans s’être essayé à la danse.
    Ce rap-là est littéralement muséifié et c’est dommage… cette exposition a été une immense déception pour moi.

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  2. Tarama Tarama

    Pour ces chers artistes contemporains, le jetage aux Goudes semble tout indiqué. “L’école du Mircro d’argent ? Je connais pas. Ah si, Laisse pas traîner ton fils !”

    C’est consternant comme un morceau de PNL. En plus ces gens nous font profiter de leur musique excrémentale sur leurs enceintes portables. A quel moment se sont ils dit que tout le monde avait envie de partager leur mauvais goût ?

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  3. neomars neomars

    En 2013 le rap n’a pas été jugé capital

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  4. Boudiou Boudiou

    L’adjoint skenawin c’est la bible du RAP marseillais, le numéro un des ingénieurs son; il vibrait sur la FF « sans rémission »; I AM; 3ème œil…… Mickael Jordan l’icône (skenawin lors des dunk ou des shorts s…. Ça vient de là pour les initiés il’confirmera) il en a découvert tant marseillais ou pas fianeso; Jul au tout début; soso maness et tant d’autres ….

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